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Billet de blog 10 novembre 2025

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La métamorphose coloniale au Sénégal : sept piliers d’un héritage invisible

Nader VAHABI

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Introduction

Plus de soixante ans après « l’indépendance », le Sénégal demeure marqué par une empreinte coloniale persistante. Loin de s’être effacée, cette empreinte s’est transformée en une métamorphose coloniale : une domination qui ne se manifeste plus sous sa forme brutale et visible, mais qui agit à travers la langue, l’imaginaire, les institutions, la monnaie, l’armée, les habitudes de consommation et même l’espace urbain. Cette métamorphose est d’autant plus efficace qu’elle se fait oublier : nombre de Sénégalais ignorent que leur identité, depuis plus d’un siècle, a été remodelée par ce legs.

J’ai fait trois voyages au Sénégal, le premier était en septembre 2024 (une semaine) pour une visite touristique et amicale. J’avais une appréciation assez générale : un pays dans lequel il n’y a pas de coup d’Etat et, contrairement à ce qui se passe France, on voit une laïcité qui ne se mêle pas à la politique et une femme voilée vit tranquillement à côté d’une femme en minijupe sans un regard de travers. Les filles sans foulard ou avec foulard peuvent entrer dans les écoles publiques et privées sans frustration mais les deux lycées Jeanne d'Arc et Jean Mermoz n’apprécient pas le foulard au lycée[1]. Le 2ème voyage correspondait à une participation à un colloque sur l’IA en avril 2025 à l’université de Cheik Anta Diop. J’ai fait connaissance avec certains collègues de cette université qui avaient un regard critique sur la période postcoloniale et la transition des années 1960[2]. Le 3ème voyage était en août 2025 et il m’a donné une vision plus objective, surtout après ma visite dans la région de Casamance et la découverte de la personnalité Aline Sitoé Diatta (1920-1944). C’est ce dernier voyage qui m’a orienté vers la publication de cet article. En conséquence, mon rapport de voyage se nourrit de l’expérience d’une personne qui connait la société française depuis l’exil définitif en France en 1994 et qui s’intéresse à la transition démocratique. N’étant pas spécialiste du Sénégal, j’ai néanmoins le regard d’un exilé tiers-mondiste installé en Europe mais je ne me considère pas comme un exilé assimiliste[3].         

Léopold Sédar Senghor (1906-2021), premier Président pendant deux décennies (1960-1980), a marqué le Sénégal par sa pensée de la Négritude, par un projet culturel francophone et par un État fortement autoritaire et centralisé, épaulé par les intellectuels sénégalais assimilistes   et par la main de fer du colonisateur Jean Colin (1924-1993) qui était la bête noire de la société sénégalaise jusqu’à sa mort[4]. Pendant longtemps, l’héritage senghorien était à la fois un socle et une référence quasi indépassable : renforcement du concept de l’Etat, valorisation de l’unité nationale, primauté de l’intellectuel et du poète, rôle structurant de la langue française, et une conception d’un régime de l’interdiction des partis politiques.

Aujourd’hui, plusieurs dynamiques poussent la société sénégalaise à se détacher de cette matrice :

Sur le plan démographique, 17 738 795 habitants en 2022, une jeunesse, majoritaire dans le pays[5] et qui ne s’identifie plus directement à Senghor. Elle revendique davantage d’ancrage dans les langues nationales (wolof notamment)[6], les cultures urbaines, les modes d’expression numériques et la langue arabe[7].

Sur le plan politique, on observe une transformation importante après quatre alternances plus ou moins issues de l’héritage colonial avec l’apparence démocratique (2000, 2012, 2024). Le modèle senghorien de l’homme providentiel et du parti dominant s’efface progressivement au profit d’une vie politique plus éclatée, plus contestataire, plus horizontale.

La redéfinition de l’identité et de la Négritude se forge. Bien qu’ayant ouvert un espace de dignité africaine, elle est jugée par certains comme trop arrimée à la France et à une vision élitiste. De nouvelles générations d’intellectuels et d’artistes préfèrent des références panafricanistes, décoloniales à la Frantz Fanon (1925-1961) ou diasporiques.

Les Sénégalais, au pays comme dans la diaspora, vivent au croisement de réseaux mondiaux qui dépassent le cadre francophone[8]. La jeunesse rappe, code, migre, rêve d’Amérique ou d’Europe, tout en repensant ses racines africaines.

Pour autant, Senghor n’est pas effacé : son image reste présente dans les manuels scolaires, dans les institutions (l’aéroport international porte son nom) et son rôle fondateur dans la construction de l’État reste respecté. Mais il cesse d’être la référence unique : il devient une figure historique parmi d’autres et vu parfois comme collabo[9].

Voici les découpages de mes entretiens et des échanges[10].  

« Que pensez-vous du conflit entre Senghor et Dja en 1960. Pourquoi tant d’années en prison ?  

Réponse : 1960 n’est pas décisif pour comprendre l’histoire du Sénégal, pour moi il faudrait remonter au 18ème siècle, notamment à la révolution de 1766 lorsque Thierno Souleymane Baal (1720-1776) a mené la grande révolution du Fouta, connue sous le nom de Révolution torodo. En ce qui concerne les conflits entre Senghor et Dia, il faut contextualiser l’époque car la notion de l’Etat n’existait pas en 1960 et Senghor a pu introduire cette notion mais il faudrait d’abord assoir la légitimité de l’Etat »[11].  

« Senghor est toujours pour moi un grand homme littéraire et il a fait des bonnes choses pour notre pays… »[12].

« Senghor était ami et poulain de Georges Pompidou (1911-1974) et il ne le cachait pas. Pour lui la France doit rester au Sénégal. On voit bien son intervention auprès de Georges Pompidou pour l’extradition d’Omar Blondin Diop (1946-1973) à Dakar, suite à une demande de Léopold Sédar Senghor »[13].

« Revenir sur la période de Senghor est très intéressante car elle touche une polémique historique :la place de Léopold Sedar Senghor dans la colonisation française et dans l'histoire du Sénégal. Pour certains, Senghor était un collaborateur ayant prolongé la domination française. Pour d’autres, il s’agissait d’un visionnaire pragmatique, ayant choisi la voie de la négociation pour éviter les drames. Quant à moi, je le vois comme complice des puissants : une belle maison en Normandie achetée avec notre argent, c’est tout simplement inadmissible » [14].

