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Billet de blog 4 mars 2010

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L'administration du TPIR 3 - épreuve initiatique: le check in

On me présenta mon bureau. Il n’y avait pas d’ordinateur, mais le chef de l’informatique (qui, en toute logique onusienne, m’attendait un mois plus tard) me promit de régler cela dans les plus brefs délais.

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On me présenta mon bureau. Il n’y avait pas d’ordinateur, mais le chef de l’informatique (qui, en toute logique onusienne, m’attendait un mois plus tard) me promit de régler cela dans les plus brefs délais.

Puis je fus envoyé dans le bâtiment administratif me procurer le formulaire par lequel tout commence, le fameux « Check in check out », 23 chefs de 23 services différents à rencontrer pour leur faire signer ce document magique. Quand on connaît le caractère aléatoire de l’ouverture des bureaux, les paramètres multiples qui peuvent l’interrompre (réunions de chefs, réunions de chef et de sous-chefs, réunions de chefs et de surchefs, sans parler des déjeuners, entre 11heures et 15 heures, des maladies, des membres de la famille qu’il faut aller chercher à l’aéroport, et des terribles stages-conférences internationales qui frappent sans prévenir pour une semaine, deux semaines d’affilée), on comprend que faire remplir ce formulaire équivaudrait à accomplir les 23 travaux d’Hercule (qui n’en a fait que 12, rappelons-le, et on parle encore de lui 3000 ans plus tard alors que les précaires de l’ONU tout le monde s’en branle, et pourtant, cet exploit, chaque jour des short term l’accomplissent, même si certains ne s’en remettent jamais complètement).

Je n’attendis la responsable du personnel qu’une heure devant son bureau et me fis la réflexion qu’à n’en pas douter les dieux étaient avec moi. Je m’agenouillai devant elle pour l’adoubement, et elle me confia le formulaire qui parcourrait dans les jours suivants une cinquantaine de kilomètres et recueillerait les expectorations grasses de 23 chefs dérangés en pleine sieste. J’étais prêt à mener cette queste.

Je parvins au bureau du chef de la sécu, chargé de me délivrer le pass magnétique qui simplifierait considérablement mes déplacements: un mérou qui fumerait de la marie-jeanne, sympathique même si les circonvolutions de son cerveau épousent les méandres de la bureaucratie onusienne. De toute façon, pour faire carrière à l’ONU, il faut avoir un intestin dans la tête, pour participer au grand travail digestif qui transforme en merde les proclamations historiques de l’Assemblée générale. Il prit, bonhomme, mon check in check out tandis que j’observai sur le mur derrière lui diverses photos du mérou, en soldat de l’ONU, en soldat du je-ne-savais-quoi, en gradé du même acabi, quelques proclamations divines bien senties ponctuant le tout.

« Mais, ceci est l’ancien formulaire ! » Cette remarque brisa ma contemplation rêveuse baignée d’une douce euphorie, et j’eus l’intuition que les emmerdes allaient commencer. Déjà.

Il était ennuyé, mais le formulaire avait changé, qui plus est il avait participé à l’élaboration du nouveau modèle, il ne serait pas dit que les réunions nécessaires à cette évolution capitale dans l’histoire de la justice internationale, que le sacrifice de la (voire les) sieste(s) méritée(s) sur l’autel du remaniement du formulaire « check in check out » aurait été vain. Il hésitait cependant, partagé entre le désir d’être accommodant et le sens du devoir. Troublé, il tourna la tête vers les portraits de son glorieux passé.

Lorsque ses yeux croisèrent de nouveau les miens, je compris que sa décision était prise : il était soldat de la paix, il se battait pour une noble mission, la sympathie qu’il éprouvait à mon égard ne pouvait lui faire oublier son devoir sacré.

Il me renvoya donc à mon point de départ. Il tenta de téléphoner à la responsable du personnel, qui évidemment ne décrocha pas. Quelque peu abattu, conscient que mon arrogance initiale - moi, petit short term, qui pensais dominer l’Administration tout juste à mon premier contrat quand d’autres y consacrent (en vain) une vie – était justement punie par l’immanence d’une transcendance quelconque, je sortais du bureau, envahi d’une saine humilité. Heureusement, avant de me lancer dans le labyrinthe des portes magnétiques, j’eus la présence d’esprit de demander une faveur au mérou : ne pourrait-il pas me délivrer maintenant le pass, et je reviendrais faire valider le formulaire dès que je l’aurais en ma possession ??? Ma voix tremblait légèrement, il était encore tout pénétré de la grandeur de mon sacrifice, après une brève hésitation, magnanime, il m’accorda… – en me faisant remarquer que ce n’était pas le procédure, mais que bon… – il m’accorda un pass magnétique journalier.

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