L'après 11 septembre a démontré que nous n'étions pas "Norvégiens" face à une tragédie humaine, car ce ne sont pas les valeurs d'humanité ni de fraternité qui ont suivi mais une faille , une porte ouverte pour des guerres qui ont été rendues légitimes, mais aussi une atteinte aux principes que nous sommes sensés défendre , dont celle de la liberté..
Le film de Karan Johar démarre sur une de ces transgressions quotidiennes qui nous sont devenues habituelles, celle de ces fouilles systématiques, dont parlait un article récent du Monde . L'intelligence du réalisateur commence dès cette première scène qui concerne son personnage principal, Rizvan Khan, souffrant d'une forme d'autisme .Pour lui ce contact imposé est pathologiquement insupportable, mais là n'est pas le moindre paradoxe de cet après 11 09 , de penser que cela est pour l'ensemble "nécéssaire" mais pour chacun et chacune d'entre nous,cela serait une aussi grande atteinte à notre intégrité physique .
Ainsi grâce à ce personnage, c'est bien face à nos propres contradictions que nous sommes confrontés, mais c'est aussi lui "le malade" qui représente le plus notre rapport au monde : nous sommes autant que lui , même sans être identifiés "comme dans un rapport pathologique" , dans la peur du monde qui nous entoure, une difficulté à nous situer face à notre propres peurs, notre angoisse de la mort de nos proches , la nôtre, mais aussi celle d'être touché(e)s au sens propre et figuré par les êtres qui nous entourent. Nous revendiquons souvent cette "lecture rationnelle" fait par le personnage et tout comme lui , nous appréhendons souvent le monde à travers un écran .
C'est d'ailleurs ce que ne manque pas de montrer Karan Johar, ces évènements qui suscitent un émotionnel fort mais qui sont pour beaucoup d'entre nous seulement des"évènements télévisuels" ce que fut le 11 septembre ... et ce débordement est aussi l'indicateur d'une incapacité à connaître l'autre et à vouloir le réduire .Avec talent, il montre aussi cet élan que suscite pour les populations , "le héros quotidien" ou "l'homme providentiel" que semble être un Président.. La distance qu'il nous fait prendre ,avec subtilité, tient au fait de la distance pathologique de son personnage .. Distance que nous n'avons pas , pourtant nous sommes aussi dans sa quête ..Ce qui est un des multiples paradoxes de nos sociétés.
Ce film sera sans doute l'un des films majeurs sur notre société et ses paradoxes, qui sont exacerbés par cet évènement mais qui existaient bien avant et qu'incarne ce couple qui peut sembler improbable interprété par Kajol et Shah Rukh Khan : nos rapports ont changé et nous sommes sans cesse à chercher "les codes" pour ce qui semblait aller de soi auparavant, ou parce qu'ils nous étaient imposés .Il n'y a pas que Rizvan qui lit la sexualité pour les nuls, et d'autres ouvrages pour essayer d'être , d'avoir le comportement adéquat .
De même , l'enfant reste la première victime de nos incapacités, même si il semble dans nos sociétés au centre de nos préoccupations, c'est effectivement lui qui a répondre de nos erreurs sans en avoir la capacité .C'était le questionnement d' Anne Frank dans son journal, sur cette identité qu'elle était en train de construire, auquel la mort a mis un point final .Nous oublions de nouveau ce questionnement et cette construction et obligeons autant d'enfants maintenant à rendre compte d'une identité religieuse ou ethnique avec le même aveuglement et nosu acceptons qu'ils en meurent ..
Le message de Karan Johar peut sembler simple et c'est pourtant le contraire : la haine est la première réponse, la plus simple ...
La bonté ou la générosité que représente mama Jenny , celle que justement nous ne rencontrons pas ou peu, ce qui semble avoir disparu comme représentation justement dans "nos clichés" , permet la conscience d'une humilité que nous avons aussi perdue : nous ne pouvons pas tout "réparer" , parfois nous ne pouvons juste que partager et échanger dans le respect de la souffrance d'autrui et unir "nos chants" .
Ce chant qui contient l'humanité d'un gospell mais que connait outre océan , autant la population indienne est sans doute un des plus beaux traits d'union possible ..
La longueur , qui correspond au format indien, est souvent reprochée par les occidentaux dont le temps est "si précieux" et acquis à ce qu'ils aiment la concision , mais justement ce format permet une vision plus vaste , non seulement des personnages principaux mais aussi de toutes ces "personnes anonymes" mises en scène .
La musique est magnifique , et l'interprétation des acteurs magistrale : que se soit Kajol en jeune femme "gagnante" , avec cette énergie qui la caractérise, ce côté entier ou en mère animée par "cette colère" afin de supporter la mort de son fils; Shah Rukh Kahn incarne autant par son physique que par sa voix dont il sait admirablement jouer son personnage .. Le nombre est impressionnant de personnages et tous sont à la hauteur de cette ambition mise en scène par Karan Johar , de questionner le monde de l'après 11 09, nos paradoxes, mais d'en faire surgir une humanité .
Plus que jamais nécessaire .