« Grace à la France j’ai pu monter dans l’administration française. J’ai été cadre dans le système pénitentiaire français, là je touche une bonne retraite. J’ai une maison en Normandie et en vacances je viens à Dakar, on ne peut rien faire. Je sais que la France a colonisé notre pays et a volé notre richesse. Tu penses que la Russie et la Chine sont meilleures. Le nouveau gouvernement Ousmane Sonko ne peut rien faire… »[15]

« Je travaille avec mon mari et nous avons une entreprise dans le bâtiment qui dure depuis son père, après la 2ème guerre mondiale. Je suis française de souche, j’aime beaucoup Dakar. On est comme à Paris. On a les mêmes fêtes de Pâques, de Noël. Je me sens à Dakar comme à Marseille ou à Lyon. La France a servi le peuple sénégalais, c’est un pays moderne …..»[16]

« Un jour, il y a deux ans, un soldat de l’armée française est venu pour acheter un de mes tableaux. Je lui ai demandé si son pays accepte qu’une partie de l’armée sénégalaise ait une base militaire en France. Il m’a répondu « ce n’est pas pareil ». De retour, il n’a pas voulu me croiser et il est sorti par l’autre porte. Pour voir le vrai visage de la France, vous pouvez aller visiter l’ile Karabane et les héritages coloniaux avec l’église qui était de connivence avec les colonies, il ouvre tes yeux cette sur les héritages coloniaux. Tu vas voir l’église était de connivence avec les coloniaux… »[17].      

« Je me suis installée à Kabrousse depuis une dizaine d’années. C’est mon paradis : les gens y sont sympathiques, et grâce à ma retraite, j’ai pu construire une petite case. Je sais qu’Aline Sitoé Diatta a été arrêtée par les Français dans ce village, car elle protestait contre l’obligation de cultiver un produit européen, l’arachide, au lieu du riz. Personne ne sait vraiment ce qui s’est passé au Mali ensuite » [18].

En somme, le Sénégal ne « renie » pas Senghor, mais il s’en détache : il passe d’un héritage sacralisé à une mémoire discutée, en phase avec les défis d’une société jeune, urbaine et globalisée.

L’idée centrale de mon article se place à la croisée de deux concepts l’«éthique du passant» de Mbembe,[19] et « l’exotisme rédacteur » de Segalen qui remettent en cause une visite touristique classique ou un voyage d’agrément[20].     

Le concept d’« éthique du passant » est ici proposé par nous, en écho critique à Victor Segalen, Essai sur l’exotisme. Une esthétique du divers. Là où Segalen dénonçait l’illusion d’un exotisme réducteur, l’« éthique du passant » désigne une démarche réflexive consistant à lire la ville colonisée, Dakar, en l’occurrence, comme un palimpseste de métamorphoses et de survivances.

Alors en marche dans Dakar comme un passant curieux, non en touriste avide d’images pittoresques mais comme un guetteur des traces invisibles. Les rues me parlent : « avenue Pompidou », « rue de Gaulle », Lycée Jean Mermoz, etc. Chaque plaque bleue plantée au coin des trottoirs raconte la persistance d’un ordre ancien, un passé que l’on voudrait croire révolu mais qui s’incruste dans la pierre et la mémoire. Devant moi, un supermarché aux néons criards, Auchan, juste à côté de l’université Cheik Anta Diop, étale ses produits importés. Le café brûlant, si familier, est devenu un geste quotidien, presque naturel, alors qu’il ne vient pas d’ici. Tout est métamorphosé : les goûts, les habitudes, les rythmes de vie. L’héritage colonial s’est glissé dans le corps des jours, si bien que chacun le respire sans y penser.

Dans son Essai sur l’exotisme (écrit entre 1904 et 1918, publié bien plus tard), Victor Segalen (1878-1919) critique l’exotisme superficiel des voyageurs et des colons, qui réduisent l’autre à des clichés ou cherchent à tout assimiler. Pour lui, l’exotisme authentique est la perception du Divers : accepter la distance irréductible de l’autre et ne pas vouloir la réduire. Cela le met en décalage par rapport à l’idéologie coloniale française de son époque, qui prônait l’assimilation et la mission civilisatrice.

Cependant, Segalen reste un homme de son temps issu de la culture coloniale ; il n’est pas un militant anticolonial au sens politique comme Edward Said (1935-2003) ou Frantz Fanon (1925-1961)) et sa critique est esthétique, culturelle, presque existentielle, plus que politique.

L’exotisme ne consiste pas à réduire l’autre à des clichés pittoresques, ce que fait le regard colonial, mais à accepter le Divers, à accueillir la distance irréductible de l’altérité. Dakar, aujourd’hui, offre au passant attentif non pas l’exotisme d’une carte postale, mais la découverte des métamorphoses coloniales qui se cachent dans ses rues, sous ses enseignes et ses goûts importés.

Dans ce voyage l’« éthique du passant » désigne une posture éthique et politique fondée sur la reconnaissance du droit de chacun à circuler et à séjourner librement. Elle suppose que l’être humain n’est jamais assigné à une identité close ni à un territoire unique, mais qu’il se définit par le passage, le mouvement et la rencontre. Cette éthique engage à accueillir la différence comme une composante du monde commun, et à penser la coexistence non plus sous le signe de la clôture et de l’exclusion, mais sous celui du partage, de l’hospitalité et de la traversée.

Alors l’« éthique du passant », c’est cela : déambuler sans s’approprier, mais déchiffrer. Lire Dakar comme un palimpseste où l’histoire coloniale se camoufle dans le présent. Ne pas se laisser éblouir par l’exotisme des couleurs et des sons, mais entendre, sous le vacarme de la ville, la voix des absents, Lat Dior, Aline Sitoé Diatta, Cheikh Anta Diop, Omar Blandon Diop, etc. ceux qui rappellent que l’identité d’un peuple ne se confond pas avec les noms que d’autres lui ont donnés.

Cet article s’inscrit dans un ensemble plus vaste que j’ai nommé Transilogie mal partie [21]à la suite de mes recherches précédentes pour l’Iran de la révolution de 1979, Chili de Pinochet, les militaires en Argentine, l’Afrique du sud de Mandela, etc. Le mot transilogie évoque la traversée, le passage à travers les temps, les idées et les illusions : il s’agit de penser les mutations du monde postcolonial au-delà des frontières géographiques, dans leurs continuités invisibles et leurs fractures intérieures.

À partir de mes observations de terrain, je propose d’identifier sept piliers de cette continuité coloniale.

1. La langue française, pilier du colonialisme, en tant que vecteur d’assimilation

L’officialisation du français au Sénégal et dans les autres colonies d’Afrique de l’Ouest remonte à la seconde moitié du XIXᵉ siècle, lorsqu’en 1848 la France a institué le français comme langue administrative, judiciaire et scolaire. Le français est imposé comme langue officielle dans les quatre communes dites « de plein exercice » : Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar. Sous la IIIᵉ République dans la période de 1880-1890, la politique d’assimilation linguistique s’intensifie avec l’école coloniale. Les lois scolaires de Jules Ferry de 1881–1882 appliquées dans les colonies imposent le français comme langue exclusive de l’enseignement. En 1903 un arrêté du Gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française (AOF) confirme que seul le français a valeur légale dans les actes administratifs et juridiques. En 1960, au moment de l’indépendance, le Sénégal conserve le français comme langue officielle de l’État, inscrite dans la Constitution du 26 août 1960, article 1.

