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Billet de blog 10 janvier 2025

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L’universel, l’inconditionnel, l’individuel et le commun

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Les hommes vivent et ne peuvent vivre que sur l’idée qu’ils ont quelque chose en commun où ils peuvent toujours se retrouver (…) un lieu commun où les hommes ont une solidarité toute prête. Albert Camus, Extrait de conférences et discours (1936-1958) [1]

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L’universel c’est forcément individuel et pour tout le monde. Si c’est pour tout le monde, c’est inconditionnel, car poser des conditions c’est exclure. Si tout le monde y a droit, c’est aussi un bien commun.

Un bien commun, c’est un bien universel auquel tout le monde a droit. Un bien commun, c’est une ressource partagée, gérée collectivement par une communauté dans le but de la préserver tout en permettant à tous et toutes de l’utiliser. Gaël Giraud [2], économiste.

Alors, pour appréhender cette belle idée d’une allocation universelle d’existence inconditionnelle (AUE) versée sans contrepartie, il est important de définir ce qui est universel dans notre condition d’être humain, de ce qui est nécessaire à chacun, où qu’il soit, quoi qu’il fasse, pour être pleinement un acteur social dans sa communauté politique. Nécessités vitales qui fondent les droits universels à l’existence, tels que ceux définis dans la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. C’est en particulier le droit à l’accès aux soins médicaux tout au long de la vie, le droit à l’éducation et à l’instruction, le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer, pour soi et sa famille, l’alimentation, le logement, l’habillement, l’accès à l’eau potable, à l’énergie, le droit de se déplacer librement. Pour la mise en œuvre de tous ces droits et faire en sorte que personne n’en soit privé, il faut mettre en commun les ressources nécessaires grâce à la solidarité de tous les membres de la communauté.

Ces droits universels concrets, comme les appelle le philosophe Fréderic Worms [3], que l’on a oubliés depuis 40 ans, sont nécessairement inconditionnels et individuels, ils ne peuvent dépendre de contingences familiales ou matérielles et ils ne peuvent être soumis explicitement à des contreparties. En d’autres termes, ils ne sont ni négociables ni monnayables.

L’instruction

Si l’accès gratuit à l’éducation et à l’instruction est encore bien incomplet, l’école laïque gratuite pour tous et toutes existe en France depuis la fin du XIXe siècle. C’est un droit universel, individuel et inconditionnel. Il reste, en ce début du XXIe siècle, à définir quel socle de connaissances et de savoirs un jeune doit maîtriser à l’issue de la scolarité obligatoire pour à la fois s’émanciper des déterminismes sociaux tout en partageant une culture commune.

L’accès aux soins

L’accès gratuit et inconditionnel aux soins est en grande partie assuré en France grâce à l’Assurance maladie administrée par la Sécurité sociale créée en 1945, financée par les cotisations sociales sur les salaires et la C.S.G. (Contribution sociale généralisée). C’est aussi un droit universel, individuel et inconditionnel, bien que la prise en charge de l’ensemble des soins soit de moins en moins garantie. La pandémie de la Covid-19 a révélé les failles de notre dispositif public de protection contre les maladies. L’exemple du port du masque est significatif et symbolique. Si l’on considère que pour protéger la communauté le port individuel du masque est une obligation universelle, alors il aurait dû être à la disposition de tous et toutes gratuitement et inconditionnellement depuis le début de la pandémie. Il s’agit d’un bien commun que l’on aurait dû préserver. À ce jour ce n’est pas le cas, le masque comme les vaccins ne sont que des marchandises comme les autres, accaparées par les groupes de distribution dans lesquels des entreprises privés font du profit aux dépens de la santé d’une partie de la population. La pandémie de la Covid-19 a révélé les limites de notre système de santé et le chemin qu’il reste à parcourir est encore long pour aller vers une prise en charge à 100 % des frais médicaux, pour que la santé de tous les membres de la communauté soit à la fois un droit individuel et un bien commun à préserver dans l’intérêt de l’ensemble du collectif.

Le gîte et le couvert

Aujourd’hui, pour garantir cette nécessité vitale, universelle, qu’est le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer pour soi et sa famille le couvert, le logis, se vêtir, l’accès aux services de distribution de l’eau et de l’énergie, il est obligatoire d’exercer un emploi correctement rémunéré. Le problème est que ce droit à un emploi correctement rémunéré est loin d’être universel. Aujourd’hui la centralité du travail dans la distribution de la richesse créée est remise en cause, ce qui a pour conséquence un assèchement des revenus d’activité pour une part de plus en plus importante de la population. L’économiste américain William Brian Arthur [4] observe que l’économie en est arrivée à un point où la production est largement suffisante pour satisfaire les besoins de tous, mais où les emplois générateurs de revenus suffisants pour accéder à toute cette richesse produite, se font de plus en plus rares.

