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Billet de blog 13 décembre 2021

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Baalbek, l’histoire d’une ville au destin désenchanté

Baalbek, ville dans la plaine de la Bekaa au Liban qui abrite un des plus grands et prestigieux temples romains, est devenue en quelques années le bastion du Hezbollah.

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C’est avec beaucoup de fierté mais le regard triste qu’Abed nous fait entrer à l’hôtel Palmyra. Ce palace construit en 1874 par l’homme d’affaires Grec Perikili Mimikakis est devenu dans les années 50, un des hôtels les plus réputés du Liban et ayant accueilli les plus grandes célébrités. Aujourd’hui, il ressemble à un musée avec ses tapis et objets d’époque. A l’entrée à droite se situe le bar, comptoir en bois, canapé drapé d’un tissu bleu roi, lumière tamisée, espace étroit. Le lieu de tous les interdits. On peut tout de suite y deviner les baisers qui ont été dérobés, les fins de soirées arrosées ou encore les affaires conclues autour d’un verre… Si ce bar pouvait parler, il nous raconterait sûrement les secrets d’une époque, celle que la guerre a emportée sur son passage. Puis on longe un long couloir pour arriver à une grande pièce lumineuse où les repas étaient servis avec au fond des bouteilles vides empilées et enveloppées d’une robe de poussière. A l’étage, il y a les chambres, toutes différentes et colorées, celle du couple De Gaule, de la diva Fayrouz ou encore du poète Jean Cocteau. Puis au dernier étage, les suites donnant sur une large terrasse surplombant les ruines romaines. Ces terrasses qui ont longtemps inspiré le poète français : « Les mystérieuses terrasses de Baalbek d’où l’on suppose que les hommes partaient vers les astres ne sont-elles pas le lieu idéal pour que l’âme des poètes y prenne son vol et le large ». 

Depuis 1956, les temples romains ont accueilli le festival international de Baalbek. Nassib, originaire de la ville, se souvient d’avoir dansé et chanté avec les plus grands artistes locaux et internationaux tous les étés avant le début de la guerre de 75. « Baalbek était une des villes les plus riches du Liban grâce au tourisme culturel et culinaire » se remémore Tony, natif de la ville. Mais Baalbek ne se résumait pas seulement aux temples romains, à l’hôtel Palmyra ou au festival. Baalbek c’était aussi une ville avec ses habitants, ses ruelles étroites, son souk, ses écoles et ses restaurants comme l’institution Al Ajami. Ras El Ayn était la zone verte de la ville avec son boulevard, ses arbres, sa source d’eau fraîche. « On traversait le pays pour venir dîner à Baalbek et on ne rentrait jamais avant 3h du matin, les rues étaient sûres, nous étions comme dans un petit village », se rappelle avec beaucoup de nostalgie Nassib, en ajoutant « Et les filles étaient belles habillées à la dernière mode ». Baalbek a toujours été une ville où chrétiens et musulmans vivaient ensemble en harmonie. « Noël et l’Eid étaient célébrés par tous les habitants, toutes religions confondues » se souvient Maria, habitante de Baalbek aujourd’hui exilée en Europe. La population de la ville était composée de 30% de chrétiens, 30% de sunnites et 30% de chiites.

Mais petit à petit la guerre est arrivée, amenant avec elle son lot de fanatisme et d’extrémisme. Jusqu’au jour où les gardiens de la révolution ont fini par s’implanter dans la ville. « Ces étrangers, sont venus arracher Baalbek à la vie pour la faire sombrer dans l’obscurité », insiste Mohamed, ancien membre de la municipalité. Fondé en 1982 à la Bekaa avec le financement de l’Iran, le Hezbollah a imposé par la force et la terreur son mode de vie sectaire. Dès 1984, ils ont privé les restaurants de leur musique et ils ont brûlé tous les magasins dont la boisson est illicite. « Nabih Haider avait un magasin d’alcool au souk que le parti de Dieu a fait exploser », se rappelle Mohamad. Le tchador, habit traditionnel iranien, a envahi le souk pour remplacer le délicat voile qui cachait la chevelure des femmes les plus pieuses. « Ils sont même allés jusqu’à utiliser des méthodes extrêmes pour décourager les femmes qui oseraient sortir découvertes », se souvient Tony.

