Le froid gagne la moyenne ville de Besançon dans le Doubs au moment où j'écris ces lignes. Le quartier de Palente est baigné dans un épais brouillard blanc. Nous sommes le jeudi 27 novembre 2025, il est 22h24 du soir. Si je devais verser des larmes cette nuit, ce serait pour l'horizon des possibles voilé pour toute cette jeunesse française. Aujourd'hui, un peu plus tôt, au cœur de la journée, vers midi, le chef de l'État français s'est adressé aux jeunes pour leur présenter le nouveau service militaire.
Pourquoi faut-il que les journées soient aussi courtes lorsque l'automne se dirige tout droit vers la saison censée être la plus froide de toutes. Je plains cette jeunesse à qui on offre pour seule perspective celle de se préparer à la guerre. Il s'agit sûrement du passage d'un monde à l'autre. Quelque chose que je n'arrive pas à discerner encore clairement, d'un moment de paix vers une course à la guerre… N'est-ce qu'une préparation ? Ou bien plutôt une transition vers autre chose ? On dit qui veut la paix prépare la guerre… Mais on pourrait tout aussi bien dire qui veut la guerre prépare la guerre.
Pour avoir travaillé auprès de militaires en tant que formatrice, j'ai pu constater à quel point les engagés de carrière étaient des hommes et des femmes disciplinés et disposant d'un véritable sens du service. J'ai pu expérimenter leur envie de persévérer, de réussir pour eux-mêmes, et peut-être aussi pour une chose plus grande qu'eux-mêmes… En tant que formatrice, je ne pouvais pas rêver de meilleurs stagiaires pour transmettre les techniques du journalisme, domaine que j'aime tant.
L'engagement - pas nécessairement militaire - est une notion qui me plaît, à titre personnel. S'engager, c'est s'élever par la force de quelque chose que nous ne saisissons pas tout le temps mais qui est pourtant clair… quelque chose de plus grand que soi. Cela peut tout à fait être une grande idée ou un sentiment noble… Quelque chose qui nous emporte au-delà de nous, simples mortels, habitant une planète perdue de l'univers. Espérer cela à tous les hommes, toutes les femmes ne me paraît pas du tout mal en soi. C'est même une notion assez positive… Du moins, pour ce qu'elle a de romantique et romanesque.
Quoi de plus beau que d'être portée par les aspirations d'une espérance qui nous dépasse, de valeurs qui nous transcendent de part en part… On n'agit plus pour soi en tant qu'homme mais pour chaque homme en soi. C'est assez beau, grand et digne d'une vie pleinement humaine… Voilà une image digne des plus nobles histoires de preux chevaliers du Moyen Âge.
Mais, dans les faits, tout de même, est-ce aussi simple que ça ? N'édulcorons-nous pas la vérité pour y projeter ce qui nous arrange, en omettant ce qui est bien plus sombre. S'engager, ce n'est pas juste vouloir suivre une voie, c'est vouloir, s'il le faut, aller jusqu'au bout du bout du chemin. C'est accepter qu'à un moment donné, il faudra aussi peut-être donner sa vie pour cette réalité qui nous dépasse, qui nous transcende et qui nous habite.
Honnêtement, je souhaite que tout homme et toute femme connaissent un Amour dans leur vie pour lequel ils seraient prêts à tout quitter et à tout donner. Mais, si j'étais l'objet de cet Amour, par exemple, il me serait tout aussi insupportable de savoir que j'ai été la cause de la perte d'un être ayant de telles aspirations. Quand on parle de l'Amour du pays, de la patrie et qu'on est prêt à mourir pour elle… Je me demande à quel point le pays sentira cette insupportable culpabilité d'avoir perdu un cœur, un courage prêt à tout sacrifier pour lui ? L'Histoire récente nous a appris que les politiciens avaient une fâcheuse tendance à récupérer ces parcours pour les façonner à leur propre image…
Est-ce une façon digne de traiter nos héros ou nos martyrs ? Je ne crois pas, les peuples de façon générale n'aiment pas ça non plus, à part quand cela va dans le sens des intérêts individuels de certains éléments qui les composent. Mais ce n'est pas la somme des parties qui fait le tout d'un peuple qui aspire à des idées aussi nobles que la liberté, l'égalité ou la fraternité…
C'est le tout qui incarne chaque partie et qui finit par dépasser la totalité pour se répandre, se diffuser dans le cœur et la conscience de chacun. Il y a des vérités que l'on veut imposer et d'autres qui s'imposent d'elles-mêmes. Les petits politiciens qui comptent les points aux prochaines élections ne comprennent pas cela, trop concentrés, sûrement, à la course au prochain scrutin.
Alors à toutes les jeunesses, d'aujourd'hui et de demain, je voudrais dire ceci pour finir : un grand Amour implique de hautes responsabilités. Mais cette responsabilité qui vous incombe, on vous la doit aussi. Engagez-vous de quelque manière que ce soit si vous sentez que c'est votre chemin, soyez des héros, mais pas des martyrs.