Bref, lorsque mon histoire de swahilophone débute, le Masaï n'était alors que gardien de parking, et il me harcelait dans une langue incompréhensible.
A mon premier cours de kiswahili, je saisis que dire « bonjour » ne serait pas aussi simple que je l'envisageais, innocent que j'étais. Il fallait commencer par demander: « Hujambo? » (pas de problèmes?) L'interlocuteur répondait alors : « Sijambo, habari yako? » (pas de problèmes, et toi, les nouvelles?) Et il fallait répondre: « Nzuri sana! » (très bonnes!)
Et le préfixe changeait pour les questions et les réponses selon qu'on était plusieurs à saluer ou plusieurs à être salués.
Il y avait de surcroît la possibilité de demander: « Mambo? » (ça va?) A quoi on se faisait répondre: « safi » (« ça va », la version standard), « poa » (cool, la version djeunes), ou « fresh » (je sais toujours pas). C'était nettement plus simple mais carrément moins classe.
SURTOUT, surtout, ne pas dire « jambo », une formulation réservée aux touristes de bas étage ne panant que dalle, qui vous catégorisait directement au mieux dans la catégorie du Blanc de base, au pire dans celle du pigeon idéal.
Il fallait pas se planter.
Le lendemain, je décidai de laisser venir le Massaï. Le truc qu'il me dit ne ressemblait ni à « mambo » ni à « hujambo » ni à rien d'approchant. Je le haïs une fois de plus et continuai mon chemin sous son regard sarcastique.
Le surlendemain, j'étais résolu à ne plus lui laisser la main. J'attaquai direct par un « hujambo » franc du collier. Sans se démonter, il me répondit une nouvelle fois je ne sais quoi, mais ça ne ressemblait absolument pas à « sijambo ». Complètement désarçonné, je bafouillai un piteux « good bye » qui n'avait rien à voir avec la choucroute. Ordure de Massaï.
Les cours suivants et mes expériences quotidiennes me firent comprendre que le kiswahili réel était bien loin de la présentation idyllique que nous en avait faite le prof. D'autres déconvenues suivraient. Le prof nous a par exemple soigneusement caché, le plus longtemps possible, l'existence des 18 classes de noms, qui influent sur tous les éléments de la phrase (verbe, adjectif, pronom...). Evidemment, s'il nous l'avait annoncé d'emblée, combien seraient restés des 15 débutants? D'ailleurs, deux semaines après avoir découvert le pot aux roses, nous n'étions plus que deux. Comme disait cet arracheur de dents : « Le kiswahili, c'est une langue très simple, regardez par exemple la conjugaison du verbe, il n'y pas d'exception! » Certes, il n'y a pas d'exception, il y a juste 18 préfixes différents pour chaque personne selon la classe du nom (sans parler des divers suffixes et autres infixes). Quel enfoiré.
Pour ce qui est de mon Masaï... Il y avait un autre chemin pour aller au tribunal. Plus long, bordant une route fréquentée par des bagnoles qui auraient fait fondre instantanément tous les instruments de mesure d'une brigade antipollution malencontreusement téléportée ici par des extraterrestres facétieux et aurait probablement poussé au suicide ses agents. Cette route était finalement sympathique aussi. Je l'empruntai dès lors.