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Billet de blog 18 juillet 2023

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Loi « pour le plein-emploi » ou France: travail obligatoire

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Guy Valette,  LA SCIENCE DU PARTAGE

Le sénat vient d’adopter en première lecture la loi «  pour le plein-emploi« ; il sera examiné à l’automne à l’Assemblée nationale. Il donne naissance à «  France-travail » qui inclura pôle emploi et renforcera les conditionnalités pour le Revenu de Solidarité Active: tout allocataire de ce minimum vital devra s’inscrire obligatoirement comme demandeur d’emploi ainsi que son conjoint, concubin ou partenaire et devra signer un contrat d’engagement pour un retour à l’emploi. Bref c’est à nouveau le Service du Travail Obligatoire. Au lieu de transformer cette aide sociale, déjà conditionnée aux revenus et à la situation familiale, en un droit imprescriptible à une existence digne on continue à assujettir davantage encore les allocataires. Considérer que vivre de la charité publique ce serait profiter de l’argent public c’est méconnaitre la réalité quotidienne des personnes qui doivent vivre avec 600 € par mois, sous le seuil de pauvreté, c’est faire preuve d’un profond mépris pour tous ces allocataires qui voudraient bien pouvoir se libérer de la tutelle de l’État, de l’épreuve du guichet quand une administration tatillonne s’immisce dans les recoins les plus intimes de la vie.

Un des impacts négatif de cette loi est d’accroître le non-recours à cette prestation plus durement conditionnée. La conditionnalité des minima sociaux et le risque de sanctions aggravent les facteurs de non-recours : crainte de la stigmatisation, complexité des règles et des devoirs, peur du contrôle, crainte d’une sanction arbitraire… Ce non-recours augmentera le taux de pauvreté et diminuera encore les capacités des individus à se loger , à se déplacer à se soigner. Enfin la radiation des allocataires « négligents » et la conversion d’allocataires pauvres en travailleurs pauvres sur des emplois précaires et mal payés ne fera qu’accentuer ce phénomène, tout le contraire de ce que l’on serait en droit d’attendre d’un revenu minimum garanti.

Le « retour à l’emploi » ne se décrète pas et n’a pas à être imposé à des personnes qui pour de multiples raisons ne retrouvent pas une activité rémunérée et qui ont déjà bien souvent épuisé tous leurs droits au chômage. Allocataires qui aussi sont assignées à résidence par un système d’aides dont le montant est conditionné aux revenus d’activité; en acceptant un emploi souvent précaire, à temps partiel, ils doivent assumer des coûts supplémentaires ( transport, garde d’enfants) alors que les aides diminuent de plus de 40 %.(1)

LE RSA : NI DROIT, NI DEVOIR

On nous dit que le RSA serait un droit qui exigerait en contrepartie des devoirs; en particulier celui d’accepter les injonctions des conseillers de pôle emploi à accepter une activité. Le problème est que le RSA n’est pas un droit mais une aide ciblée et qu’un droit à un revenu minimum garanti est inconditionnel parce que vital; en conséquence il ne peut être aliéné à des devoirs. Il s’agit d’une conception infantilisante et réductrice de ce qu’est le droit à vivre dignement en toute circonstance. Ce droit est un dû de la communauté à tous ses membres pour garantir les conditions concrètes d’existence dans le respect de chacun et chacune. Pour le garantir, la communauté a elle le devoir de se doter de moyens financiers et humains suffisants.

C’est parce que la distribution de la richesse par le travail est de plus en plus erratique, parce que les droits sociaux sont insuffisants pour garantir tous les risques que l’État, en dernier recours, à dû mettre en place des aides sociales ciblées, curatives, conditionnées, non contributives; il y a les aides aux familles, les aides au travail dont la prime d’activité, les minima sociaux comme le RSA. Au fil du temps, sous l’effet des politiques néolibérales qui ne cessent de dégrader les droits sociaux on est passé d’un système de Sécurité sociale fondé sur le principe de solidarité à une protection sociale fondée sur la charité publique ( Alain Supiot)

« La charité est encore blessante pour celui qui l’accepte » ( Marcel Mauss). Avec le RSA et la loi à venir il s’agit d’une véritable mise sous tutelle des  » perdants » du système économique que l’on nous impose.

Il s’agit d’une atteinte à la liberté individuelle, à la dignité et cela conduit à une véritable ségrégation sociale entre le « monde des assistés «  et ceux qui contribuent par l’impôt à cette solidarité pendant qu’une petite minorité fait sécession à coups d’optimisation fiscale.

« Le système des aides sociales, c’est le moyen de faire taire les classes laborieuses qui prennent de plein fouet les ravages du capitalisme mondialisé. »  C’est ce qu’écrivait déjà en 1907, Simmel, philosophe et sociologue allemand.

Au lieu de stigmatiser tous ceux qui ne réussissent pas par le travail à subvenir à leurs besoins, il serait temps d’aller vers une extension des droits sociaux pour garantir en toute circonstance une existence digne, pour garantir l’égale considération, l’égale citoyenneté de toutes et tous.

