Si vous avez raté le début : Les rigolos de la Table ronde se la coulaient douce : celui du bureau rectangulaire - de la pièce S112 du 2e étage du bâtiment Serengeti, ICTR sis à l’African International Conference Center - en chie bien plus que toutes ces tanches avec leurs aventures à la noix, et tout ça pour obtenir le Pin Kôd qui lui permettra de bigophoner à sa meuf.
Plan B : le « syndicat », plus exactement la « staff association ».
De ma première visite, il y a quelques années, j’avais gardé un enthousiasme mitigé. Un bureau obscur envahi de toiles d’araignées occupé par une secrétaire agenouillée devant un poster (le seul objet épousseté de la pièce) représentant la hiérarchie de la fameuse « staff association ». La bouche humide et l’œil un peu fou, elle m’avait présenté les trombines par leurs petits noms, avec une révérence particulière pour le président au faîte de l’image, avant de me sortir un formulaire d’adhésion avec virement automatique de mon salaire sur leur compte. Elle n’avait guère semblé étonnée, juste une déception habituelle, quand je lui avais annoncé que j’allais réfléchir à la question en empochant son formulaire.
Lorsque j’avais évoqué cette aventure avec des collègues, la plupart ne savaient pas de quoi il s’agissait, les autres me révélèrent que je devais être le seul depuis l’aube de l’humanité à faire remplir cette case du check in check out, en fait une sorte de bonus mais qui ne rapportait aucun point.
D’un naturel curieux, je m’étais fendu d’une visite au président de ladite staff association. Il avait d’abord essayé de me convaincre d’adhérer, cherchant mollement à démontrer l’utilité de son organisation: je lui avais révélé que j’étais short term, ça l’avait refroidit. Et Je l’avais quitté en lui affirmant que dès que j’obtiendrais un contrat long, à n’en pas douter je repasserai le voir. Il m’avait jeté un dernier regard glauque.
J’apprendrais peu après que tout le personnel de ménage venait de se faire virer collectivement suite à un vol qui aurait pu être le fait de n’importe qui. Je m’étonnais qu’un tel forfait (le licenciement, pas le vol) ait pu être perpétré impunément dans un lieu de justice. Lorsque j’interrogerais les collègues sur la réaction du syndicat, je provoquerais l’incompréhension générale. Et l’ébahissement en précisant que je faisais référence à la staff association. Certains, qui savaient ce qu’est un syndicat, s’esclaffaient.
Au cours des mois suivants, je reçus cependant régulièrement des méls de la Staff association. A chaque victime du service médical (j’exagère, certains moururent sans son aide)le « syndicat » envoyait un message de condoléances qui se terminait par diverses formules religieuses promettant au défunt la vie éternelle au côté du tout-puissant (pendant quelques mois, l’illusion de bosser dans une entreprise de pompes funèbres était presque parfaite).
Je décidai donc d’exploiter mes relations et de frapper la staff association à la tête : le président.
Il était en stage et reviendrait deux semaines plus tard.
Résigné, je me rabattis sur la secrétaire trois étages plus bas. Je n’avais pas le choix.
J’entrai après avoir frappé, car je suis poli.
« Bonjour, vous êtes bien la staff association ? »
C’est tactique, l’obliger à répondre « oui » à la première question afin de l’entraîner pour la suite.
« Oui… »
Ma détermination l’inquiétait visiblement, elle ne voyait pas de formulaire de check in dans mes mains, elle se rappelait certainement de ma visite précédente, inutile d’être passé par Sciences Po pour subodorer l’embrouille.
« Votre rôle est bien de défendre les intérêts des travailleurs ?
- Euh ?
- Si un salarié du tribunal a un problème, vous êtes bien là pour l’aider ?
- Ouuuui…. ? »
Au niveau phonétique, c’était un oui, mais l’intonation semblait tout faire pour le freiner, le relativiser, l’empêcher d’entraîner de trop lourdes conséquences.
« Bien. J’ai un problème. En fait l’ensemble des short term a un problème. »
Et je lui redéballai ma salade.
Dire qu’elle était hagarde serait une litote. Elle me regardait. Je la regardais. On se regardait.
« Mais pourquoi ne veulent-ils pas vous donner ce pin code ?
- Comme je vous l’ai dit, c’est le nouveau règlement…
- AAAHHH ! Mais si c’est un règlement, on ne peut rien faire !!! »
Certes.
« Ecoutez, vous m’avez dit que vous serviez à défendre les salariés quand ils ont un problème, j’ai un problème, défendez-moi. »
Une rhétorique simple et efficace. Elle comprit que pour se débarrasser de moi, il faudrait faire quelque chose, n’importe quoi. Elle n’avait pas de chocolat à m’offrir, alors elle appela le service de la communication. Qui lui confirma la situation. Qu’elle me confirma. J’acquiesçai. Puis elle appela de nombreux autres services, dont aucun ne décrochait. Elle me regarda. Je la regardai. Elle me dit :
« Personne ne décroche. » Je lui répondis « Oui. »
Elle réessaya quelques services selon des critères mystérieux. Quelqu’un enfin décrocha. Elle soupira. Elle entortilla son interlocuteur, et réussit à obtenir le nom d’un quidam probablement innocent.
« Bon, allez voir JM ! C’est lui ! Il pourra régler votre problème ! » Je demandai qu’elle me note le nom et le numéro du bureau, ce que j’obtins sans difficulté.
Je sortis, après quelques pas j’entendis le pêne s’enclencher doucement dans la serrure. Il lui faudrait bien quelques semaines pour s’en remettre.