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Billet de blog 3 juin 2013

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La trouille de ma vie (part 2)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Les pieds posés sur l'autre côté de l'avenue, les yeux en pleurs et la gorge explosée, je continue ma route. Je cours directions Konur sokak. L'hôpital de campagne ou plutôt l'infirmerie de fortune est sensée s'y trouver. Je passe devant un kiosque entouré d'hommes jeunes, criant les slogans de la révolution " Erdogan, démission!" ou " Bande de fils de putes" à l'égard des policiers. Je m'engage dans l'avant dernière ligne droite. 

Subitement, moment irréel dans un situation qui l'est peut-être trop, je vois un magasin de fleurs ouvert. J'y entre, un petit peu surpris et abasourdi par un peu de douceur dans un moment clairement brutal. J'achète un bouquet de fleurs qui fut ma salvation. Au moment de sortir, je croise un groupe de policiers, 40 d'entre eux dirais-je, qui me regardent, les regards se portant sur le bouquet de fleurs. Ils me font signe de passer sur le côté de leur groupe, me considérant comme pas dangereux puisque je ne correspond pas au profil de ce qu'ils cherchent. 

Les rumeurs circulant étant celles d'arrestation à vue, je passe sans les regarder, et cours dés qu'ils sont trop loin pour m'entendre le faire. La trouille de ma vie numéro 1 pour ce soir. J'arrive non loin de la rue qui était mon objectif principal. elle est le théâtre d'affrontements, je m'y aventure histoire de voir si je peux trouver l'infirmerie sans être impliqué dans les affrontements. Malheureusement non. Je repars de là avec le coeur lourd, et une absence totale de confiance en moi , comment vais-je sortir de cette merde. 

C'est là que les bons moments ont commencé. Tous les 100 ou 200 mètres, d'autres personnes, essayant de trouver un endroit sûr s'aventurent dans les rues, demandant aux passants  "Est-ce que les flics sont dans cette direction". Je suis les conseils des passants, je continue, loin de mon objectif mais vers la sécurité, tout ceci avec mon bouquet de fleurs en main.

Le hasard des déclarations de divers quidams me pousse vers une des grandes artères. Un monsieur, au 3ème étage de son immeuble, me crie, ARRETE TOI. 5 mètres devant moi, un couple en pleine conversation ne l'entend pas, ils continuent leur route mais; Les maisons nous empêchaient de voir ce que mon sauveur vit avant nous; le couple est interrogé par la police, un groupe de 40 à 60 hommes qui semble apparaître de nulle part. Je les entends poser des questions stupides auxquelles le jeune homme répond de la façon la plus polie. Ils le frappent, le ridiculisent devant sa copine, et l'embarquent. Moi,  à 50 mètres de là, les regarde, abasourdis, la trouille me paralysant. Que faire que dire ? ( trouille de ma vie numéro 2 !)  Je me tire en courant, la jeune femme reste, consolée par des passants. Ils arrêtent à vue me dit quelqu'un, t'es un jeune homme, ne reste pas dans les avenues principales.

Je rentre chez moi, un trajet qui m'aurait pris 40 minutes normalement me prend 2 heures. J'arrive près de chez moi pour trouver, contrairement à ce à quoi on s'attendait, tout mon voisinage en pleine manifestation. Contrairement à ce que dit la presse, les gens sont de tous les âges. Mon impression pour le moment ? Ce n'est pas une révolution, mais le début de la fin de la popularité d'Erdogan.Les barricades fleurissent et toutes sortes de checkpoints sont le signe que ce n'est pas une bonne période pour lui. Tout ceci aura définitivement des conséquences pour les prochaines élections.

Autrement je dirais que ce n'est pas encore fini. Loin de là. Ca ne fait que commencer. Les turcs iront scander leurs slogans le soir après le travail, mais au-delà de Gezi park, c'est un ras-le-bol général de la population auquel on assiste.

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