En fait, vérification faite, « prolétariat » se dit « proletariat » avec un accent pourri, j’étais vert, foirer un rêve de cette classe pour ça !
A l’aube, j’attendais la secrétaire en embuscade derrière la photocopieuse du couloir. Elle me promit de s’enquérir auprès de lui, dès qu’il serait arrivé, des raisons de ce retard.
Je retournai dans mon bureau. J’écrivis deux courriers en anglais. Le premier, un soft que je lui enverrai en fin de matinée si je n’avais toujours pas de nouvelles. Le second, un plaidoyer destiné à témoigner auprès des générations futures du martyr subi (je commençais à partir du ciboulot).
A 11 heures j’envoyai le premier courrier, qui mêlait flagornerie et menaces voilées, en demandant pardon de m’excuser du dérangement, quelqu’un de si important, mais que ma malheureuse épouse se morfondait dans sa lointaine tour où un dragon la retenait prisonnière, puis en listant les services auxquels j’avais rendu visite, dont la staff association et quelques directions diverses, et en soulignant que j’avais respecté point par point la procédure indiquée par ces vénérables institutions.
Cinq minutes plus tard, la secrétaire téléphonait pour m’annoncer que le papier était signé, à ma disposition. Un mél concis arrivait de son côté : « Done ». Et il avait pris la peine de préciser, avant sa signature : « I approve the arrangement but it should be time-limited to protect the staff member. » Il avait la défaite mesquine. Cette précision était d’autant plus débile que la durée était de toute façon limitée par celle de mon contrat. Contrairement à lui, je serai grand seigneur, je ne lui couperai pas les oreilles ni la queue (si tant est…).
J’entendais résonner les trompettes de la renommée alentour. La Marseillaise version cantatrice avec grand orchestre, tandis que j’avançais au ralenti dans les couloirs. Les sans-culottes m’acclamaient, les fonctionnaires se prosternaient à mon passage. Quelques assistants greffiers furent piétinés par la foule venue assister à mon Triomphe. Les militaires tanzaniens en liesse fusillaient sommairement les accusés aux yeux rouges et leurs avocats.
J’arrivai à la communication. La secrétaire, de dos, fouillait dans un meuble. J’entrai. Elle se retourna en sursautant. Je lui tendis d’un geste ample avec un sourire éclatant mon papier signé et tamponné par les hautes sphères. Son visage se masqua de Haine tressautante. Je craignis qu’un instant de folie la pousse à commettre un acte regrettable pour moi.
Mais elle se reprit et passa à côté, dans le bureau de son chef. Je m’assis et attendis, serein. Le chef finit par sortir de son bureau et commença par s’excuser, mais vous comprenez, c’est le Règlement. C’est bon, mon brave, je serai magnanime, les seconds couteaux ne seront pas passés au fil de l’épée. Il me fit remplir le formulaire du Pin Kôd.
Je tenais le stylo avec méfiance. Un réveil de volcan ? Une crise foudroyante de fièvre du Rift ? Un commando de porcs kenyans grippés ?
Rien. Je remplis et signai. Je choisis le code.
En fin d’après-midi, je passai mon premier coup de fil. La voix de ma douce et tendre cascada sur 10 000 kilomètres sans s’évaporer jusqu’à mon conduit auditif.
J’avais vaincu la Bête.