La langue comme instrument de domination

Le français n’est pas seulement un outil administratif : il est la matrice symbolique du pouvoir colonial. La langue devient un vecteur d’assimilation, une machine à produire de la hiérarchie culturelle. Celui qui parle le français est perçu comme « civilisé » ; celui qui ne le parle pas est relégué à la périphérie de la citoyenneté. Ngũgĩ wa Thiong’o (1938-2025) l’a parfaitement résumé :

« La langue du colonisateur devient l’instrument de sa domination mentale. Elle impose une vision du monde étrangère à l’expérience du peuple »[22].Cette hiérarchie linguistique a créé ce qu’on pourrait appeler une double conscience linguistique (pour reprendre Du Bois) : être africain tout en parlant dans une langue qui ne pense pas le monde africain.
Ainsi, la langue française a servi de vecteur d’universalisation fictive, masquant le rapport de domination par le vernis de la « culture » et de la « civilisation ».

Alors les langues nationales, particulièrement le wolof, demeurent marginalisées. Cette hiérarchie linguistique engendre une fracture entre une élite francophone et la majorité populaire. Comme le rappelle Cheikh Anta Diop (1923-1968), la dépossession linguistique entraîne une dépossession culturelle et historique, puisqu’« un peuple sans langue est un peuple sans mémoire »[23]. A part les couches sociales aisées, les gens parlent wolof à la maison mais à l’école et dans l’administration, la langue française domine.  

 2. Les intellectuels collaborateurs et la fabrique de l’élite

Ce dualisme culturel se fait d’une manière assez subtile par les « intellectuels organiques » comme relais du système. De Blaise Diagne (1872-1934)[24] à Senghor, une partie de l’élite sénégalaise a servi de relais au pouvoir colonial et postcolonial. Ces figures, célébrées comme « pères fondateurs », ont en réalité consolidé la continuité coloniale en légitimant la présence française. Mon enquête montre que cette image d’« élite coupée du peuple » reste très présente dans les mémoires : on reproche à Senghor d’avoir été poète francophone avant d’être un président africain.

Dans Orientalism (1978)[25], Edward Said (1935-2003) montre que les élites occidentales ont construit un savoir sur l’Orient (et, par extension, sur l’Afrique) qui sert à justifier la domination coloniale. Les « experts », écrivains, administrateurs et intellectuels deviennent les producteurs d’un discours de vérité sur les colonisés. Les intellectuels sénégalais collaborateurs (Diagne, Senghor, Guèye[26]) deviennent à leur tour des relais de ce discours. Ils intériorisent la vision française de la civilisation et la reproduisent localement. Ils incarnent ce que Said appellerait une intériorisation de l’orientalisme : penser l’Afrique avec les catégories de l’Occident[27].

Des figures telles que Blaise Diagne, Lamine Guèye ou Léopold Sédar Senghor, tous formés dans le moule colonial, se sont érigées en médiateurs entre la France et le Sénégal[28]. Présentés comme les « pères » de l’émancipation, ils ont en réalité perpétué le système colonial sous une figure africaine. Achille Mbembe a bien montré comment la post colonie produit cette illusion d’autonomie qui masque la continuité des dépendances[29].

 3. La modernisation superficielle

L’un des piliers du système colonial au Sénégal fut la mise en scène d’une modernisation spectaculaire. Dès la fin du XIXᵉ siècle, les infrastructures coloniales se déployaient comme autant de signes de « progrès » : le chemin de fer Dakar–Saint-Louis (achevé en 1885), Dakar–Niger vers Bamako (achevé en 1924), les ports de Dakar et Rufisque, ou encore quelques routes goudronnées[30]. Ces projets avaient moins pour but d’émanciper le pays que de l’arrimer à l’économie mondiale sous domination française. Le chemin de fer servait à exporter l’arachide et la gomme arabique[31], pas à relier entre elles les communautés locales. Le port de Dakar fut conçu comme base stratégique militaire et commerciale pour la France.

La modernisation fut donc vitrine : une poignée d’écoles, d’hôpitaux militaires, de bâtiments administratifs modernes, autant de façades destinées à illustrer l’idée que la colonisation « civilisait ». Mais sous cette apparence de progrès, les structures profondes de dépendance économique et politique demeuraient intactes[32].

Aujourd’hui encore, cette logique se perpétue sous forme néocoloniale. L’autoroute à péage Dakar–Diamniadio (inaugurée en 2013) a été construite grâce à un partenariat public-privé dominé par des capitaux étrangers, et son coût élevé d’utilisation a accentué les inégalités sociales. De même, les grands centres commerciaux (Auchan, Casino, Citydia) et les projets bancaires internationaux offrent l’illusion de modernité, tout en renforçant la dépendance alimentaire et financière. En réalité, cette modernisation reste superficielle : elle ne produit pas un développement endogène et autonome, mais entretient l’idée d’un progrès importé, prolongeant l’imaginaire colonial du « don de civilisation ». Les politiques de développement reproduisent souvent cette logique de « modernité vitrine », qui valorise les grands projets urbains au détriment des besoins sociaux[33].

4. La culture chrétienne relègue la culture musulmane au second plan

Ma génération a participé activement à la révolution iranienne de 1979[34], mais le règne de Rouhollah Khomeiny (1902-1989), fondé sur une vision islamique intolérante de la politique, a engendré de graves conflits sociaux et des exécutions d'opposants sans précédent, empêchant ainsi la société d'accéder à la démocratie[35]. C'est pourquoi, en exil, le rapport entre politique et religion a toujours été une de mes préoccupations. Or, le Sénégal a ouvert mes yeux sur un islam qui participe activement en politique mais refuse l’application à la lettre de charia, ce que nous pouvons voir dans l’article intéressant de l’Enseignant chercheur Yankhoba SEYDI.

« La relation entre le pouvoir étatique incarné par les dirigeants politiques et le pouvoir religieux confrérique incarné par les leaders des ordres soufis du Sénégal a tellement duré qu’elle a fini par créer une sorte d’entente plus ou moins illicite que nous avons appelée ici collusion, puisque cette entente prend, le plus souvent en étau les citoyens, et même les disciples des chefs religieux, eux-mêmes attirés qu’ils sont, par le message religieux plutôt que par les ondes politiques envoyées »[36].

