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Billet de blog 15 mai 2023

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Hommage à Alain Le Guyader (1946-2023)

Alain Le Guyader fut philosophe, sociologue, enseignant. Son engagement intellectuel et sur le terrain s'est traduit par de nombreux projets rassemblant des penseurs, universitaires et/ou professionnels, étudiants, et simples auditeurs pour mettre en débat les thèmes qui lui étaient chers : les droits de l’Homme, la sociologie et la politique, les relations internationales.

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Un parcours d'exception

« Je suis devenu philosophe un certain jour de novembre 1964, quand mon prof’ de philo, Henri Chemouilli (auquel je succéderai quelques années plus tard), nous rendit les copies de la compo. J’étais premier ! Donc je serai philosophe. Ce fût aussi simple que ça. Elle m’arriva comme une bonne fée et je l’embrassai » (…) Ma vivacité intellectuelle comme mon indépendance séduisaient certain-e-s de mes enseignant-e-s qui se désespéraient parfois de ne pas pouvoir me faire tenir en place. (…) En raison de mes origines sociales : je n’ai jamais été dans les clous, ignorant des règles du jeu, et d’abord de celles de la langue française. Aussi bien n’étais-je pas socialement destiné, parait-il, aux études supérieures ».

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Alain Le Guyader, lors d'une conférence

Issu d’une famille bretonne des Côtes d’Armor, Alain Le Guyader était un enfant de milieu social modeste. Son père était agent de la RATP et sa mère était venue dans sa jeunesse en région Parisienne, comme de nombreuses jeunes femmes, pour trouver du travail dans les ménages, puis à la SNCF. L’ascenseur social avait fonctionné pour lui et il termine son parcours professionnel en tant que Vice-Président de l’Université d’Evry.

 Docteur en sociologie Alain Le Guyader a commencé sa carrière de professeur de Philosophie à l’Académie de Versailles et de Rouen et à L’École normale d’Evreux.

Enseignant invité à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), au Départements de Sciences politiques et de Sociologie (sur la Démocratie et la question nationale), il est à son retour, chargé de cours à Paris VII puis Maître de Conférence en Sociologie à l’Université d’Evry Val d’Essonne (UEVE) de 1992 à 1998.Il y assure des cours sur les Droits de l’Homme, l’argumentation, l’intégration, la citoyenneté, la démocratie ; Il devient Responsable pédagogique de la Licence et de la Maîtrise de Sociologie en Formation Continue de 1995-1998.

 Il prend ensuite la Direction de l’IUP : Aménagement et Développement Territorial de 1998-2012, et enseigne sur différents sujets : Structures et acteurs sociaux ; intégration et société ; citoyenneté et démocratie.

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Alain Le Guyader, portrait

En 1993 il crée le Diplôme d’Université, 3° cycle, interdisciplinaire : « Citoyenneté, Droits de l’Homme, Action Humanitaire », qu’il dirige. Ses enseignements portent sur L’Histoire et la philosophie des Droits de l’Homme ; La Démocratie, la citoyenneté et la République ; le racisme et les discriminations ; la tolérance et la laïcité.  Dans ce cadre il développe 2 masters : « Ville, Territoires et Gouvernance et Développement Territorial » (FI et FC); et « Coopérations et Solidarités Internationales » Les cours abordent les thématiques de Gouvernance et gouvernement ; Géopolitique et relations internationales ; Multiculturalisme, interculturalité et pluralisme culturel ; éthique et responsabilité.

 En 1999, Il co-crée le DESS/Master : « Droits de l’Homme, Droit humanitaire, Droit pénal international », à l’Université de Dschang, Cameroun et le DESS/Master : « Citoyenneté, Droits de l’Homme, Action Humanitaire », Université Cheick Anta Diop, Dakar, Sénégal. Il développe alors de nombreux liens professionnels et personnels avec le continent.

Il poursuit ses activités de recherche en tant que membre de plusieurs laboratoires de renom : Laboratoire du Changement social (LCS), Paris VII, LSCI, CNRS, GEPECS, Paris V, CREDHO, IEDP, Paris XI, Centre Léon Duguit-Université d’Evry.

