Frédéric Beigbeder est un homme kaléidoscope. Son personnage ressemble joliment à ce " jeu de miroirs et de fragments de verre mobiles, diversement découpés et colorés, produisant des figures qui varient à chaque secousse ". De cette richesse naît une personnalité complexe, difficilement accessible, qui charme les uns et irrite tout autant les autres. Selon le moment auquel vous le croisez, l’homme est écrivain, critique littéraire, journaliste, éditeur, mais aussi dandy parisien, anticonformiste, fêtard, etc.
A Brive, président cette année de la Foire du livre, Frédéric Beigbeder fut également lecteur, le temps d’une soirée, pour un voyage dans les mots de celles et ceux qui ont apposé leur empreinte dans sa chair.
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Le miracle des disparus
« Je ne suis pas acteur ; ce soir je suis devant vous en tant que lecteur », commence Frédéric Beigbeder en prenant place à la table bistrot installée dans le chœur de la chapelle Saint-Libéral.
Dans la salle, toutes les chaises sont occupées ; chacun attend quasi religieusement cette lecture/événement - une première à la Foire du livre.
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« Pour moi, la littérature est un dialogue avec des cadavres, avec des voix qui nous parlent, et c’est un miracle, grâce aux livres, de pouvoir écouter encore aujourd’hui ces voix. Oui, le luxe de la littérature, c’est entendre la voix de quelqu’un qui n’est plus là. »
La lecture débute par un extrait des Contrerimes de Paul-Jean Toulet, « un des plus beaux recueils de poésie du 20e siècle », précise Frédéric Beigbeder : À Londres je connus Bella,/ Princesse moins lointaine / Que son mari le capitaine / Qui n’était jamais là. Le ton de cette Bibliothèque idéale est donné, place au plaisir.
« Tous les écrivains choisis pour cette lecture, confirme le président le lendemain de cette soirée, se sont vus reprocher d’être hédonistes. Nous ne sommes pas toujours reconnaissants à cette famille d’auteurs et je souhaitais, par ce choix, rendre hommage à ces aînés qui m’ont influencé. C’est un peu comme une filiation même si je n'ai pas la prétention d'appartenir à cette famille. »
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L’écrivain, lecteur d’un soir pour le public, convie alors Dorothy Parker (Faute de mieux), Boris Vian (Vercoquin et le plancton), Sagan (Un certain sourire), Valery Larbaud, mais aussi les mots d’Henry Miller (Tropique du Cancer), de Salinger (L’attrape-coeurs) et de Vialatte (1968), maître jamais égalé de chroniques poétiques pour la presse quotidienne : "Le chêne est un arbre, le ciel est gris, les corbeaux tournoient dans le vent jaune, les feuilles pourrissent, les champs sommeillent, les romanciers attendent le prix Goncourt."
Ce soir-là, à Saint-Libéral, réveillant Blondin dans L’humeur vagabonde - "Un jour, nous prendrons des trains qui partent." - Frédéric Beigbeder est happé par cette voix qui le dénude.
A peine quelques secondes. Juste le temps d’une émotion partagée dans ce silence de chapelle. Loin du brouhaha de la Foire, une heure est offerte aux livres, à la littérature, aux mots qui traversent les temps et nourrissent les hommes.
Monsieur le président...
Samedi après-midi, celui qui a repris sa place d’écrivain au cœur de la foule, ajoute : « Cette soirée était un partage, un moment de générosité offert grâce à la voix de ces auteurs ». Puis une dernière lutinerie avant de reprendre la dédicace de ses livres :
« Je suis flatté car toutes les personnes que je croise ici me disent Bonjour Monsieur le président ! et dès que je vais rentrer à Paris, les gens que je vais croiser me diront simplement Bonjour ! ou peut-être rien du tout...». Mais le kaléidoscope réfléchit les figures à l’infini. Toujours avec harmonie.
Photo : Diarmid Courrèges
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Et aussi, l'édition des PPJ !