Le terme « collusion », me semble-t-il, est utilisé pour souligner que cette alliance désavantage les citoyens (et même les disciples des chefs religieux). La collusion implique une complicité qui sert les intérêts des dirigeants (politiques et religieux), mais pas forcément ceux du peuple. Du coup, le projet colonial en Afrique de l’Ouest ne fut pas seulement économique et politique, il fut aussi profondément culturel et religieux. Au Sénégal, où l’islam était déjà solidement implanté depuis des siècles (les confréries mouride, tidjane, qadiriyya)[37], l’administration coloniale française a cherché à instaurer une hégémonie symbolique chrétienne, ne serait-ce que par le nom de Saint-Louis attribué à la première capitale du Sénégal.

Cela s’exprimait à plusieurs niveaux :

Calendrier scolaire et administratif : Noël et Pâques étaient fériés, assortis de deux semaines de vacances, tandis que les fêtes musulmanes (Tabaski, Korité, Mawlid) n’étaient pas reconnues ou seulement tolérées localement. Toponymie et symbolique urbaine : Des cathédrales (comme la cathédrale du Souvenir africain à Dakar) et des statues chrétiennes occupaient l’espace public, là où les mosquées devaient souvent rester discrètes. Écoles missionnaires : Dirigées par les pères spiritains et les sœurs catholiques, elles servaient de vecteur principal de la langue française et de l’idéologie assimilatrice, en inculquant une vision du monde chrétienne et européenne[38].

Cette orientation créait une forme de hiérarchisation religieuse : l’islam, majoritaire et populaire, était relégué au second plan, tandis que le christianisme, minoritaire au Sénégal, se voyait érigé en norme culturelle officielle. Ce déséquilibre renforçait l’idée que le progrès, la modernité et l’État passaient par la matrice chrétienne occidentale[39].

Aujourd’hui encore, l’empreinte demeure. Le calendrier national reste largement modelé par les fêtes chrétiennes, bien qu’il ait progressivement intégré les principales fêtes musulmanes. Mais cette coexistence reste marquée par un héritage colonial où le religieux était instrumentalisé pour affaiblir la culture islamique, force de résistance politique et sociale.

La ville de Touba est en train d’aller dans le sens inverse pour promouvoir la culture indigène[40]. Le vendredi est devenu un jour férié dans cette ville et l'Université Khadimou Rassoul[41] de Touba est fondée sur la vision éducative et les principes religieux enseignés par Cheikh A. Bamba (1853-1927).

Ce déséquilibre reflétait une hiérarchie symbolique imposée par le colonisateur, qui plaçait la minorité chrétienne au cœur de la mémoire publique[42].

 5. La dépendance monétaire : le franc CFA

On dit souvent que l’argent est le nerf de la guerre, ce beau dicton n’est pas applicable au Sénégal. Le franc CFA, Colonies Françaises d’Afrique à sa création en 1945, était tellement humiliant pour le peuple autochtone qu’il a été baptisé plus tard avec un nom soi-disant plus neutre (Communauté Financière Africaine), resté toujours l’un des symboles les plus flagrants de la dépendance postcoloniale.

Conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il fut imposé comme une extension de la souveraineté française dans ses colonies africaines. Aujourd’hui encore, malgré les indépendances politiques des années 1960, le CFA demeure :

-Imprimé en France, par la Banque de France à Chamalières (près de Clermont-Ferrand).

-Adossé au Trésor français, qui garantit sa convertibilité mais impose en échange le dépôt d’une partie des réserves de change des pays membres (jusqu’à 50 % encore récemment).

-Indexé sur l’euro, limitant toute politique monétaire autonome.

Cette situation traduit une indépendance tronquée : les États africains ont des drapeaux et des hymnes, mais pas de souveraineté monétaire réelle. Le Sénégal, comme ses voisins de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), demeure pris dans ce carcan. Il symbolise la dépendance économique la plus éclatante : une indépendance politique proclamée, mais une souveraineté monétaire refusée[43].

L’économiste Ndongo Samba Sylla résume cette condition par une formule frappante : le franc CFA est la « chaîne invisible » qui empêche toute véritable autonomie[44]. Il maintient les économies africaines dans une logique d’exportation de matières premières et d’importation de produits manufacturés, reproduisant les schémas coloniaux. De plus, cette monnaie a contribué à créer une couche sociale aisée avec les grosses bagnoles 4x4, une élite économique et politique bénéficiaire : commerçants, importateurs, et dirigeants qui profitent de la stabilité du CFA pour leurs intérêts, au détriment d’une industrialisation endogène et d’un développement local. Cela est palpable dans les rues, aucune voiture n’est produite à l’intérieur[45]

Les débats actuels autour de sa réforme, avec l’annonce du passage à l’« Eco »[46] pour l’Afrique de l’Ouest, montrent la persistance du problème[47]. Mais pour beaucoup, cette réforme n’est qu’une métamorphose superficielle : le lien au Trésor français demeure, et la souveraineté monétaire reste incomplète[48].

 6. La colonisation du goût et de la consommation

La domination coloniale ne s’est pas limitée aux institutions politiques et monétaires : elle a pénétré jusqu’aux pratiques quotidiennes, aux habitudes alimentaires, au rapport au corps et aux désirs. Le colonialisme a instauré une colonisation du goût en imposant des produits, des circuits de distribution et des modes de consommation qui n’avaient rien d’endogène.

Partout dans ce pays (Dakar, Gorée, Ziguinchor, Casamance, même dans les petits villages, etc.) je vois les ambulants du café Touba[49] d’ailleurs délicieux.

La domination coloniale agit jusque dans le corps et le quotidien. Les grandes enseignes françaises comme Auchan ou Casino imposent de nouvelles habitudes alimentaires : café, pain de blé, lait en poudre, petits yaourts et fromages à la française, etc. Ces produits, devenus « naturels », façonnent les palais et les pratiques de consommation. Felwine Sarr analyse ce phénomène comme une « colonisation de l’imaginaire », où les désirs sont eux-mêmes colonisés[50].

Cette colonisation m’a été plus évidente lorsque j’ai visité le village natal d’Aline Sitoé Diatta (1920–1944) à Kabrousse le lundi 25 septembre 2025 à 13h30. Avec ma collègue, Myriam et un guide, nous prenons la route vers Nialou, quartier natal d’Aline Sitoé. Les villageois ont sur les ruines de sa maison une case mémorielle, une pièce de parpaings, coiffée de paille. Jean-Baptiste raconte son histoire, transmise par son père : mélange de mythe et de réalité. C’est toute la fragilité des civilisations orales : la mémoire ne s’inscrit pas dans les pierres, mais dans les voix. « Dès son retour de Dakar où elle travaillait chez les colons, elle disait qu’elle entendait des voix et qu’elle avait une mission pour le peuple sénégalais. Elle a très mal vécu avec les colons et elle a vu la vraie discrimination des blancs contre elle. Une fois, lors d’une sécheresse, elle a mobilisé les gens pour prier et après la pluie est venue. Elle privilégiait le riz contre l’arachide que les colons voulaient pour la métropole. Les colons l’ont arrêtée et l’ont conduite d’abord à Dakar et ensuite au Mali où elle est morte[51] ». Bien que la mairie ait érigé une plaque commémorative sur la place du village, le ministre de la culture sénégalaise n’investit pas pour cette héroïne nationale, il manque un musée à sa mémoire[52].

