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Billet de blog 8 mai 2014

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Alexandrins pour temps de ténèbres

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je sais que par instants le public devient froid

Pour le bien et le mal, pour le crime et le droit,

Le comble de la chute étant l'indifférence ;

On vit, l'abjection n'est plus une souffrance ;

On regarde avancer sur le même cadran

Sa propre ignominie et l'orgueil du tyran ;

L'affront ne pèse plus ; et même on le déclare.

À ces époques-là de sa honte on se pare ;

Temps hideux où la joue est rose du soufflet.

La jeunesse a perdu l'élan qui la gonflait ;

Le tocsin ne fait plus dresser la sentinelle

Oui, sire, aux mauvais jours, sous quelque méchant roi

Féroce, quoique vil, et, quoique lâche, rude,

Toute une nation se change en solitude ;

L'échine et le bâton semblent être d'accord,

L'un frappe et l'autre accepte ; et le peuple a l'air mort ;

On mange, on boit ; toujours la foule, plus personne ;

Les âmes sont un sol aride où le pied sonne ;

Les foyers sont éteints, les cœurs sont endormis ;

Rois, voyant ce sommeil, on se croit tout permis.

Ah ! La tourbe est ignoble et l'élite est indigne.

De l'avilissement l'homme porte le signe.

Tous sont traîtres à tous, et la foule se rue

À traîner les vaincus par les pieds dans la rue ;

Le silence est au fond de tout le bruit qu'on fait ;

On est prêt à baiser Satan s'il triomphait ;

Le mal qui réussit devient digne d'estime ;

L'applaudissement suit, la chaîne au cou, le crime,

Que la libre huée a d'abord précédé ;

On voit — car le malheur lui-même dégradé

Abdique la colère et se couche et se vautre,

Dans l'espoir d'avoir part au pillage d'un autre —

Les extorqués faisant cortège aux extorqueurs.

Pas une résistance illustre dans les cœurs !

La tyrannie altière, atroce, inexorable,

Est le vaste échafaud de l'homme misérable ;

Le maître est le gibet, les flatteurs sont les clous.

Mangé de la vermine ou dévoré des loups,

Tel est le sort du peuple ; il faut qu'il s'y résigne.

Des vautours, des corbeaux. Mais où donc est le cygne ?

L'un rampe, lèche et rit pendant que l'autre opprime,

Sombre histoire ! Le vice est le fumier du crime ;

Les hommes sont bassesse ou bien férocité ;

Meurtre dans le palais, fange dans la cité ;

Le tyran est doublé du valet ; et le monde

Va de l'antre du fauve à l'auge de l'immonde.

On peut courber les grands, fouler la basse classe ;

Mais à la fin quelqu'un dans la foule se lasse,

Et l'ombre soudain s'ouvre, et de quelque manteau

Sort un poing qui se crispe et qui tient un couteau.

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