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Billet de blog 1 avril 2025

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Une bonne engueulade

Alors que la bureaucratisation de nos collectifs se poursuit, voici une authentique engueulade sur fond d'usage de soi du travailleur.euse et du syndicaliste. Et de la fin de la gratuité des transports en Haute-Garonne.

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Une bonne engueulade

Le matin du 27 Mars, je manifestais devant le Capitole – la mairie de Toulouse – contre le plan social annoncé par la présentation du budget 2026. Nous étions 2000 peut-être.

L’avant-scène

Alors que j’écoutais les prises de paroles – comme mon oreille me le permettait - Je reçois par une de mes innombrables listes signal que les transports scolaires du département (Haute-Garonne) ne seront plus gratuits. Un message s’en suit « et la gratuité pour RSA et chômeurs aussi ».

Mon cœur s’emballe. Ces transports gratuits c’est mon mode de vie. Je travaille en train, me déplace en train, traverse le département en train. Je prends le train et le métro aussi souvent que possible. Une part de moi pense que c’est encore une annonce. Le hasard faisait que la suite de ma journée était de renouveler mes droits (tous les 6 mois).

La marche à suivre a toujours été celle-là, posant déjà de nombreux problèmes : il faut se déplacer à ce guichet unique départemental. Alors que tout est numérisé, « applicationné », et « possible de chez soi », bénéficier de la gratuité des transports ne pouvait se faire qu’au « guichet de la gratuité départementale et région », en gare routière de Matabiau (Toulouse). Centralisé donc, posant déjà l’immense problème au sud du département qui doit payer un billet pour aller se faire faire une gratuité. Je ne compte plus le nombre de gens qui expliquaient au contrôleur qu’ils étaient en train de ne pas payer pour aller bénéficier de leurs droits de ne pas payer.

J’aime le train, ceci explique ce texte. Je trouve que c’est une formidable invention. Un formidable usage de son temps. Une formidable possibilité d’être proches les uns des autres. Une organisation sociale et spatiale formidable.

L’engueulade

Maintenant que j’ai présenté l’état de mon cœur, cela vous expliquera pourquoi en arrivant au guichet je n’ai pas réussi à poser une question d’usager qui a clarifié sa pensée en amont. J’ai dit : « C’EST VRAI ? ». L’homme derrière la vitre hausse les deux sourcils et me dit « quoi ? ». J’ai dit « est-ce que c’est vrai ? ». J’ai vu, je t’ai vu, tu avais compris guichetier.

Le duel commença alors. J’ai dit « mais personne n’est au courant. » Il lance « ah bah ça a été annoncé pourtant. » J’ai dit « pardon ? ». Il m’a dit « bah oui. » Le début était mollo sur le vocabulaire.

Il me montre alors L’affiche. Je pars sur la gauche de mes pensées. « J’habite à Saint-Gaudens, vous savez le sud du département. Ça n’est annoncé nul part. Je viens jusqu’ici pour le savoir. » Il me répond – et là je crois que tout a commencé - « On ne va pas tous vous prévenir par texto. »

A ce stade du texte, sachez que je n’ai pas les expressions anciennes « mon sang n’a fait qu’un tour », « j’ai bondi dans mes guenilles ». Ce que je sais, c’est que j’ai dit « vous vous foutez de moi ? j’espère que vous avez conscience de ce que vous dites. Nous allons crever, on ne va pas y arriver à vivre, et vous me parlez de texto. Ressaisissez-vous. » Et j’ai enchaîné : «  il n’y a eu aucun préavis à la population, c’est d’une violence inouïe. Qu’est-ce qu’on va faire ? Vous croyez que la vie est pas assez chère ? Et comment on va faire nous ? Vous avez coupé le département en deux. On ne va pas tenir, nul part. »

Je suppose que lui, c’est le « vous » qui l’a rendu fou. « Madame, laissez moi parler sinon on n’est pas dans un dialogue. » J’ai rien dit, j’ai attendu son pion. (En plus il m’avait pas dit « monsieur », c’est sympa et rare). « Vous ne vous adressez pas aux bonnes personnes. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? L’affiche est là, on ne pouvait pas tous vous prévenir. Ça a été annoncé, et si vous n’êtes pas contents, ce n’est pas à moi qu’il faut le dire. »

C’est tout ? C’est tout ce que t’as ? J’ai renchéri « Purée mais vous faites quoi derrière votre guichet ? Syndiquez-vous ! ». Je voyais les collègues sortir de leur bureau, écouter. Et j’en suis sûre, qu’ils le savaient que nous serions là. Que moi ou d’autres nous arriverions pour leur tirer les oreilles. Ils ne m’ont pas jeté ni demandé de me calmer. La file d’attente regardait. Sourire ou tentative de comprendre. Je suis sûre que ce peuple désuni est avec les fous.