Dans les années 1940 pendant la 2ème guerre mondiale, la jeune résistante casamançaise s’illustre en refusant les réquisitions agricoles imposées par l’administration française. Celle-ci contraignait les populations locales à abandonner leurs cultures vivrières (riz, mil, sorgho) au profit d’une monoculture de l’arachide destinée à l’exportation vers la métropole. Aline prônait au contraire le retour au riz local et aux pratiques agricoles traditionnelles, refusant la logique coloniale de dépendance alimentaire. Son insoumission entraîna sa déportation et sa mort prématurée en 1944 alors que l’administration coloniale continuait d’imposer l’arachide pour l’exportation.

Elle incarne ainsi la conscience d’une colonisation qui, dès ses origines, visait à façonner non seulement les structures économiques, mais aussi les palais et les estomacs.

La lutte de cette héroïne montre que le goût est un outil d’aliénation. L’introduction du café, du pain de blé, du sucre raffiné, du vin, des conserves fut imposée comme des marqueurs de modernité et de distinction sociale. Consommer européen devint un signe de prestige[53]. Cette transformation a durablement modifié les régimes alimentaires, au point que certains produits importés sont devenus perçus comme « naturels » ou « traditionnels » au Sénégal.

La création des grandes surfaces (Auchan, Casino et la grande distribution) est bel et bien une persistance néocoloniale. Aujourd’hui, la logique se perpétue avec ces grandes surfaces internationales qui dictent les habitudes alimentaires urbaines : Diffusion massive de produits transformés importés, au détriment des circuits paysans locaux[54].

Uniformisation du goût, où le riz thaïlandais, le lait en poudre européen et le café deviennent omniprésents. Dépendance accrue vis-à-vis des multinationales, qui fixent les prix et marginalisent les petits commerçants sénégalais.

Il s’agit d’une métamorphose du colonialisme : hier l’arachide imposée, aujourd’hui la pizza surgelée et le café soluble. Dans les deux cas, le goût sert de vecteur d’aliénation.

 7. La toponymie coloniale : les rues françaises au cœur de Dakar

Le plus flagrant de cet héritage est peut-être la ville Saint-Louis fondée par les Européens en Afrique occidentale en 1659. Établie par des marins de Dieppe (Normandie) sur l'ile homonyme du fleuve Sénégal, longue de 2 km et large de 300 m, elle fut baptisée ainsi en l'honneur du roi de France régnant Louis XIV, en référence à son ancêtre et homonyme Saint Louis[55]. Cette dénomination est aussi présente dans les centres villes de Dakar et de Ziguinchor en Casamance[56].  A Dakar ces noms sont visibles surtout dans le centre-ville et dans la partie gérée par l’administration coloniale. L’espace urbain de Dakar perpétue une mémoire coloniale.

Au cours d’une balade on peut voir :  

Avenue Louis Faidherbe (1818-1889), général français, administrateur colonial du Sénégal (1854-1861 et 1863-1865)[57], Rue Sadi Carnot (1837-1894), président de la République (1887-1894), Rue François Blanchot de Verly (1735-1807), officier général, administrateur colonial du Sénégal (1789-1807), Avenue Georges Pompidou (1911-1974), place Faidherbe, etc.   

Une rue est nommée Jean Jaurès (1859-1914), homme politique français, socialiste et humaniste, qui n’a pas été directement lié à la colonisation du Sénégal ; on a peu de traces sur sa position relative à la colonisation[58].

L’État postcolonial, soucieux de continuité administrative ou symbolique, n’a pas profondément modifié cette toponymie. Pourtant, rebaptiser les rues au nom de résistants africains serait un geste de démétamorphose[59].

Bien que la véritable rupture doive passer par un projet économique et social profond, je voudrais néanmoins poser une question symboliquement décisive : le nouveau jeune président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye élu en 2025 et son premier ministre, auront-ils le courage d’un véritable remaniement urbain ? À Dakar et dans les autres villes du pays, débaptiseront-ils les rues aux noms français – Georges Pompidou et tant d’autres – pour leur substituer ceux de figures de la résistance et de l’émancipation africaine ? Les noms ne manquent pas : Lat Dior Ngoné Latyr Diop (1842-1886), chef wolof qui s’opposa au chemin de fer colonial ; Aline Sitoé Diatta (1920-1944), héroïne casamançaise déportée pour son refus des réquisitions ; Mamadou Dia (1910-2009), artisan d’une voie sénégalaise de développement ; Thomas Sankara (1949-1987), président du Burkina Faso qui fit de l’intégrité et de l’autonomie la boussole de son action politique. Mais aussi Nelson Mandela (1918-213), Frantz Fanon (1925-1961), Patrice Lumumba (1925-1961) ou Ahmed Ben Bella (1916-2012), autant de noms porteurs d’une mémoire panafricaine et d’un souffle d’indépendance inachevée.

Il est difficile à répondre à cette question. Il y a cependant une petite avancée : l'armée française quitte le Sénégal, fin de sa présence permanente en Afrique de l'Ouest et centrale le 17 juillet 2025[60].

Réinscrire ces noms dans l’espace public serait reconnecter le Sénégal avec son histoire africaine et faire de la ville un lieu de mémoire décolonisée.

Conclusion : de la domination visible à la métamorphose invisible

 Mon premier voyage m’avait laissé l’impression lumineuse d’un Sénégal fidèle à l’esprit de la démocratie libérale[61], un pays rare, en Afrique de l’Ouest, à n’avoir point cédé au vertige des coups d’État, gardant intacte la mémoire de transitions paisibles et d’alternances politiques apaisées. J’y avais vu la promesse d’une maturité politique, un équilibre presque exemplaire.

Mais lors de mon troisième séjour, cette image s’est fissurée. Une ombre a traversé ce tableau trop harmonieux. J’ai senti remonter le goût amer d’une illusion : celle d’un rêve hérité des indépendances, mal négocié, mal conduit. Il m’a fallu, une fois encore, retourner aux années 1960, à cette période postcoloniale où tant de destins nationaux ont été faussés dès l’origine.

Ces sept piliers révèlent que le colonialisme au Sénégal ne s’est pas effacé : il s’est métamorphosé. D’une domination frontale et extérieure, il est devenu une domination intériorisée et quotidienne.

La tâche critique de notre temps est de travailler à une démétamorphose, qui passe par la réhabilitation des langues, des cultures, des pratiques économiques et de l’espace urbain. Car l’indépendance ne peut être réelle tant que la mémoire, le système économique hérité et le quotidien demeurent colonisés.

