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Billet de blog 25 juin 2014

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La merveilleuse histoire de Fadela, ses 3 chiens et ses oiseaux migrateurs

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il était une fois une petite fille qui s'appelait Fadela. Elle vivait dans un chenil avec sa famille et tous ses amis. Elle était rieuse et bonne écolière. Sa vie était très difficile. Le chenil était grand, mais ses amis étaient nombreux, et tout le monde s'entassait et s'arrangeait du mieux possible, c'est à dire pas grand chose. Ils étaient gardés par trois chiens. Un vieux tout jaune qui s'appelait Fatah, il n'avait plus l'air très féroce mais restait encore dangereux. Elle l'avait vu mordre son père, plusieurs fois. Le second était marron, pas très gros, mais jeune et très féroce, il s'appelait Hamas. Il était toujours après ses frères, et ne la laissait rien faire. Elle ne pouvait pas sortir sans leur demander, ni aller chercher de l'eau. Dès que Hamas voyait sa peau, il menaçait de la mordre. Elle s'enveloppait dans la nappe quand il était là. Le troisième était beaucoup plus gros, beaucoup plus dangereux, mais ça ne se voyait pas, il avait toujours l'air placide, il était tout noir et s'appelait Tsahal. Il était toujours dans leurs jambes, et s'étalait sur le canapé. Les trois chiens ne s'entendaient pas du tout, ils n'arrêtaient pas de se battre jusqu'au sang. Mais c'est Tsahal qui commandait, il mangeait le premier, gardait la porte et dormait sur le lit de Fadela qui n'avait plus qu'à se pelotonner dans un coin de la chambre. Les deux autres mangeaient ce qui restait, et les amis de Fadela n'avaient plus que les odeurs pour se nourrir. Fatah et Hamas s'occupaient de commander à l'intérieur du chenil, ils empêchaient qu'on fasse quoi que ce soit de sa propre initiative, il fallait que tout passe par eux, ils se disputaient sans arrêt, on ne savait pas comment obéir à l'un sans déplaire à l'autre. Le gros Tsahal restait couché en travers de la porte. On ne pouvait pas approcher du bord de l'eau pour jouer avec les vagues, ni aller cueillir les citrons. La grande école était en dehors du chenil, et le gros chien noir trouvait mille tracas pour bloquer Fadela quand elle voulait passer. Il lui faisait rater la classe et l'empêchait de se présenter à ses examens. Il lui faisait peur exprès et montrait ses babines quand ses frères voulaient la défendre. Il avait aussi des chemins qui lui étaient réservés au beau milieu des allées du chenil, et Fadela et ses amis devaient raser les murs pour le laisser passer.

Un jour où les trois chiens se battaient comme souvent, tout le monde était affolé, et Fadela restait cachée au fond de sa chambre en tremblant. Ses deux frères étaient fatigués au delà de toute patience, de ces bagarres perpétuelles. Ils ramassèrent des pierres et entreprirent de caillasser le gros chien noir pour tenter de le faire partir du camp. De le dégoûter. Ce genre de chien ne peut se traiter que comme ça, disaient-ils. Elle ne les a jamais revus. Ses amis disaient que le gros chien les avait dévorés sous leurs yeux. A partir ce jour, la vie devint infernale pour Fadela. Le Chien la regardait avec de sales yeux, et l'empêchait de tout. Couché sur le canapé, parfois il ne la quittait pas des yeux, avec son air calme et mort. Fadela ne faisait plus rien d'autre qu'étudier, elle ne levait plus les yeux de ses cahiers, elle apprenait les langues des étrangers, et leurs histoires. Au chenil, il n'y avait pas le droit d'avoir d'histoire. On était gardé et c'était tout. Dans toutes ces langues, elle écrivait des petits messages de curiosité qu'elle confiait aux pigeons voyageurs qui, quelque fois, se posaient sur la fenêtre de sa chambre quand les trois chiens avaient le dos tourné.

Un jour où on étouffait de chaleur, et où après une nouvelle sanglante bagarre, Fatah, Hamas et Tsahal restaient couchés à lécher leurs plaies, un vol de drôles oiseaux s'est présenté, comme le soir tombait, et tout le monde était fatigué. Il n'y avait plus assez d'eau, et on ne savait plus comment abreuver le chenil. Le groupe d'étrangers était très dépareillé, on y voyait quelques colombes, un ou deux canards, un merle moqueur, une vieille poule, et un oiseau de paradis magnifique et exotique. Le vieux merle déplumé s'est adressé aux trois chiens et dit : Mes valeureux seigneurs, gardiens des chenils, et fiers guerriers dont le nom résonne à travers les mers, nous avons appris que vous manquiez d'eau, que les enfants étaient trop nombreux dans votre chenil, que vous ne savez plus quoi en faire. Nous vous apportons en signe d'amitié des remèdes pour vos terribles plaies, et grâce à eux, vous retrouverez votre pelage majestueux. - Et qu'est-ce que vous demandez en échange, demanda Fatah qui était le plus vieux et le plus malin.

– La petite Fadela.

Tous se tournèrent vers Fadela avec un air abasourdi. Qui pouvait bien s'intéresser à ce brin de fille qui ne levait jamais le nez de ses cahiers et dont on ne connaissait même pas la voix.

- Et pourquoi celle-là,  fit Hamas sur un ton suspicieux, le dos hérissé.

- Parce qu'elle connaît nos langues, et qu'elle sera précieuse à votre service, dans notre pays d'où elle vous rapportera remèdes et inventions.

Tous se tournèrent vers Tsahal.

- Ce sont vos affaires, conclut-il, sans marquer le moindre signe d'intérêt. Mais je veux la moitié des remèdes et toutes les inventions, parce que je suis le plus gros, et plus gravement blessé depuis la nuit des temps, ajouta-t-il.

Les deux autre faillirent s'emporter, mais ils ne voulurent pas risquer de perdre l'autre moitié des remèdes, et se turent.

Fadela dut s'envelopper dans sa nappe, pour ne pas énerver Hamas, et sortir du chenil sous les yeux de tous ses amis qui n'en croyaient pas leurs yeux. Elle fut saisie par deux solides goélands qui étaient chargés de son transport.

Au moment de décoller, son père s'approcha d'elle, les larmes aux yeux. Il avait peine à parler mais chacun put entendre distinctement qu'il lui disait : Ton départ, mon dernier enfant, me laisse plus seul que jamais. Personne ne pourra plus prendre soin de mon vieux corps, ni éclairer mes nuits tombantes d'un sourire lumineux.  Pars, mon enfant, sans regret. 
Il baissa la voix et le silence fut tendu comme un matin de guerre. Il souffla : Je suis fier de toi, ma fille.
 Les vieilles commençaient à renifler, le nez dans leurs nappes.

- Je vous confie mon père, lança Fadela à tous ses amis, prenez soin de lui. Je vous aime.

En décollant, elle se cramponna à ses nouveaux compagnons, et n'eut pas un regard. Ni pour les trois chiens ni pour personne. Quand elle lâcha sa nappe, celle-ci voleta doucement jusqu'à la mer et disparut.

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