Cette peste, en plus, a une copine zambienne. Moins arrogante qu’elle mais peut-être encore plus pénible : elle parle anglais mieux que mon prof du tribunal. C’est bien simple, je pensais qu’elle venait d’un pays dérivé.
Quand je communique avec elle, et Flora à côté qui lève les yeux au ciel comme si elle avait honte de partager la même parcelle avec un handicapé de mon acabit, et l’autre qui me répond tout doucement comme à un demeuré et lève un sourcil perplexe lorsque je m’exprime, je deviens rouge et j’ai des envies de meurtre.
Quinze ans de tôle en Tanzanie pour avoir buté une gamine zambienne de 10 ans parce qu’elle parlait mieux anglais que moi (ce qui doit être le cas de 90 % de la race humaine) serait tout de même lamentable.
Pour revenir à Flora et oublier cette langue de dégénérés, le problème c’est que quoi que je fasse, elle me jette toujours ce regard moitié excédé moitié désolé. Quoi que je fasse. Je n’ose plus bouger, devant elle, ce qui ne doit guère contribuer à améliorer ma cote.
Je caresse Minet en miaulant pour communiquer, elle siffle entre ses dents ; je vérifie avant de rentrer qu’il y a de l’eau chaude au robinet extérieur, elle me fait remarquer que je suis en train de tremper mes pompes et mon bas de pantalon ; j’observe à quatre pattes un raid de fourmis sur un nid de mille-pattes, elle secoue la tête. J’en suis arrivé à regarder par la fenêtre avant de sortir pour être sûr qu’elle n’est pas là. Ce qui bien entendu ne sert à rien, attendu qu’elle doit épier mes moindres mouvements, et qu’elle surgit dès que je pose le bout de ma première pompe sur le paillasson.
Son grand plaisir de la journée est de venir me dire d’allumer la lumière extérieure exactement 12 secondes après que le soleil soit parti se pieuter. Dépassé le créneau, je suis sûr d’y avoir droit. Elle frappe, et je sais ce qui m’attend. J’ouvre, elle me regarde quelques secondes en silence en soupirant. J’ai toujours l’impression qu’elle va me dire : « Au lit sans manger ! » Mais consciente tout de même du rapport de force, elle se contente de souffler : « Tu as encore oublié la lumière ! »
Si je suis dans la douche, ou en train de donner de mes nouvelles à la cuvette du chiotte, rien n’y fait : elle frappe hystériquement à la porte jusqu’à que j’ouvre.
L’autre jour, j’ai tenté de tester ses limites : eh bien, au bout d’un quart d’heure de tambourinage, j’ai craqué, je suis allé lui ouvrir.
J’ai aussi essayé d’être plus subtil, d’allumer la lumière avant que l’astre susmentionné aille jouer au docteur avec Morphée. 12 secondes après, elle venait frapper à la porte : c’était trop tôt, je gaspillais inconsidérément la précieuse énergie.
Ce qui m’a un peu consolé, c’est qu’un crétin canadien qui lui tapotait la tête limite en lui faisant des Arheu s’est récolté une oeillade par rapport à laquelle celles qui me sont destinées pourraient presque paraître affectueuses. La question, c’est : est-ce qu’elle prend les adultes en général pour des crétins, ou les Muzungus en particulier ?
Bref, Flora est une peste, mignonne mais peste, il fallait que ce soit dit, attendu que cette sale gamine habite désormais ici.