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Billet de blog 24 mai 2014

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Les électeurs

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les électeurs

Ah ! bon Guieu, qu' des affiches sur les portes des granges !

C’est donc qu’y a encore quequ' baladins aujourd’hui Dimanche

qui danse sur des cordes au beau milieu de la place ?

Non, c’est pas ça ! Ce tantôt on vote à la mairie,

et les grands mots flutent sur le dos du vent qui passe :

Dévouement !…Intérêts !…République !…Patrie…

C’est l’ peuple souverain qui lit les affiches et les relit…

(les vaches, les moutons, les oies, les dindons,

s’en vont aux champs, ni plus ni moins que tous les autres jours

en fiantant de loin en loin le long des affiches du bourg).

Les électeurs s’en vont aux urnes en s’ rengorgeant,

« En route !…Allons voter ! Cré bon Guieu ! Les bonnes gens !…

C’est nous qui tenons les manches de la charrue !

J’allons la faire aller à dia ou bien à hue !

Pas d’abstentions ! C’est vos idées qui vous appellent :

Profitez de c’ qu’on a le suffrage universel » !

(les vaches, les moutons, les oies, les dindons,

pâturent dans les champs d’orge à belles goulées tranquilles

sans seulement songer qu’ils sont privés de leurs droits civils).

Y a Monsieur Chose et Monsieur Machin comme candidats,

Les électeurs ont pas les mêmes paires de lunettes :

-      Moi , j’vot’rai pour çui là !…

-      Ben moi , j’y voterai pas !

-      C’est une foutu crapule !

-      C’est un gâs qu’est honnête !

-      C’est un partageux !

-      C’est un cocu !

-      C’est pas vrai !

-      On dit qu’il fait élever son gosse chez les curés !

-      C’est un blanc !

-      C’est un rouge !

Qu’ils disent les électeurs :

Les aveugles se chamaillent à propos des couleurs.

(les vaches, les moutons, les oies, les dindons,

se foutent un peu que leur gardien ait pour nom Paul ou Pierre

qu’il soit noir comme une taupe ou rouquin comme carotte.

Ils meuglent, ils bêlent, ils gloussent tout comme les gens qui votent

mais ils savent pas ce que c’est que gueuler : vive Monsieur l’ Maire !)

C’est Untel qu’est élu !…les électeurs vont boire,

d’aucuns comme à la noce, d’autres comme à l’entarrement,

et le soir le peuple souverain s’en retourne en brancillant.

Y a du vent !…y a du vent qui fait tomber les poires !

(les vaches, les moutons, les oies, les dindons,

prennent une saoulée d’herbes et de grains tous les jours de la semaine

et ils se mettent pas à choir parce qu’ils ont la panse pleine).

Les élections sont terminées, comme qui dirait

Voilà les couvrailles faites et qu’on attend moisson.

Faut que les électeurs tirent écus blanc et jaunets

Pour les porter au percepteur de leur canton ;

Les petits ruisseaux se perdent dans le grand fleuve du Budget

ousque les malins pêchent, ousque naviguent les gros.

Les électeurs font leurs corvées, cassent des cailloux

Sur la route ousque les représentants passent en carrosses

Avec des chevaux qui se font un plaisir, les sales rosses,

de semer des crottes à mesure que le peuple souverain balaie.

(les vaches, les moutons, les oies, les dindons,

se laissent dépouiller de leurs œufs, de leur laine et de leur lait

aussi bien que si ils avaient pris part aux élections.)

Boum !… v’la la guerre !…v’la les tambours qui cognent la charge…

Portant drapeau, les électeurs avec leurs gâs

Vont piétiner les champs d’ blés ousqu’ ils moissonneront pas.

Feu ! qu’on leur dit. Et ils font feu ! En avant , Arche !

Et tant qu’ils peuvent aller, ils marchent, ils marchent, ils marchent…

…les gros canons dégueulent ce qu’on leur poussent dans le pansier,

les balles tombent comme des prunes quand le vent secoue les pruniers

les morts s’entassent et sous eux le sang coule comme du vin

quand trois, quatre pognes solides serrent la vis au pressoir.

V’là du pâté ! V’là du pâté de peuple souverain !

(les vaches, les moutons, les oies, les dindons,

pour le compte au fermier se laissent crever la peau

tout bonnement, mon Guieu ! Sans tambour ni drapeau).

…Et voilà !… Pourtant les bêtes se laissent pas faire, des fois !

des coups, le taureau encorne le boucher d’ l’abattoir !

Mais les pauvres électeurs sont pas des bêtes comme les autres.

Quand le temps est à l’orage et le vent à la révolte…

Ils votent !

 Gaston Couté

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