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Billet de blog 29 septembre 2025

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Comment la psychiatrie m’a rendue folle

Ceci est une alerte sur la tendance à transformer des traits de caractère ou des réactions contextuelles en pathologies. Derrière l'étiquette, ce sont des vies entières qui se retrouvent enfermées dans des diagnostics parfois hâtifs, sans nuance, ni humanité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a 8 ans, ma psychiatre m’a diagnostiquée bipolaire de type 2 : alternance dépression / hypomanie (énergie, pensée accélérée, logorrhée, graphorrée...). Je récuse ce diagnostic : mes dépressions ont toujours été contextuelles face à des crises familiales depuis mes 14 ans. Quant à l’hypomanie, elle n’était qu’un effet secondaire annoncé par la notice d’un antidépresseur que je venais de commencer. Mais pour les psychiatres, tout signe d’agitation est un symptôme de bipolarité. Ils adorent poser des diagnostics : cela leur donne sûrement l’impression de bien faire leur travail.

Suite à une énième dépression, toujours contextuelle mais cette fois sévère, je décide d’aller dans un hôpital de jour pour deux raisons : m’aider à me relever et, tant qu’à faire, vu que c’est un service spécialisé dans la bipolarité, demander une réévaluation de ce diagnostic.

Premier jour à l’hôpital. Je rencontre un jeune psychiatre. Il a les cheveux longs, chignon raté, bermuda, baskets. Il semble un peu baba cool. Avec son attitude zen, on le croirait en vacances. Je me dis alors qu’en fumant un bon pétard ensemble, nous devrions sûrement trouver un accord sur mon diagnostic. Je lui explique les raisons pour lesquelles je viens et lui raconte ma vie, pensant que je n’ai qu’une heure devant moi pour tout résumer. Je fais donc vite. Le verdict tombe : vous avez un trouble bipolaire mixte de type 2 (dépression et hypomanie simultanées). Alors là, chapeau ! Le mec, en 1h, il arrive à poser un diagnostic. Peut-être consomme-t-il une substance qui le rend ultralucide. Si je n’étais pas en rage d’être encore étiquetée par un diagnostic fondé sur ce que j’appelle des traits de caractère, je pense que j’aurais de l’admiration pour moi-même. Être triste et heureuse à la fois, c’est du génie ! Je le soupçonne d’avoir choisi la facilité : se contenter de confirmer l’avis de ma psychiatre, par flemme ou solidarité avec sa consœur.
Deuxième jour. Je rencontre une infirmière. Les infirmiers, plus nombreux que les psychiatres, nous font faire des ateliers thérapeutiques individuels pour nous aider à vivre avec la bipolarité. Ils se concertent ensuite avec les psychiatres pour discuter de chaque patient. Ce travail collaboratif est la seule chose cohérente et constructive du service. Au premier regard, l’infirmière me paraît niaise. Mon intuition se confirme.

Le prototype de l’infirmière complexée par rapport aux psychiatres, qui joue à la petite cheffe. Prenant donc un air supérieur, elle me demande : « Sur une échelle de 1 à 10, comment vous sentez-vous ? » Question type, à laquelle je suis habituée. Il m’est difficile de répondre. Je commence à lui expliquer que depuis que je suis prise en charge, le moral est bien meilleur... mais que sans cela, je serais toujours au fond du trou.

Difficile, en ce sens, de déterminer mon humeur. Mais je n’ai pas le temps de lui expliquer tout cela, car elle me coupe avec un mépris glacial : « Oui, donc vous ne savez pas ce qu’est une échelle des humeurs ». Je reste sidérée par une telle condescendance. Je garde mon calme et me résigne à lui donner un chiffre au hasard ; c’est de toute façon la seule chose qu’elle attend : cocher une case sur son petit tableau. En sortant, elle m’annonce que je n’ai besoin de venir à l’hôpital qu’une fois par semaine, ce qui contredit les deux jours annoncés par le psychiatre. Mais la despote insiste : « Non, vous n’avez besoin que d’une journée. » Réponse implacable, face à laquelle je ne peux plus rien.

Je rentre chez moi remplie de colère, pestant contre cette femme frustrée et méprisante.
Je commence à me braquer, et quand je me braque, ça braque fort.

Troisième jour. Le fameux test de bipolarité. Joie ! Cocher des cases, hors contexte et sans nuances possibles, afin d’obtenir un résultat implacable, tel un test de grossesse : bipolaire ou pas bipolaire. Le nombre de points obtenus vous colle définitivement une étiquette. Vous avez le sentiment de jouer votre vie. Si vous choisissez : « exubérance » en pensant que vous êtes d’un tempérament enthousiaste, le point reviendra à la bipolarité car c’est un signe d’hypomanie. Alors, à quel jeu vais-je jouer ? Celui du mensonge ou de la vérité ? Mais ma conscience morale est intransigeante : ce que je veux, moi, c’est la vérité. Donc il faut assumer, quitte à tendre le bâton pour me faire battre, en toute lucidité. Je me retrouve dépitée de devoir valider la jovialité dans laquelle je me reconnais, tout en sachant que cela sera retenu comme un symptôme. J’apprends au passage qu’être gaffeur ou altruiste sont aussi des traits d’hypomanie !

Autant vous dire que je passe un siècle sur ce test, bloquant sur chaque case à cocher.
C’est en réalité un contrôle technique que l’on nous fait passer : vérifier si tout fonctionne dans la tête, selon des critères précis et standardisés ! Moi, sujet ? Non, simple objet à inspecter. Le calvaire prend fin lorsque l’ordinateur plante. Je pars en courant, ravie de ne pas avoir à finir le test.
Quatrième jour. Nouvelle infirmière. Je lui dis me sentir soulagée et heureuse d’être enfin prise en charge. Elle me demande alors, plus vite que son ombre : « ... de l’euphorie aussi ? » Je sens une pointe d’excitation en elle : va-t-elle pouvoir cocher la case « hypomanie » si je réponds à cette question par l’affirmative ?

