Début 2018, l’État islamique est vaincu dans la ville de Baghouz à la suite d’un siège qui aura duré deux mois. Les civils et les étrangers sont arrêtés par les forces démocratiques syriennes. Ce sont, au total, un peu plus de 500 français qui sont arrêtés. Les femmes et les enfants sont transférés dans les camps, les hommes sont envoyés en prison.
Ces arrestations vont, dans un premier temps, représenter un soulagement pour de nombreuses familles en France qui n’avaient pas eu de nouvelle de leur proche depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Bien qu’en réalité, certains n’ont pas encore donné signe de vie ; des familles sont toujours en attente d’un signe, d’une photo, d’un appel ou d’un courrier.
C’est, par exemple, le cas de cette dame venue me voir il y a quelques mois. Elle était sans nouvelle de son fils depuis son départ en 2015. Elle a appris qu’il était toujours en vie en tombant sur des clichés pris en prison, révélés par un journaliste du Monde.
Ce qu’il y a de dramatique avec cette guerre en Syrie, c’est le nombre important de disparitions, de blessés, de "ressuscités". Il y a aussi eu tant d’enfants emportés dans ce conflit, victimes collatérales de cette guerre qui n'a toujours pas di son nom. À la souffrance des familles liée au départ de leur proche, une autre s’est ajoutée avec les disparitions et les décès (qui n’ont pas encore été officialisés). Cette attente est insupportable pour ces familles.
Face à cette situation, la position française était, au départ, celle d’un rapatriement de tous les Français. En effet, un plan de rapatriement englobant tous les Français était prêt ; ce n’est qu’à la dernière minute et face à un sondage dans lequel huit Français sur dix s’opposaient au rapatriement que le gouvernement, par une absence de courage politique édifiante qui nous coûtera cher un jour, a préféré reculer et laisser ses Français dans la nature.
En novembre 2019, l’intervention turque dans le nord-est syrien devait redistribuer les cartes dans la région. Les kurdes, en pleine guerre, ne pouvaient plus s’occuper des prisonniers étrangers. La France avait l’opportunité, à ce moment-là, de soulager son "allié" et de procéder au rapatriement des français. La France, une fois de plus, s’est déshonorée, se terrant dans son mutisme habituel. Qu’on se le dise, la France a tout intérêt à rapatrier tous ses ressortissants et c’est d’ailleurs ce qu’elle comptait faire, et ce, pour des raisons sécuritaires.
Si la France refuse aujourd’hui de rapatrier ses Français, c’est uniquement pour ne pas avoir à assumer politiquement un tel choix devant son opinion publique.
La situation sécuritaire sur zone s’est considérablement dégradée tant en Syrie qu’en Irak. En Syrie, plusieurs mutineries ont éclaté dans les prisons suite à l’affaiblissement des Kurdes par les Turcs ; en Irak, l’instabilité politique et le soulèvement populaire ont permis à plusieurs prisonniers de s’évader. Nous savons aujourd’hui que des Français ont profité de ces évènements pour rejoindre la Turquie. La position française est irresponsable.
La situation humanitaire de ces Français pose, selon moi, une question philosophique : avons-nous tous droit à une seconde chance ? La réponse est oui.
Les conditions de détention de ces Françaises et Français sont ignobles et tout le monde le sait. Nous recevons souvent des courriers provenant de ces détenus. Même notre pire ennemi ne mérite pas ces traitements : torture, violence émanant de co-détenus, surpopulation carcérale (plus de 150 détenus par cellule), une promenade de 10 minutes toutes les deux semaines quand les surveillants sont de bonne humeur, faim, soif, détresse psychologique. J’ai en mémoire le récit de ce jeune roubaisien de 18ans emprisonné en Syrie, ses parents l’avaient amené en Syrie alors qu’il avait 12ans, il est aujourd’hui détenu par les kurdes, sans famille ni proche, livré à lui-même.
Les Français n’avaient, au départ, que la Croix-rouge, qui transmettait un ou deux courriers par an aux familles. Mais depuis l’offensive turque, les familles sont sans nouvelle.
Nous recevions tous les jours des messages qui nous provenaient des camps où les femmes et enfants nous demandaient quand est-ce qu’ils allaient rentrer. Aujourd’hui, le message a changé. Les Français ne s’attendent même plus à rentrer, ils se demandent simplement combien de temps ils vont encore rester en vie dans ces camps et prisons.
Parmi les Français arrêtés à Baghouz, onze d’entre eux ont été transférés illégalement en Irak alors qu’ils ne s’y étaient jamais rendus pour être condamnés à la peine de mort sans procès équitable et sous la torture. Les Français détenus en Irak sont abandonnés par le consul qui ne leur a rendu qu’une seule courte visite depuis juillet 2019. La France, bien qu’en mesure de mettre en œuvre la protection consulaire, se comporte comme si ces Français n’existaient pas, alors que les rapports des différentes ONG sont accablants sur le traitement des détenus dans ces différentes prisons.
Le COVID-19 n’a épargné aucun pays ni aucune région ; les prisons et les camps sont des lieux où le virus circule facilement et, malgré les alertes des nations unies, la France n’a pas pris la moindre mesure. Elle n’a même pas pris le soin de prendre des nouvelles concernant l’état de santé de ses Français. La France opère de fait une discrimination entre ses ressortissants, en abandonnant certains d’entre eux et en les exposant ainsi à une contamination qui pourrait leur être fatale.
Il y a des enfants qui sont rentrés, notamment une petite fille qui est rentrée le 23 avril 2020, et j'en suis heureux, ce retour récent démontre la capacité opérationnelle de la France d'organiser des retours pour certains, et l’absence de bonne volonté pour les autres.
Il est plus que temps que notre pays passe enfin aux actes et cesse de se déshonorer par cette politique indigne de ses principes et valeurs.