L’émergence d’une bourgeoisie compradore : la métamorphose intérieure

La domination coloniale, lorsqu’elle cesse d’être visible, devient plus subtile. Elle ne parle plus avec l’accent du gouverneur, mais avec celui du cadre supérieur. Elle ne s’impose plus par la baïonnette, mais par le prestige. Elle se glisse dans les gestes, les rêves et les goûts d’une classe qui se croit libre parce qu’elle a hérité des signes du pouvoir.

Au Sénégal, cette métamorphose s’incarne dans une bourgeoisie d’État issue des écoles françaises, polyglotte, citadine, et convaincue que la réussite passe par la distance avec le peuple. Durant les douze années du régime de Macky Sall, cette élite s’est consolidée comme l’héritière naturelle du colon : hauts fonctionnaires, consultants internationaux, chefs d’entreprise ou universitaires mondialisés, tous réunis par le lexique du « développement » et la promesse d’une « émergence » sans rupture.

Frantz Fanon avait vu venir cette mutation : la bourgeoisie postcoloniale, écrivait-il, « ne veut pas rompre avec le capitalisme colonial, mais en profiter à son tour ». Elle ne libère pas, elle gère. Elle administre la dépendance avec élégance, en changeant simplement la couleur du visage au sommet[62].

Comme le souligne Bertrand Badie, l’État postcolonial africain reste un État importé : sa forme, son langage et ses institutions sont calqués sur le modèle européen[63]. Dans ce contexte, les élites nationales deviennent les médiatrices de la domination mondiale, non par contrainte mais par connivence et recherche du confort. Elles gèrent la dépendance avec zèle, profitent de la rente d’intermédiation internationale et transforment la soumission en statut social. « La dépendance n’est plus une relation entre dominants et dominés, mais entre associés inégaux»[64].

Ce profil trouve un écho saisissant dans la sociologie du col blanc développée par le sociologue américain Charles Wright Mills (1916-1962) une classe moyenne urbaine qui ne produit pas, mais gère, médiatise et reproduit les structures du pouvoir[65]. Le col blanc vit de la dépendance à l’institution et du culte de la réussite, deux traits que l’on retrouve chez les nouvelles élites africaines.

Jean-François Médard (1934-2005), politologue, a montré combien ce clientélisme[66], dans les sociétés postcoloniales, devient un mode d’organisation quasi institutionnel : le citoyen devient client, le fonctionnaire devient patron, et l’État se dissout dans un réseau d’obligations personnelles[67]. Jean-François Bayart parlerait ici de la « politique du ventre », où l’accès à l’État équivaut à l’accès à la richesse, et où la consommation remplace la conscience nationale.

Ainsi, l’ancienne colonisation s’est métamorphosée en style de vie.
Ce ne sont plus les officiers français qui imposent la norme, mais les élites sénégalaises qui la perpétuent : costume italien, carte Visa, vacances à Paris, voiture allemande, discours sur la croissance. L’indépendance a changé de drapeau, non de logique.

Le peuple, lui, observe. Dans les périphéries de Dakar, dans les villages appauvris ou dans les marchés de sable, on paie toujours en franc CFA. Le mot « émergence » résonne comme une ironie, pendant que le taux de pauvreté dépasse 35 %. Entre les tours vitrées et les ruelles poussiéreuses, le fossé n’est plus seulement économique : il est symbolique, presque métaphysique. Car la véritable indépendance ne consiste pas à posséder un État, mais à reconquérir une dignité, un imaginaire, une langue, un goût du monde.

Le sous-titre, mal partie, de l’article fait écho à l’avertissement du sociologue et agronome français René Dumont (1904-2001), mais il en déplace le sens. Il ne s’agit plus d’un simple diagnostic économique ou agronomique sur le « retard » de l’Afrique, mais d’une méditation sur les trajectoires faussées de la modernité imposée. Car si l’Afrique est « mal partie », c’est peut-être moins à cause d’un manque de développement que d’un excès d’imitation, un mimétisme institutionnel et culturel qui a produit des États dépendants, des élites déracinées et des imaginaires greffés.

Cette Transilogie explore les visages multiples de la dépendance : politique, économique, symbolique et culturelle. Cet article consacré au Sénégal, en constitue le premier mouvement : celui de la métamorphose coloniale, où l’indépendance devient continuité, et la liberté, un décor. C’est une réponse à certains Français de Dakar qui m’ont parlé d’un pays africain sans coup d’Etat depuis 1960. Les prochains volets poursuivront cette réflexion sur d’autres territoires, là où les mots de la décolonisation se sont figés, et où l’esprit d’émancipation cherche encore à se dire. Car ce qui demeure au cœur de cette démarche, c’est la conviction que penser la postcolonie, c’est interroger nos propres reflets : les images que nous avons héritées, celles que nous reproduisons, et celles qu’il nous reste à inventer.

Bref, la négritude de Senghor voulait faire du Noir un humaniste ; il faut désormais, au contraire, faire de l’humanisme un acte noir : celui d’un peuple qui se regarde enfin avec ses propres yeux.

Nader Vahabi, Paris, le vendredi 24 /10/2025 (2 aban 1404 du calendrier persan, hégirien solaire), nvahabiut2@yahoo.com.

Bibliographie

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[1]. Entretien avec un parent d’élève en septembre 2024 devant le lycée Jean Mermoz.  « Le proviseur du lycée a convoqué ma fille dans son bureau et lui a expliqué que la circulaire de Gabriel Atal interdit l’abaya à l’école, alors que ma fille pour se faire plaisir l’avait mise suite à un cadeau reçu de sa copine ».  

[2]. Entre le 22 et 25 avril 2025 j’ai été à l’université Cheik Anta Diop pour un colloque sur l’IA. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude pour l’accueil chaleureux des organisateurs du colloque de l’université Cheikh Anta Diop, et tout particulièrement à Aminata KANE Augustin NDIONE, Arame GOUDIABY dont la bienveillance a marqué mon esprit.

[3]. Voir Nader VAHABI, Mémoire d’un parcours migratoire. Le cas d’un sociologue franco-iranien, Paris, Orizons, 2013.

[4]. A ce stade de mes recherches je pourrais citer la répression massive menée par Senghor en décembre 1963 après l’élection législative : bilan officiel 40 morts mais en réalité des centaines. On compare avec les trois dernières années de Macky Sall (2021-2024) faisant entre 63 et 90 morts.

Voir https://www.youtube.com/watch?v=s6zam-rhvT8, consulté le 05 10 2025.   

[5]. 0-14 ans : 41,15 %, 15-64 ans : 55,83 %, 65 ans et plus : 3,02 %. Avec un indice de fécondité de 4.2 par femme. https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mographie_du_S%C3%A9n%C3%A9gal, consulté le 1er octobre 2025. 