Dès lors, je comprends ce qui m’attend : je vais être scrutée jusqu’à la moelle pour trouver de potentiels symptômes. Un regard, un mot, un geste, un sourire : ils ne laisseront rien passer. A ce moment précis, je me dis que je vais avoir du boulot : surveiller tout ce que je dis, rire mais pas trop, ne pas être altruiste non plus... bref, être dans l’hyper contrôle et essayer de ne pas être moi. J’étais venue pour me reposer, me voilà de nouveau appelée au combat. Je ne lâcherai rien moi non plus.

Cinquième jour. Je revois le vacancier, toujours aussi relax. Je décide de passer à l’attaque. Je lui ponds un nouvel argumentaire : non, je n’ai jamais fait d’hypomanie. Mais celui-ci me répond : « Lors de notre première rencontre, je vous ai trouvée agitée ». Je reste sans voix. Il a trouvé un symptôme, il est content. Rassuré aussi peut-être... cela lui permet de valider le diagnostic qu’il a posé. Il faut bien trouver des symptômes pour justifier la pathologie ! Mais que puis-je rétorquer ? Moi, le pantin décérébré qui m’anime de manière inconsciente, sans aucune capacité à m’observer ni à m’auto-analyser ? Le médecin a dit, le patient subit.

Je ne sais pas réagir à chaud. Mais à froid, je suis impitoyable. Je rentre chez moi enragée et décidée à écrire un plaidoyer pour prouver que je ne suis pas hypomane. Ils ne m’écoutent pas ? Peut-être me liront-ils.
Au passage, le psychiatre m’a quand même filé une angoisse : et si j’avais été hypomane sans m’en rendre compte ? Je prends aussitôt un Lexomil. C’est productif l’hôpital, vous vous y rendez pour aller mieux, et vous ressortez plus anxieux qu’avant. Top ! L’angoisse d’être hypomane, je me la traîne depuis 8 ans, lorsque j’ai été diagnostiquée bipolaire : surveillance obsessionnelle de mes humeurs, pour être sûre que je ne fais pas d’hypomanie. A en devenir dingue. Ma vie était bien plus légère et agréable avant que ce diagnostic ne soit posé. Ce qu’ils nomment hypomanie sont plutôt, à mon sens, des compétences acquises pour survivre aux crises que j’ai dû traverser : ma joie de vivre, mon énergie et l’écriture qui me sert d’exutoire. C’est ce que dirait la thérapie systémique.

J’ai tout un week-end devant moi. Parfait. A l’attaque ! Je rédige 5 pages pour contester la « pathologisation » de mes traits de caractère. Je les somme de tenir compte des contextes et des nuances que je leur apporte lorsque j’admets avoir des réactions pouvant être confondues, si l’on est obtus, avec de l’hypomanie. Je leur demande de ne pas me coller une étiquette trop facilement, en ne se basant que sur des échelles d’humeur et des cases cochées. Je les implore de me traiter comme un sujet, et non comme un cas clinique analysé sur la seule base du DSM.
Le DSM ! On en parle ? Cela me démange : c’est le plus croustillant de l’histoire. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. La première version sort en 1952. Objectif : classer et décrire les troubles mentaux. En 1952, il comporte 100 diagnostics. La 5ème et dernière version, datant de 2013, en compte plus du double. On y trouve, parmi tant d’autres absurdités – à croire qu’ils ne savaient plus quoi inventer : le « Trouble explosif intermittent » ; autrement dit : se mettre en colère très fort, mais pas tout le temps. Autrefois, on appelait cela : « être colérique ». Aujourd’hui, c’est une pathologie. Peut-être que le DSM 6 nous dégotera le « Trouble de l’hilarité compulsive » : trop de fous rires, trop longtemps.

En bref, le DSM 5, c’est un catalogue de 200 façons différentes d’expliquer que vous ne rentrez pas dans la norme. Rassurez-vous : vous y trouverez une étiquette qui vous va !

J’ajoute alors deux pages de citations de psychiatres, sociologues et philosophes qui dénoncent la même chose que moi : le monde psychiatrique est en train de devenir fou et absurde.

J’apporte mes 7 pages rédigées à une infirmière qui me suspecte alors de graphorrée : j’ai trop écrit, je suis en hypomanie. Il va falloir mieux anticiper les contre-attaques.

Je disjoncte.

Depuis un mois, les psychiatres scrutent mes phases hautes, soi-disant pour m’aider. Je leur réponds : « Vous avez mal compris : ce que vous appelez hypomanie est précisément une force, ce qui m’empêche de vivre, ce sont mes dépressions. » Je pense que ce sont eux les malades : « Trouble obsessionnel compulsif ». Moi aussi je sais poser des diagnostics !

Mais quand ils tentent de m’assommer avec un antipsychotique, je dis : « stop ». Là, je ne rigole plus. Tandis que beaucoup se laissent abrutir par des médicaments qui musellent la pensée et la capacité à se défendre contre des surdiagnostics, je refuse pour ma part que l’on m’arrache ma lucidité et ma liberté. Cette psychiatrie malade est en train de me rendre folle.

Pour clore cet article, sachez que ce vous venez de lire constitue un cas classique d’hypomanie, partagé par tous les écrivains du monde : la graphorrée.

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