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Billet de blog 15 juin 2010

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Le Blanc, le Massaï et le kiswahili 1

Dans un environnement linguistiquement hostile — c’est-à-dire non francophone —, le kit de premier secours, ce sont les salutations. Ici comme ailleurs.

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Dans un environnement linguistiquement hostile — c’est-à-dire non francophone —, le kit de premier secours, ce sont les salutations. Ici comme ailleurs.

Peu de temps après mon arrivée, j'ai commencé à suivre des cours de kiswahili, histoire de pouvoir communiquer un minimum avec l'autochtone. Ce n'est certes pas une nécessité vitale, attendu qu'en tant que salariés de l'ONU nous sommes rarement amenés à croiser cette espèce à l'encontre de laquelle on ne manque pas, régulièrement, de nous prévenir (car l'autochtone est facétieux : il se complaît dans le vol de voitures, certains ne parlent même pas l'anglais et en plus il arrête pas de se payer notre tête...).

Ce qui fait que nous les fréquentons peu, hormis les indigènes demi-civilisés qui travaillent au TPIR — ou ceux qui servent dans nos restaurants, ceux qui nettoient nos maisons, ceux qui gardent nos biens… Or, ces derniers, bien évidemment, parlent anglais (ou au moins comprennent le minimum vital: « Une bière et que ça saute », « lave le linge et que ça brille », « photocopie-moi tout ça et fainéante pas en route »).

Tout ça pour dire que s'initier à cette langue qui est, il faut bien le dire - et ce n'est pas raciste que de le dire, comme s'exclamait une célébrité désormais has been -, une langue de nègre, cela témoigne d'une certaine ouverture d'esprit, et je m'en félicite.

Les salutations, donc, pouvoir enfin lancer « bonjour », « au revoir », « ça baigne ? » en langue d’ici, comme ça, l'air décontracté du Blanc satisfait qui partout se sent chez lui, à des autochtones babas que le Muzungu parle leur langue.

D'autant que j'appréciais peu un certain Massaï arrogant, qui chaque matin me baragouinait un truc que je subodorais être une salutation, et j'enrageais de devoir répondre en anglais, comme un touriste de base, et devais de surcroît supporter un indéfinissable sourire ironique de cet enfoiré d'éleveur de vaches.

Celui-là, de fait, son occupation était plutôt la garde du parking d'un musée par l'enceinte duquel je passe pour aller nourrir de ma sueur la bureaucratie onusienne. Les Massaï, en effet, modernité oblige, ont dû se diversifier, et un certain nombre se consacre désormais à la garde des bagnoles plutôt que des vaches. Cela doit forcément avoir un impact sur leurs habitudes alimentaires, puisqu'ils sont réputés se nourrir du lait et du sang de leurs vaches à bosse, charmantes quoique ne valant pas les superbes ankolés rwandaises (des vaches carrossées comme des déesses, avec des cornes en lyre et des yeux à se damner).

Bref, les Massaï s'adaptent. Et ils ne se spécialisent pas seulement dans les boulots foireux, ils font aussi dans la tanzanite, une pierre précieuse qui n'existe qu'ici, dont les multinationales leur laissent involontairement une part du marché. En effet, le Masaï a un certain sens du commerce. Il faut avoir baroudé (car je baroude à l'occasion, je suis comme ça) dans un coin désert, avec rien à perte de vue, le 4X4 s'arrête, on descend, on relève les yeux, et boum, 15 Masaï avec une tonne de marchandise, on jurerait avoir été téléporté au milieu du kraft market d'Arusha, c'est impressionnant.

Quant à mon Massai gardien de parking, il a depuis quelques mois repéré la clientèle potentielle onusienne qui passait par là, ainsi que les touristes qui se rendaient à un bar culturel un peu plus haut (culturel, c’est-à-dire avec trois peintures locales pendues aux murs et les consommations trois fois plus chères qu’ailleurs, en fait c’est pareil que chez nous), et il avait installé un étal de couvertures (massaï, cela va sans dire), de sandales (tout aussi massaï, confectionnées dans un vieux pneu, une tradition ancestrale) et autres colliers (massaï, on ne se refait pas). J'observe toujours avec curiosité la croissance de son commerce, et espère que le passage restera ouvert le jour où il rachètera le parking voire le musée pour une boutique en dur.

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