Au moment (enfin presque) où le Front de Gauche reprenait la Bastille pour appeler de ses vœux la 6ème République élaborée démocratiquement par une assemblée constituante, le Réseau Salariat publiait un texte fondateur : Pour un statut politique du producteur. Il s’agit, rien de moins, de poser les citoyens majeurs politiques, déjà dotés du droit de suffrage, comme uniques créateurs de la richesse produite collectivement, et donc dotés du droit à la qualification personnelle. Comme l’inscrit le texte dans son commencement, « Ce droit instituera un statut politique du producteur, et se déclinera dans l’attribution d’une qualification personnelle à chaque citoyen dès l’âge de dix‑huit ans. Cette qualification sera irrévocable, pourra rogresser à l’ancienneté ainsi qu’au travers d’épreuves de qualification, et fondera pour son titulaire l’obtention d’un salaire à vie correspondant à son niveau de qualification.»
Cette revendication vise à en finir avec l’idée selon laquelle seuls les propriétaires et dirigeants des entreprises privées seraient des créateurs de richesses, les « forces vives de la nation » comme disent volontiers les portes parole de la classe dirigeante.
En effet, tout le monde sait au fond, et en particulier les ouvriers, les paysans, les mineurs et autres tailleurs de pierre, mais aussi les enseignants, les chercheurs, et bien d’autres encore, que toute richesse produite n’a comme seule origine que du travail. Les actionnaires des entreprises comme les propriétaires fonciers ou immobiliers, ne créent aucune richesse, ils ne font que ponctionner le fruit du travail des autres au nom d’un droit de propriété lucrative, vieux reste de l’ancien régime. Alors que le salaire, cotisations sociales incluses, rétribuent le travailleur, le dividende et le loyer gratifient le propriétaire. C’est la rente qui pourra être abolie dès lors que le droit au salaire des producteurs sera érigé.
Si le droit du travail a été l’une des conquêtes majeures du XXième siècle, période d’affrontement fort entre le monde du travail et celui des détenteurs du capital, la construction des institutions du salariat ne peut pas passer inaperçue : L’émergence de la cotisation sociale comme élément du salaire finançant les situations de hors emploi (arrêt maladie, chômage, retraite) est venue entraver le profit au point qu’à la fin des années 1970, 70% du PIB allait aux salaires. De son côté, le salaire à la qualification, le grade de la fonction publique d’abord puis la qualification des postes de travail dans les conventions collectives du secteur privé, a créé une distance entre le salarié et son employeur puisque le salaire est devenu un barème délibéré politiquement avec les syndicats, et non plus un prix du travail ajusté sur un marché.
Malgré les attaques violentes lancées depuis 30 ans par la classe dirigeante contre les institutions du salariat que sont la cotisation sociale et la qualification, qui ont tout de même conduit à ce que le salariat perde 10¨% du PIB, elles restent des acquis solides auxquels les travailleurs sont très attachés et qu’ils ne sont pas prêts à céder : Les vastes mouvement sociaux provoqués par les réformes successives du régime des retraites l’attestent. Même si la novlangue patronale et actionariale prospère, qui transformes les ouvriers (citoyens qualifiés, libres et ardents défenseurs de leurs droits) en simples « opérateurs » (êtres hybrides entre l’ouvrier et le robot, au service de sa machine), la qualification en « employabilité » et la cotisation sociale en « taxe sur le travail », les travailleurs renoncent toujours à se laisser cantonner dans la condition de ressources humaines mises au service de la « création de valeur pour l’actionnaire ».
Il nous reste à transformer nos acquis sociaux en droits nouveaux, à laisser les oripeaux de la victimisation que les belles personnes veulent nous voir vêtir, ceux des « sans » (sans emplois, sans qualification, sans domicile, sans papiers), pour endosser l’habit neuf des créateurs de richesses et faiseurs de société.
C’est à cela que nous invite le Réseau salariat avec son statut politique du producteur.