Par Guy Valette : LA SCIENCE DU PARTAGE
L’Assemblée Nationale a voté ce mercredi 12 novembre la suspension de la réforme des retraites de 2023 qui prévoit le recul progressif de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Déjà on nous bassine avec le coût sur les finances publiques de cette suspension jusqu’en 2028. Déjà on prépare le terrain pour la mise en place d’un système de retraite par capitalisation avec la proposition de Gabriel Attal qui prévoit de créer à la naissance de chaque enfant un fond de capitalisation abondé par l’État de 1000 €; libre ensuite à la famille et à l’enfant devenu adulte d’abonder ce fond jusqu’à sa retraite. Outre le risque financier sur les marchés des capitaux, il y a la profonde injustice de ceux qui chaque mois sont à découvert et qui ne pourront ni abonder le compte de leur enfant , ni plus tard abonder leur propre compte et qui devront compter sur un hypothétique « minimum vieillesse » pour survivre après des dizaines années de labeur. Enfin il y a toute une génération qui devrait à la fois cotiser plein pot pour assurer les retraites de leurs parents et à la fois se priver pour abonder leur compte personnel.
Sommes -nous donc dans une impasse comme semble le prédire tous les experts économiques? Que faire pour sauver notre régime de retraite par répartition, fruit de la solidarité des actifs envers les aînés ?
Il faut partir du constat paradoxal suivant:
- Qu’il existe des retraités qui sont sous assistance de l’État et dans le même temps l’ensemble des 18 millions des plus de 60 ans sont très riches : 8 000 milliards de patrimoine net privé sur les 15 000 milliards de patrimoine de l’ensemble de la population française. Enfin le niveau de vie médian en 2021 des retraités selon l’INSEE était de 26 090 € pour 26 610 € pour l’ensemble de la population.
- Qu’aujourd’hui, les machines, les robots, l’intelligence artificielle, remplacent de plus en plus le travail humain et que que la rémunération du capital explose, mais la solidarité par les cotisations est toujours uniquement assise sur les salaires.
POUR ASSURER LES RETRAITES, ASSURONS L’EXISTENCE
Dans la perspective de garantir un niveau de vie suffisant aux retraités tout en soulageant le poids de la solidarité sur les actifs, on peut envisager de compléter la logique contributive actuelle sur les salaires des régimes de retraite par une logique redistributive avec un nouveau droit universel, indépendant de la durée de cotisation. Tout être humain devrait pouvoir disposer d’une pension minimale ( autour de 1100 € par exemple ) à partir d’un certain âge, par exemple 60 ans. Ainsi indépendamment de son parcours de vie, de sa vie professionnelle, on est assuré de disposer de quoi vivre décemment pour jouir pleinement de cette nouvelle étape de la vie.
Ainsi on peut dès à présent changer de pied :
- En créant cette retraite universelle de base fondée sur un système de redistribution horizontale qui repose sur deux principes:
- Principe de solidarité : Chaque retraité contribue en fonction de ses moyens à la satisfaction des besoins élémentaires de l’ensemble des retraités;
- Principe d’universalité : Tous les retraités reçoivent cette retraite de base et à la fois participent à son financement;A retraite universelle, contribution universelle.
- D’autre part, en répartissant mieux la solidarité entre travail et capital dans le partage de la valeur ajoutée en faisant en sorte que les cotisations, et en particulier la cotisation retraite dans le régime par répartition, soient assises sur l’ensemble de la valeur ajoutée, comme le préconisait déjà Sismondi au début du XIX° siècle et B. Hamon avec la taxe robot. Ainsi la caisse électronique, qui remplace un employé aux caisses dans un supermarché, contribue aussi à financer sa retraite par répartition.
- Le tout, retraite par répartition et retraite universelle, serait administrée par une branche de la Sécurité sociale.
Cette retraite universelle de base serait financée par les retraités eux-mêmes:
- par une cotisation sur leurs revenus ( pension de retraite d’activité , revenus du patrimoine ) qui se substituerait par exemple à la C.S.G.;
- d’autre part par une taxe sur les propres actifs nets des retraités avec une cotisation moyenne de 2 % par an.