À cette pénurie de revenus qui empêche de mener une vie sociale choisie, s’ajoute pour de très nombreuses personnes un sentiment d’échec et d’inutilité sociale que l’idéologie libérale cherche à nous faire considérer comme une faiblesse personnelle. Si on ne réussit pas professionnellement, si on ne trouve pas un emploi, c’est parce qu’on n’est pas assez performant, compètent, mobile, disponible ou qu’on est incapable de s’adapter aux exigences qu’impose le marché. Sans emploi, au fil du temps, les liens sociaux se défont. Sans stimulation, les compétences s’érodent. Dépendant d’aides de l’État, l’estime de soi s’éteint. D’actif on devient un assisté déconsidéré, stigmatisé. Les conséquences sur la santé physique et mentale de celui qui se trouve ainsi exclu de l’activité des hommes peuvent être irréversibles. À cette souffrance humaine individuelle s’ajoute un coût matériel et humain pour la société dans son ensemble qui se manifeste par une fracture sociale de plus en plus béante. D’un côté, les inclus, ceux qui réussissent dans un monde de plus en plus livré à la seule compétition individuelle, et de l’autre, les exclus, ce monde des assistés, ces citoyens de seconde zone assignés à vivre dans la précarité, dans une insécurité sociale qui ne manque pas de générer addictions et maladies, délinquance et violences. Insécurité sociale qui peut muter dans certains quartiers en insécurité civile quand les personnes et les biens ne sont plus protégés par l’État de droit. Le travail, plus ou moins contraint dans un emploi, est à la fois vital pour assurer les conditions minimales d’existence et pour se produire soi-même, se réaliser dans un environnement social et culturel. Mais trop souvent, pour assurer le premier objectif qui est de gagner sa vie, on sacrifie le second qui est de développer pleinement ses compétences, s’épanouir dans une activité choisie.

La pandémie de la Covid-19, n’a fait que révéler les énormes failles dans la distribution de la richesse par le travail. Malgré les aides d’urgence mises en place par le gouvernement, nombreux sont ceux qui ont vu leurs revenus fondre : artisans, commerçants, travailleurs indépendants, salariés précaires, étudiants privés d’emploi temporaire, saisonniers. Les plus fragiles dans la société, dépendants d’aides sociales, ont eux aussi vu leur situation se dégrader. Christophe Devys, président du collectif Alerte, affirmait en 2020 dans un article de Médiapart [5] :

Les plus pauvres d’entre nous ont à la fois dû subir une hausse de leurs dépenses, sur le budget alimentation notamment, et une baisse de leurs revenus car beaucoup ont perdu les petits boulots qu’ils pouvaient avoir. Tout ça a abouti à ce que le recours à l’aide alimentaire augmente de près de 50 %. Sans cette aide distribuée par les associations, beaucoup de personnes n’auraient pas pu s’alimenter. Ce n’est pas normal dans un pays comme le nôtre. En outre, avec la crise sociale qui nous attend, les choses vont encore considérablement se dégrader dans les mois qui viennent.

Quatre ans après rien à changer, bien au contraire, malgré la baisse du chômage le taux de pauvreté augmente.

            L’une des principales causes de la hausse de la pauvreté est la dégradation de l’emploi : on a fait baisser le chômage à coup de flexibilité, de précarité et d’emplois sous-payés. Il faut re-réguler le marché du travail et pénaliser les entreprises, comme les services publics, qui abusent d’une précarité de masse. Rapport sur la pauvreté en France -Édition 2024-2025 – Observatoire des Inégalités

Le gouvernement affirme que seul le travail peut permettre de sortir de la dépendance des aides sociales. La réforme du RSA mise en œuvre depuis le 1er janvier va dans ce sens. Mais aujourd’hui l’emploi n’est plus capable d’intégrer l’individu dans un mouvement d’ensemble de la société comme il a pu le faire dans le passé. Il ne réussit même plus à assurer ce droit à une existence digne, il n’est plus émancipateur ; au contraire, il n’est qu’aliénation.

Le principe capitaliste « qui ne travaille pas, ne mange pas » est devenu complètement archaïque au moment où le travail vivant contribue seulement de manière secondaire à la production [6].