[6]. Composition ethnique, Wolof : 41.3 %, peuls : 29.1 %, Sérères : 5.5 %, Diola : 3.2 %, Soninkés : 2.6, Européens et Libanais : 1 % 

[7]. Je vois de plus en plus que dans les écoles privées on enseigne la langue arabe comme 2ème langue. Entretien avec la directrice de l’école Ulul Albab à Dakar le lundi 01/09/ 2025.   

[8]. Nous ne pouvons qu’exprimer notre profond regret face au silence du philosophe Souleymane Bachir Diagne et à son éloge de Senghor. Son mutisme à propos de la répression senghorienne n’a rien d’une omission fortuite : c’est un silence choisi, nourri par la fidélité, la stratégie intellectuelle, mais aussi une certaine forme de pudeur. Ce silence, toutefois, pèse lourd. Il maintient dans l’ombre une part essentielle de la vérité historique : celle des voix étouffées, des opposants bannis, des rêves trahis au nom d’une unité nationale érigée en absolu.

Consulté le 21 /10/2025.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-voix-nue/penser-avec-penser-contre-bergson-senghor-iqbal-3187425.

[9]. Echange dans l’avion avec Moussa, responsable d’entreprise, le 20 /08/2025.     

[10]. Je fais deux types de citations du point de vue méthodologique. Lorsque je cite l’entretien, cela respecte les règles de l’entretien en sciences sociales. En revanche lorsque je cite les échanges je fais référence au concept : conversation à bâtons rompus. Je marche dans la rue et prends du temps pour dialoguer avec les gens.         

[11]. Entretien avec, Yankhoba Seydi, enseignant chercheur à l’université de Chek Anta Diop le 22/08/2025.  

[12]. Entretien avec une lycéenne le samedi 28/09/ 2025 à Dakar.  

[13]. Entretien avec Mohammad, le docteur en sociologie, à Paris le 25/ 09/ 2025. 

[14]. Entretien avec Nafissata, une enseignante à l’école le 30 aout 2025 à Dakar.    

[15]. Echanges avec Karim franco-sénégalais, 65 ans, le vendredi 29 08 2025 à Dakar les Almadies   

[16]. Echanges avec Françoise dans l’avion de Paris à Dakar en septembre 2024. 

[17]. Entretien avec Ramine au marché artisanal de la ville Cap Skirring le mercredi 27/08/2025.

[18]. Entretient avec Marie, le 25 septembre 2025 à Kabrousse. 

[19]. Achille Mbembe, Politiques de l’inimitié, Paris, La Découverte, 2016, consulté 01/ 10/ 2025 la présentation du livre par l’auteur. https://www.youtube.com/watch?v=3xDskHUoRUQ

[20]. Victor Segalen, Essai sur l’exotisme. Une esthétique du Divers.

[21]. René Dumont, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Éditions du Seuil, 1962, p.11–25.

[22]. Ngũgĩ wa Thiong’o, Decolonising the Mind: The Politics of Language in African Literature, London, James Currey, 1986), p. 4–33.

[23]. Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture, Paris, Présence Africaine, 1954, p. 45.

[24]. Lors de mon retour du Sénégal à Paris le mardi 2 septembre 2025, une femme sénégalaise, Eva accompagnée de ses deux enfants revenant de vacances en France, m’a dit lorsque j’ai parlé de la période de Senghor, qu’elle avait du mal à digérer que cet aéroport porte le nom d’une personne qui défendait toujours l’intérêt français au Sénégal.    

[25]. Edward W. Said, Orientalism, New York, Pantheon Books, 1978, p. 10-30. 

[26]. Amadou Lamine-Guèye (1891-1968) était de connivence avec Senghor et en décembre 1962 de vives tensions opposent Senghor au président du conseil Mamadou Dia : les députés se réunissent chez Lamine Guèye afin de destituer le gouvernement de Dia et sauver ainsi le régime de Senghor.

[27]. Antonio Gramsci (1891-1923) aussi distingue deux types d’intellectuels : les intellectuels traditionnels ou amateurs, qui se perçoivent comme autonomes issus de la société civile mais reproduisent l’ordre établi et les intellectuels organiques, liés à une classe sociale et porteurs de ses intérêts. Les Senghor, Blaise Diagne, etc., sont des intellectuels organiques de la classe coloniale et postcoloniale, même s’ils sont noirs. Ils ne servent pas les masses sénégalaises, mais l’élite francophone arrimée à la métropole.

[28]. Ces intellectuels-là donnent le prétexte à un homme d’Etat français de rabaisser les politiques africains dans son discours. Voir l’intervention de Nicolas Sarkozy en 2007 à l’université Cheik Anta Diop « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire […]. Jamais il ne s'élance vers l'avenir […]. Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout est écrit d'avance. […] Il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_Dakar, consulté le 8 /10/2025.   

[29]. Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000, p.101.

[30]. Lors de ma visite à l’université Assane-Seck de Ziguinchor (UASZ), le jeudi 28 08 2025, j’ai eu des échanges avec Pierre, un étudiant en Master II de physique, qui défendait cette politique pour une voie vers le modernisme. La minorité chrétienne a souvent un avis positif sur Senghor et ce modèle du modernisme.       

[31]. La gomme arabique est une résine naturelle qui s’écoule du tronc et des branches de certains arbres du genre Acacia (surtout Acacia senegal et Acacia seyal), très répandus en Afrique de l’Ouest et au Sahel. Elle se présente sous forme de petites boules ou de morceaux translucides, jaunâtres, que l’on recueille après qu’ils ont séché à l’air. Voir Dayoub, Moammar. “Trends and Challenges in Gum Arabic Markets in Key Producing Countries in Africa (Sudan, Chad, Nigeria, and Senegal).” Commodities 4, no. 3 (2025): 16. https://doi.org/10.3390/commodities4030016, consulté le 08/10/2025.

[32]. Jean Suret-Canale, Afrique noire: L’ère coloniale, 1900–1945, Paris, Éditions sociales, 1968, p. 143–147.

[33]. Jean-François Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, p. 72.

[34]. Pour la révoltions iranienne, voir Farhad Khosrokhavar, Utopie sacrifiée, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences politiques, 1993, p.27-81.  

[35]. Nader Vahabi, Récits de vie des exilés iraniens, De la rupture biographique à la nouvelle identité, Paris, Elzévir, 2009, p. 21-68. 

[36]. Yankhoba SEYDI, Entre collusion, collision et corrosion : le rapport confréries musulmanes traditionnelles/pouvoir politique au Sénégal, La revue Al Mesbar, Dubai, 2019, lieu Dubai, Al mesbar Studies and Research Center.

[37].  Islam : 97%, christianisme : 2.5 % et croyances autochtones : 0.5 %. 

https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mographie_du_S%C3%A9n%C3%A9gal, consulté le 20 /09 /2025.