Co-organisateur et co-animateur de colloques et journées d’études et conférences en France et à l’étranger, autour en particulier des Droits de l’Homme et de la Démocratie, de l’Action Humanitaire, de la Coopération et de la Solidarité Internationale, des discriminations, il assure également des interventions dans le cadre de conventions internationales universitaires en particulier avec les Université de Dschang (Cameroun), et l’Université Cheick Anta Diop (UCAD) (Institut des Droits de l’Homme et de la Paix, Dakar (Sénégal), ainsi qu’un certain nombre de missions de coopération internationale en Afrique. En 2003 il est convié à contribuer à plusieurs évènements en hommage à Vladimir Jankélévitch.

Alain Le guyader a également été co fondateur et co-directeur de plusieurs revues  : C'est-à-dire (Éditions Arcantère), Collection : « La nation en question », aux Éditions UGE/10/18, Collection « Histoire et Émancipation », aux Éditions Arcantère. Il publie dans de nombreuses revues et éditions comme : 10/18, Éditions Arcantère, Édition La Découverte, Revue des Hautes Études Francophones, Lignes, Édition USTL et L’Harmattan, Revue Internationale de Psychosociologie, Les Cahiers de l’Ateliers, Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Dschang (Cameroun), Panoramiques. Presses de L’Université Laval, Québec), Éditions du C.E.D.E.R., Grotius International – Géopolitiques de l’Humanitaire.

À sa retraite dans sa maison familiale, à Paimpol (22),il développe des activités locales en prenant des responsabilités associatives en tant qu’Administrateur et Vice-président de La Ligue de l’Enseignement (22) et Administrateur et co-président du Résia (Réseau Éducation Solidarités Internationales Armor).

Fervent adepte de la démocratie participative, il propose et anime de très nombreux débats en particulier dans le cadre de l’Université du Temps Libre ( UTL) dans sa région : Les Rendez-Vous philo du Goëlo. À Paimpol, il proposait, depuis dix ans, des ateliers philo avec son ami Pierre Guérin. Ce duo et la médiathèque avaient également mis en place, « Les rendez-vous philo », qui avaient réuni beaucoup de monde autour de thèmes de société et d‘invités de grande qualité.

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Alain Le Guyader et Laurent Mauduit

                                        Sur le concept de sagesse

                                       ( extrait d’un brouillon …)

Unité de sens ? Pluralité de significations.

De la philosophie comme moment intellectuel de l’émancipation. Moins une discipline qu’une manière de faire fonctionner son psychisme, son intellect, son esprit ou comme on voudra appeler l’organe de la pensée et son élément. Penser et philosopher en ce sens c’est la même chose. Donc pas une affaire de spécialiste. Mais dire qu’elle ne sert à rien est une fausse évidence d’esthète élitiste. Ultimement philosopher ça donne le moral. Et lucide. C’est sa dimension existentielle. Avec peut-être en prime une forme de sagesse. D’où ami de la sagesse ! Avec l’ironie comme antidote aux certitudes dogmatiques et aux absolus moralisateurs. Expression de la liberté qui fait signe vers un autre sérieux. Celui du caractère problématique de toute existence et de tout savoir. 

Quelques témoignages

Americo Nunes Da Silva -Historien et Enseignant chercheur en retraite

(…) Alain était mon ami de très longue date ; elle doit remonter aux abords immédiats qui ont suivi la grande crue de mai 1968.

Alain et moi nous nous sommes abreuvés à la source de la critique, telle qu'elle émerge à l'aube des Lumières qui ont irradié sur toute l'Europe en formation et en quête d'elle-même, par delà tous les désastres et tous les fléaux qui s'étaient abattus sur elle depuis la "découverte", ou plutôt la mal-encontre d'avec l'Autre, des Amériques en passant par "l'écoute" de cet Autre, la colonisation, l'esclavage, la traite des africains la destruction des Indes et des Afriques, (selon Bartolomé De Las Casas) les guerres de religions, et j'en passe, à travers la proclamation des "Droits de l'Homme" et de leur éventuelle universalité possible, mais qui ne saurait se concrétiser qu'en tant "qu'utopie concrète" en tant qu'Un-Tous.

