Aujourd'hui 21 janvier, nous avons marché dans la rue pour la liberté, pour l'égalité, pour la fraternité. Ainsi nous manifestons notre résistance. La loi d'immigration est contre la liberté, contre l'égalité, contre la fraternité. Nous la déclarons anti-constitutionnelle. https://21janvier.fr/
Aujourd'hui, j'aurais nettement préféré aller marcher dans la neige avec Alioune. Ou aller voir ma mère. Ou rester au fond de mon lit à lire Mahmoud ou la montée des eaux d'Antoine Wauters.
Si la loi passe, l'an prochain, il y aura sans doute encore de la neige.
Mais je n'irai pas marcher avec Alioune. Alioune actuellement n'a pas de titre de séjour. Il travaille dur. Souhaite finir ses études en France. Travailler comme climaticien. Il n'a rien fait de mal, pourtant il a constamment peur de la police. Quand je lui parle de la nécessité d'occuper la rue, il ne comprend pas. La rue, il l'a occupée tout un été, nuit et jour et c'est une chose difficile à raconter.
Nous avons marché dans les rues de Strasbourg. Devant la préfecture, il y avait des rangées de CRS et nous avons de crier nos slogans. Être visibles, ne pas avoir peur de la police, c'est un luxe mais c'est une chose fragile. Se peut-il que demain, nous aussi nous ayons peur de la police?
Alioune fait partie de notre famille désormais. On peut dire qu'il est tout à fait intégré. Pourtant il n'a toujours pas de titre de séjour. Si la loi passe, demain, il pourrait tout aussi bien être considéré comme délinquant. Simplement du fait de son occupation sur le sol français.
La loi d'immigration est anti-moi, anti-nous, elle nous attaque.
Aujourd'hui, j'ai marché dans la rue pour protéger ma famille élargie et la mettre à l'abri. J'ai marché pour que chacun.e d'entre nous se sente légitime d'occuper la rue. J'ai marché contre la peur. J'ai marché contre la loi qui tranche nos liens et fait grandir la haine.
Si la loi passe, la semaine prochaine, j'irai toujours voir ma mère. Elle se souvient d'avoir un jour traversé la Méditerranée pour venir habiter en France. Cela fait plus de 70 ans. Le père de mon père a traversé les Alpes pour venir travailler en France. Cela fait bien 100 ans. Je porte un nom d'origine étrangère et j'en suis fière. Je suis fière d'être française, issue d'un brassage. Lamia porte un nom de famille d'origine étrangère. Si la loi passe, ses enfants né.es sur le territoire français seront-ils considéré.es comme français.es ?
Ma mère a 91 ans. Lamia s'occupe d'elle : elle fait le ménage, l'aide dans ses gestes quotidiens. Ensemble, elles prennent le café, le matin. Qu'elle soit marocaine ou bien française, est-ce vraiment la question ? Nous sommes reconnaissantes à Lamia du travail qu'elle effectue et de son attention envers notre mère. Si la loi passe, Lamia perdra ses droits aux allocations. Elle travaillera toujours pour ma mère mais de façon plus précaire. Comment la regarderons-nous en face sans ressentir profondément l'injustice ?
La loi d'immigration est anti-moi, anti-nous, elle nous attaque.
Aujourd'hui, j'ai marché dans la rue pour défendre cette mémoire familiale. J'ai marché pour que chacun.e puisse se sentir fier d'être français issue d'un brassage.J'ai marché pour que chacun.e puisse bénéficier des mêmes droits peu importe l'origine. J'ai marché contre cette loi qui détruit l'égalité et fait grandir la précarité.
Si la loi passe, demain, je lirai mon livre au fond de mon lit. Les mots auront-ils la même force? Autour de moi, j'entends dire : « je ne suis pas raciste ». Autour de moi, j'entends dire : « je suis humaniste », « je suis pour les valeurs de la France ». Liberté, égalité, fraternité, ce sont les valeurs de la France, écrites sur le fronton des mairies. Si la loi passe, ces mots seront vides. Comment pourrais-je croire à la liberté lorsque des gens seront empêchés de circuler ? Comment croire à l'égalité lorsque des gens pris ensemble dans les mêmes territoires de vie n'auront plus les mêmes droits ? Comment croire à la fraternité quand la loi fait grandir la suspicion d'être ou non légitimes sur le territoire français ? Je pense que les mots sont vivants. Je pense que lorsqu'on dit : « la semaine dernière il y a eu 7 morts dans la Manche. » ce ne sont pas que des lettres. Je pense aux morts que cela a été. Je pense à ce que ça aurait pu être si d'autres mots avaient été posés. Je pense aux vivant.es. Je pense à ce que les mots font aux vivant.es. Je pense à ce que les mots font pour rapprocher les vivant.es.
La loi d'immigration est anti-moi, anti-nous, elle nous attaque.
Aujourd'hui, j'ai marché dans la rue et j'ai scandé des mots. Egalité, Fraternité, Liberté, j'ai scandé ces mots. J'ai marché pour que ces mots continuent à nous rassembler. J'ai marché contre cette loi qui nous rend muet.tes et nous dépossède de la vitalité des mots.
Contre cette loi, je marcherai encore.