[38]. Donal B. Cruise O’Brien, Saints and Politicians: Essays in the Organisation of a Senegalese Peasant Society (Cambridge: Cambridge University Press, 1975), p. 88–92.

[39]. Jean-Luc Martineau, Les missionnaires au Sénégal : Entre religion et colonisation, Paris, L’Harmattan, 1997, P.134–140.

[40]. Entretien avec une étudiante en Master II Zaineba de l’université Cheik Anta Diope, par WhatsApp, le 08/10/2025.  

[41]. Le nom vient de Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927), figure soufiste et résistant contre l’empire colonial français au Sénégal. L'administration coloniale justifie alors sa décision de le ramener en exil en affirmant : « Il ressort clairement du rapport que l'on a pu relever contre Ahmadou Bamba aucun fait de prédication de guerre sainte mais son attitude, ses agissements, et surtout ceux de ses principaux élèves sont en tous points suspects ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Ahmadou_Bamba, consulté le 08 /10/205.        

[42]. Mamadou Diouf, Histoires et mémoires coloniales, Dakar, CODESRIA, 1999, p.119.

[43]. Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla, L'arme invisible de la Françafrique : une histoire du franc CFA, La Découverte, 2018.  Consulté le 30 09 2025.

https://senego.com/ndongo-samba-sylla-la-supposee-stabilite-monetaire-du-fcfa-est-un-leurre_1844243.html

[44]. Ndongo Samba Sylla, La monnaie ou l’esclavage, La vérité sur le franc CFA, Paris, La Découverte, 2017, p. 24–26.

[45]. Demba Moussa Dembélé, Sortir de la servitude monétaire, À qui profite le franc CFA?, Dakar, L’Harmattan, Sénégal, 2016, p.77–80.

[46]. Contrairement à CFA « Colonies Françaises d’Afrique » puis, en 1960 maquillé en « Communauté Financière Africaine »), les trois lettres de ECO ne sont pas un acronyme classique. Cependant elles viennent de l’abréviation de la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest). En anglais, CEDEAO = ECOWAS (Economic Community of West African States).

[47]. Kako Nubukpo, Sortir l’Afrique de la servitude monétaire, À qui profite le franc CFA?, Paris, La Dispute, 2016, p.45–52.

[48]. L’Eco est le nom choisi pour une future monnaie unique de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), qui réunit 15 pays (dont 8 utilisent le franc CFA). L’idée est ancienne : dès les années 1980, on parlait déjà d’une monnaie ouest-africaine pour renforcer l’intégration économique et sortir de la dépendance vis-à-vis de la France. Certains économistes (comme Ndongo Samba Sylla) parlent d’un « cosmétique monétaire » destiné à calmer la contestation du CFA, tout en préservant les intérêts français.

[49]. Le café Touba se distingue du café ordinaire par l’ajout d’un épice appelée “djar” (ou “selim”), fruit du Xylopia aethiopica, une plante africaine aux notes poivrées et aromatiques. Cette épice donne au café Touba son goût épicé unique et, selon la tradition, des vertus stimulantes et purificatrices. Avec 20 centimes on peut boire un café Touba partout à Dakar.  

[50]. Felwine Sarr, Afrotopia, Paris, Philippe Rey, 2016, p.56. 

[51]. Entretien avec Jean baptiste le lundi 25 septembre 2025 à Nialou. 

[52]. Le manque de la volonté politique a été soulevé par les villageois. C’est une politique habituelle du centre vis-à-vis de la périphérie, la Casamance étant délaissée par l’Etat sénégalais. Avec cinquante mille euros seulement, un tel lieu pourrait voir le jour, vite amorti, et offrir enfin à cette mémoire le cadre qu’elle mérite. L’absence de volonté politique laisse un vide, comme une blessure silencieuse.

[53]. Odile Goerg, Pouvoir colonial, consommation et résistances en Afrique, Les boissons alcoolisées en Guinée, 1880–1958, Paris, Karthala, 1999, p. 210–215.

[54]. James F. Searing, West African Slavery and Atlantic Commerce, The Senegal River Valley, 1700–1860, Cambridge: Cambridge University Press, 1993, p. 189–191.

[55]. https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Louis_(S%C3%A9n%C3%A9gal), consulté le 30 09 2025. 

[56]. Le nom de la ville dérive du portugais « chegaram e choraram », ce qui se traduit par « ils sont arrivés et ils ont pleuré ». Cette dénomination fait référence à la réaction émotionnelle des habitants de la ville à l'arrivée des Portugais, qui craignaient de devenir des esclaves. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ziguinchor, consulté le 30 09 2025. 

[57]. https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Faidherbe, consulté le 05 10 2025

[58]. Entretien avec une enseignante française, le vendredi 29/08/2025 à Dakar.  

[59]. Entretien avec une enseignante au lycé, Ouleymatou, le 1/09/2025 à Dakar.  

[60]. https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20250717-l-arm%C3%A9e-fran%C3%A7aise-quitte-le-s%C3%A9n%C3%A9gal-et-met-fin-%C3%A0-sa-pr%C3%A9sence-permanente-en-afrique-de-l-ouest, consulté le 08/10/2025. 

[61]. Voir Yankhoba Seydi, Libéralisme, Une affaire de de philosophie et de liberté, une histoire de libération, Connaissances et savoirs, Paris, 2025, p.15-22.    

[62]. Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Paris, François Maspero, 1961), p.168–170.

[63]. Bertrand Badie, Quand le Sud réinvente le monde, Paris, La Découverte, 2018, p.103–110.

[64]. Bertrand Badie, La diplomatie de connivence, Les dérives oligarchiques du système international, Paris, La découverte, 2011, p. 62

[65]. Charles Wright Mills, White Collar, The American Middle Classes, New York, Oxford University Press, 1951, p. 23–45.

[66]. Les dix années du pouvoir de Macky Sall ont largement propagé ce clientélisme. Au Sénégal, vague d’arrestations dans l’entourage du fils de l’ancien président Macky Sall. Le 29 septembre, la femme, deux de ses six enfants et le marabout du patron de presse Madiambal Diagne ont été arrêtés à Dakar et incarcérés. La justice les soupçonne d’avoir touché 1,7 million d’euros de rétrocommissions liées à la construction, en 2020, de « 69 bâtiments judiciaires et d’un hôpital à Ourossogui [à 500 km à l’est de Dakar] », impliquant l’entreprise française Ellipse Projects, selon la note du parquet qui a fuité dans la presse sénégalaise.  Le Monde du 06/10/ 2025.

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/10/06/au-senegal-vague-d-arrestations-dans-l-entourage-du-fils-de-l-ancien-president-macky-sall_6644811_3212.html, consulté le 08/10/2025.

[67]. Jean-François Médard, “Le clientélisme politique dans les sociétés en développement,” Revue française de science politique, 30, no. 1, 1980, p.123–154.

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