(…)Au cours de nos innombrables discussions, où nous étions largement d'accord sur l'essentiel, malgré quelques désaccords formels, sur tel ou tel objet philosophico-politique, avons constaté notre accord sur notre refus d'un certain rationalisme obtus et européo-centré sans pour autant sombrer dans une quelconque forme d'irrationalisme, tout en articulant nos démarches à partir d'un horizon irréductible à tout dogme, à partir de la raison critique et utopique. C'était la vision anticipée de cet horizon ouvert que constituait l'utopie qui nous rassemblait et qui incarnait le socle de notre amitié. Ce que nous avions encore en commun c'était notre agnosticisme à l'égard de toute théologie qu'elle soit religieuse ou politique, le refus de toute tolérance répressive comme le disait Herbert Marcuse, le "politicalement- correct" d'où qu'il vienne. Nous souhaitions un monde, à la fois naturel et humain, ouvert aux "quatre vents de l'esprit" les laissant souffler afin d'empêcher la clôture de l'ouvert qui seul ouvre "des-mondes-dans-le Monde". Ce que je regrette à sans jamais me consoler, même si comme le disait le romancier anarchiste Stig Dagerman "notre soif de consolation est infinie" c'est qu'Alain n'est plus là pour nous aider à constituer d'un point de vue anarchiste, ce "monde commun dans le Monde". (…)L'éternité viendra nullement de Dieu ou des dieux, mais d'un spinozisme-agnostique-animiste -sauvage, pour illuminer en un éclair fulgurant nos yeux plongés dans les océans tourmentés de notre Mémoire contre l'oubli.

(…)Nous n'étions pas religieux, nous ne croyions ni à Dieu ni au Diable  des religions monothéistes, à l'exception du judaïsme de l'errance mais nous réfléchissions intensément au monde où nous vivions dans sa matérialité concrète et abstraite. Quant à l'Utopie et sa révolution, nous disions comme Thomas More dans son oeuvre l'Utopie, que nous la souhaitions plus que nous ne l'attendions.

Thierry Choubrac  Responsable de mission Médecins du Monde Caen- ancien Secrétaire Général

À l'aéroport de Brazzaville le 18 mai 1997 j’ai rencontré Alain Le Guyader après plusieurs échanges téléphoniques. Il avait invité le secrétaire général de Médecins du monde que j’étais pour un colloque : démocratie et droits de l’homme.
Le départ de Mobutu agitait Kinshasa et de Brazzaville, nous en sentions les répliques. Le colloque ne durera que 48 heures, ce qui nous fournit plusieurs jours pour faire amplement connaissance Alain et moi.
J'ai été tout de suite séduit par son intelligence pénétrante, sa riche culture et son identité, chaleureuse et généreuse.
Après Brazzaville, nous sommes rencontrés mainte fois.

Pour mémoire des 1998, nous avons participé avec Michel Forst à la belle aventure de l’association “Article Premier ”qui réunissait 33 Associations à l’occasion du cinquantenaire de la déclaration universelle des droits de l’homme, dont Monsieur Badinter était le président de la commission interministérielle créé à cette occasion
Universalité et indivisibilité des droits de l’homme. C’était un axe essentiel pour lequel Alain brillait dans la construction d’argumentaires solides Ses convictions et sa maîtrise du sujet pouvaient s’exprimer pleinement.
Depuis 1997 nous avons participé ensemble une bonne dizaine de séminaires ou colloques organisés par l’un ou l’autre et bien de rencontres informelles et amicales.
J’aimais chez Alain sa pensée complexe qui s’exprimait avec une élégante fluidité. Son aisance conceptuelle n’esquivait jamais le roc du réel. Il avait un jugement aiguisé mais quelques fois abrupt qu'il formulait néanmoins toujours avec discernement.
Puis ce fut la retraite. Alain à Paimpol, et moi à Caen . Nos échanges téléphoniques étaient devenus une évidence au fur et à mesure du temps . J’allais plusieurs fois lui rendre visite.