A la fin de la guerre en 1990, la société s’est petit à petit islamisée avec l’apparition d’écoles islamiques et les écoles publiques ont été placées sous le contrôle du parti Amal dirigé par Nabih Berry, président du parlement depuis 1992 et allié du Hezbollah. Le quartier chrétien et ses belles maisons en pierres, est aujourd’hui à l’abandon. On le reconnaît à la vierge Marie qui surplombe encore la ville, seule au milieu du rond-point à côté de l’école des Saints Cœurs. Cet établissement à qui on a ordonné dans les années 80 de fermer le vendredi et d’ouvrir le dimanche. En 2010, sous la pression des religieuses, les portes de l’école ont de nouveau pu fermer le dimanche. Malgré cela, les cloches des églises ont quand même perdu de leur intensité car elles ont perdu une grande partie de leurs fidèles. « Les premières élections après la guerre de 75 ont eu lieu en 1998, le Hezbollah n’avait obtenu que 5 sièges sur 21 contre 16 pour le parti qui représentait les habitants de la ville sous la liste "Adet el karar la ahel Baalbek" qui veut dire restitution du pouvoir aux habitants de Baalbek » se rappelle avec fierté, Ghaleb Yaghi. Cet avocat et politicien a longtemps été la bête noire du Hezbollah et accusé « d’espion des ambassades ». Un terme souvent utilisé par ce dernier contre les opposants chiites pour les discréditer. Il raconte que les partis politiques traditionnels n’ont jamais été puissants face aux grandes familles de Baalbek parce qu’elles étaient aisées et unies. « Dès les années 2000, la politique d’intimidation du Hezbollah a été mise en place, avec menace si nécessaire. Ils ont même appliqué une « fatwa » (décret émis par une autorité religieuse) obligeant les habitants à voter pour eux », intervient Ghaleb. Leur politique s’inscrit dans un mouvement populaire qui fournit une aide sociale aux plus démunis grâce à leurs services hospitaliers, leurs associations et leurs écoles. L’absence de l’Etat dans cette région délaissée du Liban, la corruption et l’occupation syrienne de 1978 à 2005 ont favorisé la montée au pouvoir du Hezbollah. Il a remplacé l’Etat auprès du peuple et pour certains il a même assumé le rôle de parents assurant l’éducation des enfants. « Avec la venue des Iraniens et les habitants de villages voisins défavorisés, ils ont réussi à changer la démographie de la ville. Ils ont déraciné les vrais habitants en les faisant fuir pour installer des familles dans le besoin qui servirait leur cause », insiste Mohamed. Cette milice avait pour but de libérer le sud Liban de l’occupation israélienne et de défendre les frontières. Tony avait adhéré à cette cause comme de nombreux de ses compatriotes. En revanche, il critique le parti de Dieu pour son implication dans la guerre en Syrie et au Yémen. « La place du Hezbollah est au sud pour combattre l’ennemi sioniste, il n’a rien à faire à la Bekaa où il y a installé des camps d’entraînement dans les montagnes et y a interdit l’accès à l’armée libanaise ».

