Je vous écris un petit billet par téléphone portable. Je n'aime pas trop le style photo/texte/photo/texte donc je m'en tiendrai à l'essentiel: dans ce qui suit je vous parlerai des petits actes de bonté qui semblent être normaux ici.
On arrive à la manif comme on arrive à son arrêt de bus; on marche, on ne se pose pas trop de questions parce que on sait à quoi s'attendre.
Le manège est toujours le même; des slogans sont criés en coeur pendant une dizaine de minutes avant que la police n'intervienne; gaz lacrymo pour disperser la foule, intervention des troupes elles-mêmes. Ou sinon, selon la densité du groupe, intervention des TOMA ( toplumsal olaylara müdahale aracı (toma).
Au moment où la police intervient d'une manière ou d'une autre, on entend des cris de GELIYORLAR ! ou de GELIYOR! ( ils arrivent/ ça arrive). Et c'est après ça que subitement le monde devient beau.
La tension est grande entre chaque intervention policière. On sait à quoi s'attendre, mais on garde cette peur, cette trouille qui se tapit jusqu'au rush d'adrénaline de la course entreprise pour éviter de se faire prendre. Ce sont dans ces moments la que l'on voit de beaux moments d'humanité. Dans un billet précédent, je vous parlais des étudiants de médecine: ces jeunes là font preuve d'une abnégation qui mérite tous les applaudissements. Je les ai vu courir dans la direction des policiers parce qu'ils avaient été informés de la présence d'un blessé non loin. Je les ai vu courir à travers la fumée lacrymo, parce qu'ils s'étaient mal répartis et que donc des gens souffraient plus d'un côté de la ville que de l'autre. Les médecins sont toujours en premier ligne dans ce genre d'évènements. Je vais d'ailleurs aller en visiter un aujourd'hui.
Ce sont les petits élans de solidarité qui font que je continue à croire en l'humanité et à soutenir ce mouvement. Autrement, j'ai vu des responsables de magasins cacher des manifestants à l'intervention de la police . " viens mon gars, viens, cache toi ici, tu sors dés qu'ils sont partis". J'ai vu des personnes ne se connaissant ni d'eve ni d'adam partager leur eau, leur lait leur vinaigre pour nettoyer quelqu'un souffrant du gaz. J'ai vu une voiture s'arrêter pour faire entrer quelques manifestants et repartir en trombe. C'est après aussi que l'on sent que les limites sociales disparaîssent. On se déplace, on s'entraide, les conversations sont d'une teneur intéressante; " tu les a vus ils sont ou ? " " Ne vs pas dans cette direction ni dans celle là. PAr là ils sont plus ou moins passifs mais ne va surtout pas par là, ils sont terriblements agressifs par là.".
Je vous ai parlé de ce monsieur m'ayant problablement évité l'arrestation; ce sont ces manifestants là qui sont partout. On ne manifeste plus son mécontentement uniquement en sortant dans la rue. On le manifeste en aidant un petit peu. comme on peut. On se perche à sa fenêtre et on crie des avertissements, on poste autant d'information que possible sur twitter si on a une vue d'ensemble sur une avenue donnée ( ce à votre propre risque; une vidéo circulant montre une jeune femme filmant les policiers depuis sa fenêtre, un instant après une grenade explose à quelques mètres d'elle ( une grenade faisant du son et peu de gaz, je devrais vous faire un topo sur les différents types de grenades utilisés , mais m'y connais très peu en armes)).
Ce mur " des besoins" https://twitter.com/eltifi/status/341556749184139264/photo/1 est l'exemple parfait de ce que je vois dans la rue. Nous le vivons ensemble. Les gens sont fâchés, encore plus qu'il y'a deux jours. Au moment ou je vous écris, on regarde les déclarations du vice premier mnistre à la télé. Ce dernier a dit que " les manifs étaient justifiées" que " elles étaient une réaction normale et admirable" que "qu'elles étaient patriotiques". Réaction de mon entourage ? "ils nous prennent encore pour des cons".
La suite au prochain épisode.