En 2016, il m’invita à une soirée philo à propos de la migration. Il savait combien ce thème m’était cher.
Il y a deux ans, c’était au médecin qu'il demandait de lui trouver un bon chirurgien à Paris. Et cela récidiva au début de cette année. À mon message de soutien la veille de l’intervention, il me répondit dès le réveil de l’anesthésie : nickel pour moi et toi? Cela était un saisissant résumé de son humour et de l'attention qu'il portait à l'autre.
Depuis comme dit Pierre Fedida, ma pensée a pour espace la douleur. Douleur blanche de l’absence. La "rencontre intellectuelle" improbable de Brazzaville était devenue une profonde amitié.
Alain, Je continuerai de te parler, et j’aurai comme réponse la chaleur de ta voix profondément intériorisée.

 Pierre Guérin - Conférencier 

En 2016, Alain, fidèle à son engagement dans l’éducation populaire, intervenait en philosophie pour l’Université du Temps Libre à Paimpol. Il apprend qu’un historien universitaire paimpolais, François Chappé, avait dans sa thèse rétabli la dure réalité sociale de la pêche paimpolaise à Islande, réalité occultée par la mythification romanesque. Il prend l’initiative de le remettre en lumière dans le cadre des « ateliers philo du Goëlo » qu’il anime également. Comme je m’étais intéressé aux travaux de cet historien, qui avait été un de mes plus proches amis, je fais la connaissance d’Alain : le courant passe aussitôt entre nous et voilà le début d’une trop courte mais belle histoire d’amitié intellectuelle. 

Découvrant que j’avais autrefois enseigné la philosophie dans un lycée agricole, Alain me propose de m’associer à ses interventions philosophiques à Paimpol. Nous mettons donc en œuvre une animation à deux voix, histoire de montrer qu’en philosophie il n’existe pas d’autorité dogmatique. Ce fonctionnement en binôme s’est d’abord révélé fructueux lors de « mises en débat » ouvertes à tout public à la médiathèque de Paimpol, autour de questions éthiques et citoyennes qui nous tenaient à coeur.

Plus récemment, dans « l’atelier philo » organisé par l’UTL, au lieu d’un thème unique de cours ou de conférence, nous avons engagé une initiation à la réflexion philosophique. Nous nous proposions non pas de dispenser des vérités mais d’interroger, sur un plan philosophique, les questions qui taraudaient les participants.

Cette conduite du questionnement à deux bénéficiait de la stimulation réciproque de nos différences de parcours de vie, de tempéraments, d’approches philosophiques et même d’engagements. Ce plaisir partagé de nos différences ne faisait qu’un avec notre attachement aux droits de l’homme et à l’universalisme et avec notre conviction de la capacité de chaque individu à exercer son jugement éclairé. Son départ met fin à notre duo, mais la musique d’Alain continue à chanter dans ma tête, accompagnée de son écho chez d’autres Paimpolais : exigence intellectuelle et chaleur amicale, goût du débat à la fois vif et tonique mais toujours bienveillant, besoin insatiable de partager les connaissances et de communiquer à tous la passion pour la réflexion inséparable de l’engagement citoyen.

Bruno Mauvais - Responsable de la médiathèque de Paimpol

« Alain aura su partager jusqu‘au bout son exigence intellectuelle, son goût du débat, sa curiosité et sa volonté de faire connaître et de faire savoir »

Dominique Charnassé - ancien élève 

Alain Le Guyader fut mon professeur de philosophie en classe de terminale, en 1973/1974, au lycée Albert Camus, à Bois-Colombes.

Alain fut un passeur d'idées lors de cette année de synthèse, marche entre le secondaire et l'enseignement supérieur. Il jonglait avec les auteurs classiques (Aristote,... ), nous faisant découvrir Freud, Wilhem Reich, Antonio Gramsci et la puissante pensée de Karl Marx. Il fut un éveilleur de conscience citoyenne, nous donnant symboliquement comme manuel de base des extraits sur la connaissance et l'action.Il fut un faux désinvolte qui cachait sa force de travail et de conviction, un esprit brillant, tolérant, rempli d'humour subtil et de gai savoir.