- Mais vous croyez quoi madame (un ton un peu gnagnagna) ? qu’on n’est pas syndiqués ?

J’ai tutoyé direct. Je reviens d’une manif contre le plan social toulousain, on va perdre nos métiers, et tu me dis la tête haute que tu es syndiqué. Mais que fait ton syndicat ? Mais je sais ce que fait son syndicat. Il préservera l’emploi et le pouvoir d’achat, il s’en prendra aux « collègues » pas assez mobilisés, et il en oubliera qu’il est peut-être du devoir d’un syndicat de faire des campagnes citoyennes sur ce que les travailleur.euses vont devoir « annoncer » aux autres travailleur.euses.

J’ai dit « mais putain, mais bougez ! A quoi va servir même votre guichet de gratuité sans gratuité ? Vous êtes dingues ! »

Mon corps bouge, et je pars un peu. Mais lui en veut plus. Il bondit de sa chaise et me dit « allez vous plaindre aux bonnes personnes merde. » Et j’ai dit « je ne me plains pas, et oui c’est le travailleur que j’engueule ! Comment pouvez-vous accepter ? ». Il m’introduit aux petits papiers de la lutte « Nous avons un devoir de réserve, vous devez le savoir, nous ici on ne peut rien faire. Vous le connaissez Vincini (NDLR le président du conseil départemental). Allez lui dire à lui ! » D’un coup j’avais l’impression d’être son voisin. Allez voir le syndic si vous n’êtes pas content des pigeons.

Et là on était au cœur du débat. « Bien sûr que c’est à vous que je parle ! Bien sûr que c’est au guichet ! Vous croyez que nous avons accès à ces gens ? Comment vous osez me faire croire que vous pensez ça ! C’est votre chef, c’est vous qui y avez accès. Nous on va juste crever de ces décisions. »

Je ne pouvais plus supporter l’idée que nous ne devrions pas nous engueuler entre travailleurs et que nous n’engueulons jamais la bonne personne. Bien sûr ce jeu est vaste. Peut-on parler avec respect, avec vocabulaire, est-ce une agression ? Moi je vois sans cesse des gens, des pauvres, d’une éloquence manifeste tenter de s’exprimer quelque part, reconstituant éphémèrement le lien d’évidence qu’il devrait y avoir entre nous : nous avons raison, nous avons des droits, nous ne sommes pas cons.

Ici c’est une grosse affaire. Ce texte c’est mon point n°1 et j’espère que d’autres en auront d’autres. En sortant j’ai retrouvé mon amie, qui pendant 5 min, écrivant un texto, ne savait pas ce qui se passait. Et les gens sortent du guichet et bien sûr s’adressent à moi. Une première femme, accompagnée de son enfant autiste que j’avais stressé. Je m’excuse auprès de lui. La femme souriante me dit « Non je lui ai expliqué, c’est pas la dame, c’est pour nos droits. » et lui répétait « y’a toujours des embrouilles maman, je t’ai dit que je ne voulais pas les voir. » Elle m’explique qu’elle ne sait pas ce qu’elle va faire. La gratuité des transports lui permettait de vivre sa vie avec son fils. Elle ne travaille pas car elle ne trouve pas de structure qui l’accueille. Une femme en suivant sort et dit « vous aussi, ils vous ont refusé ? » mon amie dit « Oui, c’est une décision générale. c’est la fin de la prise en charge du coût des transports par le département. » La dame s’interroge, nous dit qu’elle est mère seul avec un enfant. Qu’elle pense qu’ils n’ont pas compris sa demande au guichet. Qu’elle va y retourner. Puis elle se dit abasourdie. Elle regarde le vélo de mon amie et dit « bah oui voilà on va se mettre au vélo j’imagine.  J’y crois pas. »

Sans préavis à la population – à ce jour même aucun article n’en parle ni aucun communiqué départemental - les transports de la Haute-Garonne et de Toulouse métropole ne sont plus accessibles par la « Solidarité » départementale. Le train pour Saint-Gaudens est à hauteur de 18€ (il a augmenté récemment). 36€ l’aller-retour pour rejoindre la métropole. L’abonnement mensuel du métro est à hauteur de 57€, 1,80€ l’aller. Il n’y a à ce jour aucune tarification intermédiaire à part de nous renvoyer à ce que prend en charge la région. Jusqu'à ce que la région elle-même...

Je me rends compte en dernier lieu que je m’en suis même pas pris à la fin des transports scolaires gratuits (45€ par an + 15€ par enfant..).

La suite est à construire. Mais moi j’ai commencé par une bonne engueulade.

28 Mars 2025

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