Pour Ali, ingénieur, « la ville est devenue une banlieue de Téhéran ». Avec l’arrivée au pouvoir de Khomeiny en 1979, l’influence iranienne a été renforcée dans les régions sous le contrôle du Hezbollah et l’identité culturelle et religieuse a commencé à changer. Dans les années 90 quand des bus de touristes arrivaient de Beyrouth, en chantant et dansant, ils étaient directement stoppés par le Hezbollah au barrage érigé juste à l’entrée des ruines pour demander l’arrêt immédiat de la musique. Ils avaient même habillé l’entrée du site d’une photo de 25m de haut à l’effigie d’Hassan Nasrallah. « Comment voulez-vous accueillir les touristes avec ce type d’affiche à l’entrée d’un site touristique aussi grandiose que celui des temples gréco-romains de Baalbek », se demande Ghaleb avec ironie. Le Hezbollah a voulu remplacer le tourisme ordinaire par le tourisme religieux. Ils ont construit la mosquée d’architecture iranienne, Sayyida Khawla Shrine, à l’entrée de la ville juste après les portraits des martyrs libanais et iraniens morts au combat. Certains habitants résistent malgré tout, ne cédant pas aux menaces et souhaitant récupérer leur ville. Comme le parti laïc Baalbek Madinati, qui veut dire « Baalbek, ma ville », qui avait un plan d’urbanisme pour réintroduire le tourisme. « Le projet était d’aménager le souk qui se trouve entre les ruines et Ras El Ayn pour le transformer en zone piétonne avec hôtels, cafés trottoirs, restaurants, boutiques », explique Ghaleb. Ce projet n’a pas été adopté par le Hezbollah. « Le tourisme permet l’épanouissement et l’ouverture d’esprit, ça va à l’encontre de leur propagande religieuse qui est le nerf de leur guerre », précise Tony. « Pourtant Baalbek est une ville qui peut attirer des millions de touristes et faire de l’ombre à toutes les autres villes de la région », ajoute-il. Aujourd’hui les touristes viennent visiter les ruines romaines et repartent déjeuner à 40km de là, sans visiter le centre-ville au plus grand regret des habitants qui aimeraient bénéficier du tourisme. « Il y a seulement deux hôtels à Baalbek, l’hôtel Palmyra et un hôtel appartenant au Hezbollah, aucun touriste n’a envie de passer la nuit ici entre deux tirs de RPG », explique Ali. Aux dernières élections municipales en 2016, Baalbek Madinati n’a pas remporté les élections. Ils avaient recueilli pour leur campagne 17,000 USD contre 1,6 million USD pour le Hezbollah financé par l’Iran. Aujourd’hui, le Hezbollah a pris le contrôle de la ville donc il a adouci ses méthodes mais il gouverne avec toujours autant de fermeté. « Même si les tchadors sont moins visibles qu’au début des années 2000, et que certains établissements ont pu réintroduire de l’alcool, le Hezbollah est toujours aussi présent. Il n’a tout simplement plus besoin de prouver son autorité », raconte Tony.

De son passé glorieux où elle faisait rêver les plus grands, Baalbek est devenu le bastion du Hezbollah. Camps d’entrainement et armes sont devenus les emblèmes de cette cité autrefois ville citoyenne du monde. Celle qui hier apportait joie de vivre, aujourd’hui fait peur. Celle qui hier vibrait aux notes de musique du festival, aujourd’hui vibre aux sons des mitraillettes entre différents clans familiaux. Aujourd’hui il est difficile d’imaginer Baalbek avant la guerre, seulement à travers les récits de ses habitants, nostalgiques de leur ville et d’une douceur de vivre qui n’existe plus. La majorité des habitants, musulmans et chrétiens, sont partis laissant derrière eux les fantômes de leurs souvenirs.

Aujourd’hui, l’histoire de Baalbek résonne plus que jamais à Beyrouth. Les Beyrouthins délaissent leur ville face aux difficultés économiques et sociales. La scène culturelle commence à disparaître avec la fermeture de grandes institutions comme le cinéma Metropolis, la station de radio, Radio One et le magazine Commerce du Levant. L’éducation, pilier important de la société libanaise souffre également de cette crise financière sans fin. Face à la pauvreté galopante, les portraits de martyrs iraniens et les drapeaux du Hezbollah sont de plus en plus présents et apparaissent comme les sauveurs d’un Liban abandonné par tous. L’écroulement de la société libanaise est une porte d’entrée aux alliés de l’Iran pour étendre leur influence religieuse et politique sur la capitale. Une grande partie de la population ne se reconnaît pas dans ce nouveau Liban au visage défiguré et abusé ; et où la culture et la liberté d’expression n’ont pas leur place. Aujourd’hui Beyrouth est plongé dans le noir et l’identité culturelle de la ville change à mesure que les Libanais quittent le pays.

Nada El Kurdi

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