Je lui serai éternellement reconnaissant d'avoir été pour ses élèves une étincelle érudite, espiègle et humaniste bienveillant, à l'instar du rôle assuré par l'instituteur Louis Germain à celui éponyme de notre lycée de rencontre. Merci pour ta démarche faite de questionnements et de mise à notre disposition d'outils conceptuels pour nous découvrir intérieurement et dans la multitude de la cité.

 D.C qui te doit beaucoup, y compris pour avoir forgé la confiance indispensable pour grandir. 

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Alain Le Guyader à Bréhec

Ses derniers projets en devenir   

Les Mots de la Tribu - Atelier d’auto-défense intellectuelle (à la Fabrique à Parole)

Alain Le Guyader 

Cet Atelier m’a été inspiré par le documentaire de Zoé Lamazou et Sébastien Koegler : Le Vrai du Faux. Et nous devons l’idée « d’auto-défense intellectuelle » au linguiste et activiste américain Noam Chomsky (93 ans au compteur, pas une ride dans sa pensée !). Nous avons échangé avec Zoé qui a un projet similaire qu’elle intitule : « Le pouvoir des mots »..

L’idée que je propose est la suivante : interroger collectivement les mots qui circulent dans l’espace social, qui passent et repassent en boucles, repris de bouches en bouches en sifflant aux oreilles leurs petites musiques. Raison pour laquelle je parle de « mots de la tribu ». Les mettre à distance et nous en saisir pour leur faire rendre raison peut être une riche aventure commune et qui plus est salutaire.

Ce sont des mots familiers qui codent la réalité sociale, faisant office de grille de lecture et de compréhension immédiate. Ils flottent, ils volent, virevoltent même comme des évidences massives qui n’appellent en général aucun commentaire ni aucune question. C’est qu’on croit savoir, et c’est en fait ce que disent les messages subliminaires de ces mots. Ils s’imposent d’eux-mêmes et suscitent notre croyance, et fonctionnent comme des idoles aveuglantes, le plus souvent inaperçues. Souvent ils saturent l’espace public de la parole et figent, enferment la pensée. Avec des conséquences qui n’ont rien d’innocentes : parfois comiques, parfois paradoxales ou parfois dramatiques. Voire pire ! On peut s’entretuer pour des mots ou tuer avec des mots. Les plus anodins parfois.

Ainsi, et ce ne sont que des exemples qui me viennent : « Migrants et réfugiés », « terreur et terrorisme », « modernisme », « genre et genré-e », « ethnique », « race et racisé-e », « radical », « modéré », « extrémiste », « discrimination », « participatif », « les communs », « intersectionnel », « communautarisme  », « authentique » et bien d’autres. Y inclus des anglicismes générationnels ou publicitaires (« il faut être ‘dans le game’ » !). Certains de ces mots sont valorisés, d’autres honnis, d’autres sont apparemment neutres, ou d’autres encore silencieux mais actifs. Dans tous les cas ils produisent des effets !

Au vrai n’importe quel terme peut être objet d’interrogation, de déconstruction, de réflexion collective dès lors qu’il circule et qu’il fait sens pour un groupe, une classe voire une société toute entière. Qu’est-ce qui se dit et que voulons nous dire quand nous entendons, quand nous employons ces termes ? Ou que veut-on nous dire et/ou nous faire croire (en dehors de tout complotisme !) ? Qu’est-ce qui nous parle ? Dans les deux sens de l’expression : ce qui fait sens pour nous (mais lequel ?) et ce qui parle en nous (à l’insu de notre plein gré ?).

C’est à une telle analyse critique (et ludique !) faisant appel à l’intelligence collective que cet Atelier convie. Et chaque membre du groupe peut y proposer un terme et le mettre en débat. On s’accorde sur un terme lors d’une séance et on le passe au crible la séance suivante. Ce qui suppose que la ou les personnes qui proposent un terme travaillent un peu leur affaire ! Et jouent même, éventuellement, le rôle d’animateur ou d’animatrice ! Mais que les autres, ou d’autres, y réfléchissent aussi un peu. Ne serait-ce que sous la forme de récolte des usages ou occurrences d’un mot, ou bien sous forme de rêveries informelles !

