J’ai une théorie. J’ai eu récemment l’occasion de la réviser.
En effet, un Muzungu en Afrique, c’est un peu comme une merde sur un parquet ciré, ça se repère assez rapidement. Un Muzungu, c’est un Blanc. C’est comme ça que l’autochtone nous appelle. C’est sympathique, tu ne peux pas faire trois pas sans qu’une horde de gamins et d’adolescents te suivent en te montrant du doigt, morts de rire : « Muzungu, Muzungu, Muzungu »… Bon, ben ça va maintenant, on a compris !
Même avant de connaître la signification de ce vocable, je me doutais qu’il y avait peu de chance pour que la traduction littérale soit un truc du style : « être humain à la grâce innée, à l’intelligence supérieure, à la peau pâle délicieusement rosée, d’une civilisation réputée pour avoir inventé les Droits de l’homme » Il est vrai qu’il aurait été tout de même assez extraordinaire de faire tenir tout ça dans trois syllabes.
Non, « Muzungu » signifie littéralement « Celui qui prend la place ».
On part avec un handicap. Et on n’est pas aidé par la confrérie muzungu pour essayer de modifier cette image peu flatteuse. Mais j’aurai certainement l’occasion de revenir sur cet aspect de la question.
Il faut admettre néanmoins que l’Africain a assez bien perçu le rôle social du Muzungu sur ses terres - c’est vrai que depuis le temps, s’il pensait que la présence de « Celui qui prend la place » était seulement due à des préoccupations ornithologiques ou estivales, voire humanitaires, on pourrait à bon droit s’interroger sur la vivacité de son esprit.
Mais passons.
L’autochtone est donc sagace et taquin, et le côté pataud du Muzungu découvrant les us et coutumes locales ne fait rien pour tarir la source d’étonnement – et d’hilarité – perpétuel que provoque cette maladresse.
Aux premiers temps en Afrique, aux temps de la découverte, je dois d’ailleurs avouer que des pensées vindicatives et mesquines m’ont parfois traversé l’esprit : dès mon retour sur le sol de la mère patrie, choper au hasard un exilé fraîchement débarqué et lui faire subir ce qu’ils nous font subir ici. Le courser dans les rues en gueulant : « Le Noir, le Noir ! », essayer de lui refourguer toutes les merdes disponibles dans un bazar quelconque à dix fois leur prix, lui présenter une échoppe de souvenirs comme une authentique boutique d’artisanat local (la tour eiffel dorée à 200 balles parce que t’es mon frère)… Mais comme j’ai un bon fond, je me suis toujours abstenu. Et puis l'Africain standard qui découvre la France n'a pas besoin de moi pour subir. Il a droit sans supplément à diverses taquineries à son arrivée dans le pays qui grave au fronton de ses édifices publics (excepté les centres de rétention) « Liberté, égalité, fraternité », aux pinailleries des contrôles au faciès, aux chantiers au noir, aux marchands de sommeil, toutes délicates attentions diffèrant quelque peu du harcèlement commercial visant à vendre une babiole dix fois trop cher… c’est-à-dire 1 euro au lieu de 10 centimes. Il faut relativiser.