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Billet de blog 20 avril 2020

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«Monts et merveilles se trouvent loin de Montfermeil»

Au moment même où nos liens devraient se renforcer face à cette épidémie, le gouvernement reste silencieux depuis le début du confinement, face aux abus des policiers. Les contrôles d’identité ne reposent sur aucun critère objectif, ils sont par nature discriminatoires donc illégaux. De cette illégalité contestée naissent les violences policières.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour dire vrai, depuis déjà plusieurs semaines cette idée d’écrire un texte dénonçant les violences policières me traversait l’esprit. Aujourd’hui, je mets ma robe d’avocat de côté pour m’exprimer en tant qu’homme. 

Au moment même où nos liens devraient se renforcer face à cette épidémie qui nous touche tous, et notamment les personnes les plus vulnérables, voici que l’histoire se répète et que nos vieux démons ressurgissent. Un virus, pourtant contrôlable, gangrène nos quartiers depuis des décennies et fait rejaillir les failles de notre système et de nos politiques pénales. 

 Il est utile de se rappeler des mots d’Huxley : « Le fait que les hommes tirent peu de profit des leçons de l’histoire est la leçon la plus importante que l’histoire nous enseigne ».

Né à Vallauris, dans une cité qu’on appelle la Zaïne (le laboratoire des vols à l’italienne), j’étais déjà confiné comme tous les autres du quartier. La crèche, la maternelle, l’école primaire, le collège, le gymnase, le city-stade, le centre de loisirs… tout se trouvait à l’intérieur même du quartier.  J’y ai vécu mes plus belles années mais aussi mes premiers contrôles au faciès ; on s’y faisait contrôler non pas pour ce qu’on faisait mais pour ce qu’on était. Témoin et victime des violences policières, c’est dans ce quartier que la colère est née en moi et a explosé en 2005, comme celle de beaucoup d’autres. 

 Samedi dernier, j’apprends qu’un homme a failli perdre sa jambe à Villeneuve-la-Garenne, dans les Hauts-de-Seine. Cette violence inouïe, mais pas inédite, est le quotidien de bon nombre des habitants de ces banlieues. 

 Les vidéos qui ont circulé sur les réseaux sociaux ont fait ressurgir la motivation de mes combats d’avocat inhérente à mon histoire. 

 La réalité est que ces jeunes issus des banlieues n’ont pas attendu le COVID-19 pour être systématiquement contrôlés. Bien que soumis à ma déontologie, la gravité de la situation ne peut me laisser indifférent et il est de mon devoir de porter la voix de ces jeunes qu’on veut faire taire.

 Maintenant installé dans le 11ème arrondissement de Paris, je vous avoue y avoir découvert un semblant de liberté. Les contrôles ont cessé, je ne sors plus avec cette angoisse permanente de devoir justifier de mon identité. L’angoisse peut ressurgir quand un OPJ me reçoit et me confond avec mon client. 

 Les contrôles d’identité ne reposent sur aucun critère objectif, ils sont par nature discriminatoires donc illégaux. De cette illégalité contestée naissent les violences policières. Et c’est selon moi, tout le cœur du problème. Pour lutter contre les violences policières, les pouvoirs publics doivent mettre fin à cette pratique humiliante qu’est le contrôle au faciès. 

 La différence avec les gilets jaunes réside dans le fait que les violences commises contre eux s’inscrivaient dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre. Et face à des scènes de violence insoutenable, le gouvernement avait demandé aux policiers de faire preuve de discernement. 

 Ce même gouvernement, qui reste silencieux depuis le début du confinement, face aux abus des policiers.

 Pour beaucoup, les contrôles d’attestation de déplacement n’iront pas plus loin qu’une amende forfaitaire de 135 euros, déjà trop sévère. Quand d’autres auront le privilège des gardes-à-vue, des comparutions immédiates et surtout du mandat de dépôt. 

 Ce cercle vicieux dont on ne se défait pas. 

 Bientôt, après le confinement, la majorité des français retrouveront leur liberté d’aller et venir quand d’autres resteront perpétuellement assignés à résidence. 

 L’histoire se répète et le soulèvement des banlieues de 2005 auquel j’ai participé, qui nous semblait être un cauchemar lointain, est en train de ressurgir. 

 Les violences commises par les personnes dépositaires de l’autorité publique sont, normalement, plus sévèrement punies. 

 Cette circonstance aggravante n’existe que dans les textes puisque le Ministère public, sous l’autorité du Garde des sceaux, en fait, dans la pratique, une cause d’exonération de la responsabilité pénale.

 Pour mettre fin à ces pratiques policières, il faut d’abord mettre fin au contrôle d’identité systématique. Il faut ensuite réformer le statut du parquet, qui, rappelons-le, n’est pas une autorité indépendante (CEDH. Medvedyev c/France, 29 mars 2010.)

 Emmanuel Macron a rappelé lors de ces récentes interventions, qu’il était nécessaire de créer une union nationale pour faire face à l’épidémie. Ne nous trompons pas de cible.

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