La question centrale n’est donc plus comment produire davantage, mais bien comment mieux répartir la richesse créée. C’est le rôle d’une allocation universelle d’existence qui, en socialisant une part de la richesse créée par le travail et par le capital, permet de ne plus avoir besoin de recourir exclusivement à des emplois de survie. En garantissant inconditionnellement à chacun des conditions d’existence satisfaisantes, ce revenu universel, déconnecté de l’emploi, assure à chacun une égale considération, une égale dignité pour pouvoir exercer librement son métier d’humain [7], être soi, s’individuer [8], s’engager, créer de la valeur, et être utile dans la société grâce à la solidarité de tous ses membres. Libéré ainsi de la charge mentale d’assurer le lendemain pour soi et ses proches, on peut, dans une activité choisie, se donner pleinement en sollicitant toutes les ressources enfouies que chacun possède et ainsi contribuer davantage à accroitre la richesse et le bien commun tout en préservant ce bien précieux qu’est l’estime de soi. Pour la mise en œuvre de ce droit universel à l’existence, l’ensemble du corps social dispose des ressources suffisantes, tant au niveau des revenus d’activité que de celui des revenus du patrimoine. Il suffit de mettre en commun une part de cette richesse individuelle pour assurer à chacun ce revenu minimum garanti sans avoir à solliciter le budget de l’État. Cette véritable assurance-vie individuelle devient à son tour un bien commun qu’il faut administrer, préserver pour qu’il soit à disposition de tous et toutes.

L’idéologie libérale prétend opposer l’individuel au commun, elle cultive les différences et exacerbe les combats identitaires. Mais ce tout à l’égo montre aujourd’hui ses limites.

Au contraire, l’individuel et le commun se nourrissent mutuellement. L’ensemble de ces droits universels est le terreau, l’humus qui permet d’exercer pleinement sa liberté de penser, d’agir, de créer, de choisir. La liberté sans égalité des droits assurée par la solidarité de l’ensemble de la communauté n’est qu’une chimère. La possession individuelle d’un patrimoine inconsidéré , garantie par le droit à la propriété, n’est qu’un leurre, une drogue plus ou moins dure qui peut devenir une addiction et finir par asservir celui qui s’adonne à l’hybris [9], tout en privant l’ensemble de la communauté de son dû. En garantissant individuellement le droit à l’instruction, le droit à l’accès aux soins et le droit à un revenu minimum d’existence, en garantissant une égale considération, l’ensemble de la communauté se nourrit de ce bien être qui ne manque pas de démultiplier les capacités individuelles à enrichir le patrimoine commun fait de réalisations, d’infrastructures, de services, de biens culturels et de connaissances. Patrimoine commun dans lequel l’individu, chaque jour, peut se reconnaitre. Enfin rappelons qu il ne peut y avoir de démocratie réelle sans égale considération, sans égalité des droits humains et sans la solidarité des uns envers les autres pour garantir l’égale participation à la vie sociale et politique de l’ensemble des citoyens.

L’allocation universelle, en assurant en toutes circonstances le minimum vital, permet d’en finir avec cette insécurité sociale qui ne cesse de croitre dans l’ensemble des pays. Elle libère l’intelligence et permet ainsi de se projeter dans un avenir bien diffèrent de la servitude actuelle, plus ou moins volontaire, à un modèle de consommation. Le système existant nous liant à la corde d’un emploi subi pour, à la fin de chaque mois, consommer et posséder ce que le marketing nous enjoint de posséder et de consommer au mépris des ressources de la planète et du climat.

Un revenu non pas pour exister, mais parce qu’on existe. Ces mots du Prix Nobel d’économie britannique James Meade résument bien ce que doit être une allocation d’existence qui ne peut être qu’universelle, c’est -à- dire versée à tous les membres de la communauté sans condition.

 Guy Valette LA SCIENCE DU PARTAGE


[1] Cité dans le livre Notre métier d’humain, Éditions L’harmattan, 2020, en tête de la chronique Le métier d’homme de Sylvie Portnoy Lanzenberg, p. 43

[2] Pour les biens communs, Entrevue avec Gaël Giraud Par Jean Claude Ravet. Revue Relations, mars-avril 2015

[3] Fréderic Worms, «L’universel concret» est de retour, Libération, 13 mai 2021

[4] Cité dans un article de La Tribune de Genève du 13/11/2017 : la fin des emplois une société́ en forme de sablier.

[5] Article de Médiapart du 26 octobre 2020 Quand un chef économique se trompe lourdement sur le RSA

[6] Anselme Jappe, Les aventures de la marchandise, pour une critique de la valeur, Éditions La Découverte /poche, 2017

[7] Sylvie Portnoy Lanzenberg, Notre métier d’humain, Éditions L’harmattan, 2020

[8] Alors que dans le processus d’individualisation les individus s’affranchissent des contraintes sociales et ce faisant affaiblissent les liens sociaux qui donnent leur solidité aux institutions, ce qui vient en retour à fragiliser les individus, l’individuation, qui permet à chacun de se distinguer, se produit dans un milieu social dont elle se nourrit.

[9] L’hybris : la démesure dans la Grèce antique

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