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Billet de blog 24 octobre 2024

Myriam Dhume-Sonzogni

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que la parole vive encore!

« De rien rien ne peut venir », dit le Roi Lear de Shakespeare. Aujourd'hui, le silence engendre le silence - et en l'absence de son, les légions de la tyrannie gagnent du terrain sur nous, et sur vous.  Le silence tue : ne nous tuez pas. » (Sulayman Al Bassam, tribune de 16 octobre 2024, Médiapart)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chaque jour de nouveaux mots fleurissent

que nous ne connaissions pas

Urbicide pour tout abri ruiné

scolasticide pour tout le savoir ravagé

éducide pour l’interdiction de grandir

légicide au mépris de tous les droits

futuricide pour l’horizon monstrueusement avalé

Quand aucun mot existant ne suffit à dire l’effroi qui se répand, devrions-nous inventer de nouveaux mots ?

dignicide, notre humanité anéantie

lumicide, le soleil troué d’obus

empathicide, l’indifférence comme une marée noire qui lentement nous engloutit

fraternicide, tous ces liens arrachés

vocacide, ces voix déchiquetées

Quand retiendrons-nous les mots de cette course vers le néant ?


La poésie est impuissante face à ce génocide auquel nous assistons.

Le silence est bien pire encore.

« De rien rien ne peut venir », dit le Roi Lear de Shakespeare. Aujourd'hui, le silence engendre le silence - et en l'absence de son, les légions de la tyrannie gagnent du terrain sur nous, et sur vous. 

Le silence tue : ne nous tuez pas. » (Sulayman Al Bassam, tribune de 16 octobre 2024, Médiapart)


Je nous propose de résister au silence en diffusant autour de nous les mots des poètes palestiniens et des poétesses palestiniennes. 

Imprimons leurs paroles et inondons les bancs publics, les sièges de train, les banquettes de salle d’attente, les tables des salles de paroles, le monde autour de nous. Collons ces mots sur les murs, apprenons-les par coeur, illustrons-les, récitons-les… Qu’enfin le silence soit ouvert… ensemble, semons les mots dans ce silence !

Voici quelques extraits de poèmes issus de l'anthologie de la poésie palestinienne d'aujourd'hui (éditions points) Les textes ont été traduits par Abdellatif Laäbi et réunis par Yassin Adnan.

                               *

Pardonne-moi de ne pas m’être retournée
de t’avoir laissé seul
comme on abandonne les hyènes
à leur nuit
regardant derrière elles
Et peut-être
peut-être
c’était cela mon visage

Asmaa Azaizeh

              *

Nous sommes tous les rejetons de la mort, sauf que
nous sommes sa famille préférée. Et quand je
rejoindrai ceux de la famille qui m’ont précédée et
qu’ils me demanderont : Qu’as-tu laissé derrière toi
pour les vivants ?, je leur répondrai d’une voix
étouffée, la bouche sèche : Eh bien la vie !

Colette Abu Hussein

          *

As-tu encore ces yeux pleins de bonté
comme une maison de campagne ?
As-tu encore ces cheveux secs
qui semblent pleins de poussière
dès que passe sur eux la lumière du soleil ?
Qu'ont-ils fait de toi ?
Que manque-t-il à ton image ?
Parle-nous
Aide notre imagination pour que nous puissions te
voir.

Raid Wahach

        *

Une fois
nous croyons que nous sommes à bord d’une
embarcation
et que le monde qui nous entoure
n’est que poissons
Une autre fois
que nous ne sommes
qu’une forêt
et que le monde qui nous entoure
n’est que tireurs d’élite

Yahia Achour

      *

La liberté est une statue d'argile
se craquelant sous le soleil du littoral
et les chansons n'en savent rien
Mieux vaut que celle qui attend dans le couloir
ne sache pas que son petit est mort
en salle de soin intensifs
Que faisons-nous dans notre pays
devenu une colonie ?

Najwan Darwish

      *

Qu'allons-nous faire des routes
après la disparition de la direction ?
Des mains
après la découverte des lèvres ?
Qu'allons-nous faire...
de tout ce qui advient maintenant ?


Maya Abu al-Hayyat

      * 
Les arbres dans notre ville
sont bleu ciel
Avec le ciel ils ne forment qu’un
Nous les humons seulement
Nous les touchons, pas plus
Veux-tu t’asseoir à l’ombre ?
Ici, tous les endroits sont ombragés
les trottoirs
les rues
les maisons
Parfois nous aspirons au soleil
mais nous n’en parlons pas

Ashraf al-Zaghl


       * 
Pour écrire une poésie
qui ne soit pas politique
je dois écouter les oiseaux
Et pour écouter les oiseaux
il faut que le bruit du bombardier cesse

 Marwan Makhoul

        *


J'ai dit :
Même l'herbe n'est pas à l'abri ici (…)
J'ai dit que mon sentiment d'étrangeté était causé
par la langue, et je me suis abstenue de parler
pendant longtemps, puis j'ai fait signe à tout le
monde : Taisez-vous !
J'ai alors senti une étrangeté plus grande
j'ai pleuré à chaude larmes, et repris la parole
Cette fois, j'ai beaucoup parlé
tenu des propos plus denses et tristes
J'ai parlé de parodie dans la vie
et de nouveaux procédés
permettant de décrire
ce que la vie fait de nous.

Enass Sultan

               *
Nous ne sommes plus assassinés au moment où le
monde dort
Le monde est tout à fait éveillé : il chante, il danse
Certains lisent nos nouvelles, celles qu’ils peuvent
supporter
Certains autres, moins nombreux, manifestent, quand
ils en ont le temps
Et notre monde arabe, sur des charbons ardents
Attend que les Mille et Une nuits se terminent
Que tu puisses t’en sortir seule, Gaza
En « contant » les milliers de victimes…

Yahia Achour

              *
Je veux préparer du pain
mais dans les champs, pas de blé
Il n’y a qu’un épouvantail en lambeaux
faisant davantage peur aux paysans
qu’aux corbeaux
Je veux pétrir une lune
mais je n’ai pas de four adapté
à sa rotondité surélevée
C’est pourquoi j’ai décidé d’avaler mon coeur tout cru
car il n’y a pas de feu dans la ville

Hind Joudeh
 
               *
Pars avec moi, ô poésie
Toi et moi, nous sommes tristes
mais réjouies de la vie et ses dangers
des chardonnerets
sur les pierres-témoins des tombes
des réjouissances qui finissent en larmes
Pars avec moi, ô poésie
Toi et moi nous sommes heureuses
nous contentant d’un seul signe de l’arbre
« Venez, ô malheureuses ! » nous lance-t-il
Nous nions avoir été appelées
puis nous nous asseyons sous lui
amies intime
la poétesse et sa bosse,
la poésie et sa lanterne

Hala Chrouf

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