Nous eûmes passagèrement le soutien de deux autres bestioles dans ce combat sans merci contre les insectes. La première fut un serpent qui repérait le salon en vue d'installation définitive lorsque nous l'avons surpris. Enfin, disons que la surprise fut réciproque.
Dans ces régions où le black mamba est réputé tuer en 20 minutes (cinq, disent les pessimistes), où on croise régulièrement de ces bestioles étripées par des passants peu compatissants (je ne jette pas la pierre), notre connaissance des reptiles ne nous encourageait guère à l'audace. Prudemment, nous appelâmes Baba Mgeni: après un coup d'oeil circonspect, il saisit la bestiole et la balança dans les bananiers. Inoffensif, mais on est chez nous.
Le second auxiliaire insecticide resta quelques jours dans nos salles de bains, qui communiquent par un conduit des eaux usées. C'était une petite grenouille (un crapaud prétendent d'autres, l'esprit polémique règne dans cet appartement) assez mignonne, dont on s'est demandé vainement comment elle avait pu se retrouver là. Il fallait faire gaffe de pas marcher dessus en allant pisser. Il y avait de l'humidité et des insectes, a priori tout pour être heureuse. Il nous semblait cependant qu'elle dépérissait. Recroquevillée dans un coin, de moins en moins vaillante. Le manque de compagnie? Les eaux usées pleines de détergeant? Bref, nous décidâmes de l'envoyer elle aussi dans les bananiers, en espérant que le serpent ne s'y soit pas établi. Le sauvetage se fit en douceur, elle nous regardait avec de grands yeux pleins de frayeur soumise, son petit coeur battant la chamade, nous la déposâmes délicatement dehors.
Peut-être avions-nous mal interprété ses états d'âme. Toujours est-il qu'elle avait tenté de revenir peu après. Nous la retrouvâmes écrabouillée par la porte le lendemain matin. Selon le témoignage du coloc qui avait fermé la veille au soir, il y avait effectivement eu comme une résistance en bout de course.
Mais revenons à nos chatons. Nous nous trouvions avec eux et le rat face à un problème assez complexe à résoudre, d'autant que tous évoluaient dans la cuisine. Dans l'immédiat, étant donné la jeunesse des félins, la question était: le rat-souris était-il susceptible de bouffer du chaton? Il semblait afficher une prédilection marquée pour le pain et les bananes, mais qui sait? Un extra?
En même temps, protéger les chats contre la souris qu'ils étaient censés chasser nous entraînait dans une logique frisant l'absurde, surtout si Mama Mgeni nous les avait effectivement confiés pour cette mission. Les Muzungus passeraient encore pour des cons, on n'avait pas besoin de ça.
Nous décidâmes donc de laisser la situation en l'état et passions nos soirées à les faire biberonner à tour de rôle, à nous extasier devant leurs premières cavalcades, le grand flippé qui jouait avec la boule de papier et la petite aventureuse qui explorait l'appartement. Déjà, nous les voyions grandir en ces lieux, nous cherchions des noms (à défaut de consensus, ils demeureront Minet et Minette). Et le septième soir, à 22h, au lieu de se reposer, Eladi vint reprendre les chatons... Nous essayâmes bien de pas comprendre, tentâmes de lui refourguer un seau vide et quelques assiettes sales, mais bon, on n'avait aucune chance, il n'était pas là pour rigoler, et il avait l'air d'être aussi gâteux que nous devant ces sales bestioles. De toute façon, les chats, faut changer la caisse, ça pue, ça miaule la nuit, et puis ils auraient fait chier notre rat-souris.
Bon, il nous reste les geckos et la télé.