UNE SOLUTION PERENNE,
Selon la DREES, en 2022, la pension moyenne de droit direct (y compris l’éventuelle majoration pour trois enfants ou plus), tous régimes confondus, s’établit à 1 509 euros bruts mensuels parmi les retraités résidant en France. Cela correspond à 1 400 euros nets par mois.
- Avec cette retraite universelle de base de 1100 €, on assure plus de 75 % du montant actuel. Une seule pension de retraite du régime général, calculée en fonction des trimestres travaillés et financée par les cotisations des actifs suffirait à compléter le dispositif tout en garantissant au total des pensions bien supérieures aux pensions actuelles pour plus de 90 % des retraités.
- La diminution de moitié de l’ensemble des cotisations pour les retraites sur les salaires ( régime général et régime complémentaire ) permettrait de réorienter une part des cotisations vers l’assurance maladie , renforçant ainsi significativement son budget pour aller vers une couverture à 100 % des risques; ce qui permettrait d’en finir aussi avec les assurances maladie complémentaires, qui coûtent un bras aux retraités, et de répondre aussi à la demande de soins croissante des plus âgés.
Ainsi on sauve à la fois le régime de retraite par répartition en soulageant la charge qui pèse aujourd’hui sur lui et en même on renforce l’assurance maladie pour aller vers une couverture universelle à 100 %. On répond au défi démocratique où les actifs sont de moins en moins nombreux pour assurer les retraites d’aujourd’hui.
UN SYSTÈME MOINS INÉGALITAIRE
Aujourd’hui autour de 600 000 retraités dépendent du minimum vieillesse pour vivre; Celui-ci est conditionné aux ressources du foyer. Ainsi si un des deux personnes dans le couple a des revenus supérieurs à 1605€, l’autre conjoint, sans revenus propres, ne peut prétendre à l’A.S.P.A. Avec cette retraite de base chacun perçoit au moins 1100 € ce qui corrige en partie les inégalités de carrière professionnelle et les inégalités de genre. Ainsi c’est la génération à la retraite qui prend en charge une partie du coût des pension de leur propre retraite par cette redistribution horizontale où chacun contribue en fonction de ses moyens pour la satisfaction des besoins de tous et toutes, soulageant ainsi le poids de la contribution de la génération des actifs.
La dégradation des droits sociaux ne doit pas être une fatalité. Nous avons les moyens grâce à la solidarité universelle de faire en sorte que la situation s’améliore pour l’ensemble des retraités qui dès 60 ans seraient libérés de toute obligation de travailler. Plus d’1 million d’emplois seraient ainsi mis à la disposition des plus jeunes; ce qui ne manquera pas à la fois de faire diminuer le chômage allégeant ainsi la charge de l’assurance chômage et de diminuer les congés maladie beaucoup plus fréquents en fin de carrière.
LE PARTAGE SAUVERA LE MONDE
Ce n’est pas dans le repli individuel avec une retraite par capitalisation que se trouve la solution mais bien dans l’extension de la solidarité à tous les âges de la vie. La mise en place de cette retraite de base universelle doit être une première étape pour aller vers l’instauration d’un revenu d’existence universel de la naissance à la fin de vie, pour assurer à tous les membres de la communauté ce droit imprescriptible à vivre dignement en toute circonstance, pour en finir avec la charité publique faite d’aides sociales qui assujettisent et divisent la société entre le « monde des assistés et ceux qui réussissent. »
Après les crises successives de 2020-2022 qui ont révélé aux yeux de tous les dégâts de quarante années d’abandon du bien commun, l’ensemble des forces sociales ne peuvent continuer à être spectatrices de leur propre anéantissement. Il faut être force de proposition pour se réapproprier ce qui doit nous être le plus cher : l’exercice d’un droit à une vie digne en toute circonstance.
Assurer des conditions de vie décentes par des droits sociaux universels n’est-ce pas la garantie de cesser de manger du malheur , de pouvoir jouir de toutes ses capacités, de trouver sa place dans la société des humains et ainsi de contribuer pleinement au bien commun, ceci à tous les âges de la vie ?