DE LA CONDITIONNALITÉ A LA REDEVABILITÉ NATURELLE

Rudger Bregman dans son livre Utopies réalistes ( 2) cite une expérience menée au Libéria. Pendant 3 ans on a donné sans conditions 200 € à un public particulier constitué de victimes d’addictions comme l’alcool ou autres drogues et de petits délinquants. Au final ils s’étaient libérés de leur addiction et ils avait créer de petites entreprises.

Greg Duncan, Professeur de l’Université de Californie (3) a calculé que si tirer une famille américaine de la pauvreté de manière préventive couterait 4500 $ par an, le « retour sur investissement » serait de :

  • 12,5 % d’heures travaillées en plus,
  • 3000 $ d’économie annuelle en frais de services sociaux,
  • 50 000 $ à 100 000 $ de revenu supplémentaire dans une vie,
  • 10 000 $ à 20 000 $ de revenus fiscaux de plus pour l’État.

Lorsqu’on aide une personne on attend pas une contrepartie immédiate, celle-ci, comme l’explique Marcel Mauss dans son essai sur le don doit se faire naturellement avec le temps. L’aide, comme le don, comme l’octroie d’un droit doit instaurer une forme de confiance en une réciprocité naturelle entre tous les protagonistes qui se construit autour de lien sociaux. C’est tout le contraire d’un échange marchand fondé sur la défiance qui libère immédiatement celui qui offre comme celui qui achète de tout lien social. L’acte d’achat est quasiment instantané, le lien entre le vendeur et l’acheteur est aussitôt rompu, une fois le paiement effectué. Il en est de même d’une aide conditionnée qui réduit la portée de cette aide à une série d’obligations contractualisées : le RSA contre 15 heures d’activités sinon rien.

Naturellement, les conditions objectives d’existence étant assurées, tout être humain va rechercher, en se faisant éventuellement aider, à disposer de toutes ses capacités pour s’insérer dans la société et à son tour créer de la richesse, assurer des services marchands ou non marchands, tout cela inconditionnellement , dans une redevabilité naturelle. Au contraire poser des conditions à une aide ne fait que réduire la portée de cette aide en assujettissant et donc en réduisant la capabilité (4) de l’allocataire. Le rôle des services sociaux devraient être entièrement dédié à l’accompagnement dans l’ émancipation et l’ épanouissement de l’allocataire et non dans des contrôles abusifs et intrusifs et à la distribution de sanctions comme c’est le cas actuellement , ce qui réduit encore les capacités à vivre sereinement au lieu de les développer.

Ainsi contrairement au RSA, le droit à un revenu minimum garanti doit rester inconditionnel. Les heures d’accompagnement des allocataires de minima sociaux ne peuvent pas être de l’activité déguisée mais bien des actions de reprise de confiance en soi, comme l’affirme le comité ALERTE.

il ne peut y avoir de liberté ni de démocratie réelle sans égale considération, sans égalité des droits humains et sans la solidarité des uns envers les autres pour garantir l’égale participation à la vie sociale et politique de l’ensemble des citoyens pour que chacun puisse exercer pleinement son métier d’humain (5).

________________________

(1) Aujourd’hui le montant du RSA pour une personne seule est de 607 €. en travaillant 15 heures par semaines c’est un revenu d’activité net de 550 € environ au SMIC. Mais le RSA n’est plus que de 58 €, diminution partiellement compensée par la prime d’activité de 334 €. La perte sur les aides est de 215 € ce qui revient à une taxation sur les revenus du travail de 39 % ! Le revenu d’activité net se réduit à 5,55 € au lieu de 9,11 €. Ce qui n’est pas un encouragement à une reprise d’activité.

(2) Rudger Bregman – Utopies Réalistes – Éditions du Seuil -2017 – page 37

(3) Rudger Bregman – Utopies Réalistes – Éditions du Seuil -2017 – page 64

(4) Une « capabilité » est, suivant la définition qu’en propose Amartya Sen, la possibilité effective qu’un individu a de choisir diverses combinaisons de « mode de fonctionnement ». Les « modes de fonctionnement » sont par exemple se nourrir, se déplacer, avoir une éducation, participer à la vie politique. Nicolas Journet synthétise le concept d’Amartya Sen en indiquant que la « capabilité » est « la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement ». Il affirme que ce terme de « capabilité » contient, à lui seul, l’essentiel de la théorie de la justice sociale développée par Amartya Sen, et que « son écho auprès des instances internationales et des acteurs du développement humain en fait aujourd’hui une des raisons pour lesquelles le développement d’un pays ne se mesure plus seulement à l’aide du PIB par habitant » Wikipédia

( 5) Sylvie Portnoy Lanzenberg Notre métier d’humain, Éditions L’harmattan 2020 en référence à Albert Camus qui dans La peste écrit sur le « métier d’homme ».

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