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Alain Le Guyader avec Americo Nunes da Silva et Mukuna

Il s’agit donc d’une mise en commun de nos questions et de nos analyses. On pourra ainsi se demander dans quel genre de discours et dans quel cadre social un terme est employé, quelle argumentation il porte et transmet l’air de rien, quel sens latent ou manifeste lui est donné, quels autres termes il appelle et avec qui il forme réseau. Et quel type d’effet social et/ou psychologique il produit. Bref ce sont les usages sociaux en cours qui vont nous intéresser et sur lesquels nous porterons un regard critique. Sans s’interdire de voyager dans leurs profondeurs historiques (quand un mot apparait-il et pour dire quoi ? Quelles sont ses migrations et ses dérives ?), et de déceler des couches de sens qu’un terme coagule ou refoule. Au risque d’y voir plus clair ! Et de favoriser des prises de conscience. Sans obligation de consensus !

Au total je conçois cet Atelier comme un lieu participatif et convivial de libre prise de parole, égalitaire à tous égards, où chaque voix compte et chacun-e apporte ce qu’il a dans sa besace (plutôt que dans sa poche révolver !), un peu comme les veillées d’antan. Et de fait chaque séance sera un moment de veille intellectuelle. Il s’y retrouverait sans doute un noyau de personnes, mais il doit être ouvert à toutes celles et tous ceux qui le désirent et que tel terme taraude.

Enfin, j’imagine cet Atelier comme un rendez-vous périodique, par exemple tous les deux mois, histoire de ne pas perdre le fil.

Les ouvertures Africaines à Paimpol

Il y a 2 ans environ, une idée, une envie est née : Faire une exposition des oeuvres de Mukuna Kashala (un ami plasticien et conteur Africain)…Cette idée a fait son chemin, et le projet des « Ouvertures Africaines » ( contes et musique dans les écoles, littérature francophone d’Afrique et exposition). Le projet a vu le jour avec l’association L’Image Qui Parle basée à Paimpol.

Si Alain tenait tant à ce projet, au-delà de l’amitié et de l’art, il s’agissait encore et toujours de rendre justice…. Paimpol a été un lieu où la traite négrière s’est aussi imposée. Amener les Ouvertures Africaines à Paimpol, était pour lui un véritable message de mémoire à travers la littérature, les contes, la musique, les arts visuels….la boucle est bouclée….

L’exposition qui se prépare au mois de mai à la Halle de Paimpol, lui sera dédiée. Elle a pour titre : Traversées des Mondes…. Comme il l’avait choisi…pas mal ! C’est bien de cela dont il s’agit non ? de son passage du monde du visible au monde de l’invisible…

Un héritage à transmettre

Au-delà de ses nombreuses publications déjà éditées, il a confié à son entourage proche la lourde tâche de rendre accessible un certain nombre de ses textes parus ou en préparation sur les thèmes suivants :

Revendication démocratique et projet révolutionnaire, Philosophie et Droits de l’Homme; Ethique et morale ;

Une approche philosophique des Droits de l’Homme ; Notes sur l’Universel des Droits de l’Homme ; Les Droits

de l’Homme et la question des limites ; Afrique et Droits de l’homme-Contre le relativisme ; Questions éthiques

de l’humanitaire ; Éthique, autorité et bien commun ;Préjugé, identité et préjudice ; Jankélévitch sur

l’ambivalence du droit et l’ambiguïté des Droits de l’Homme, et sur le pardon ; Politique, République et

émancipation ; Tutelle, autonomie et responsabilité ; Les Idéologues : Saint-Simon, Casto, Ethnicité…

Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été ;

désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir vécu est son viatique pour l’éternité.

(Vladimir Jankelevitch)

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© Alain Le Guyader avec Mukuna Kashala

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.