Nadia Lepastourel

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Billet de blog 6 mai 2020

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"Nos Morts ne meurent jamais"

Je ne vois pas ce que je pourrais écrire comme chapô à ce sujet. Je m'abstiens !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ça a commencé avec une réflexion que je me suis faite juste après avoir posté (c’est bien comme ça qu’on dit ?) mon billet précédent « Je préfèrerais ne pas… » (je l’appellerai billet 1 dans les lignes à suivre).

Une heure après l’avoir mis en ligne, me venait en tête une autre chute et d’autres enjeux. Tout cela m’apparaissait bien mieux que ce que j’avais écrit ou du moins il me semblait que ça aurait pu compléter billet 1 fort harmonieusement…

Dépitée, j’ai donc cherché à modifier billet 1 sur le site... et je suis passé par les étapes suivantes :

« C’est pas possible, on doit bien pouvoir modifier ce qu’on a écrit » (déni)

« Et merde, site de merde ! » (colère)

« Si je contacte le service technique, ils pourront peut-être faire un truc ? » (négociation)

« C’est nul, j’en ai marre … » (tristesse)

« Ca vaut pas le coup de mettre en œuvre des projets d’écriture » (déprime)

J’ai aussi pensé « bon ben, c’est trop tard, trop tard, trop tard... ». Et j’ai maudit billet 1, si définitif.

Et pourtant …

Et pourtant… sans le caractère définitif de billet 1, pas de billet 2… ou du moins pas le même.

Et pourtant… c’est grâce au caractère définitif de billet 1 que je suis menée vers autre chose.

Trop tard alors ? Vraiment ?

Tout cela m’a mené vers le caractère définitif des choses & le deuil.

Sans vouloir me vanter, j’ai ma p’tite expérience du deuil. Oui je sais... Croyez bien que c’est sans prétention aucune et SURTOUT sans aucune comparaison avec qui que ce soit. S’il y a bien une chose d’éminemment commun à tous les humains et en même temps d’intensément personnel, c’est le deuil.

Précision tout de suite : quand je parle de deuil, je pense à tous les deuils : le deuil relationnel, professionnel, géographique, d’une époque, quelque chose qu’on a perdu donc. Je pense aussi, au deuil de ce que l’on aurait voulu vivre et qui ne s’est pas fait : un enfant, une vie de couple, une carrière.

Enfin, je pense au deuil « physique ». Dans le deuil physique, il y a de façon immédiate ce côté « définitif », ce côté « c’est trop tard ». C’est trop tard pour dire à la personne morte qu’on l’aime (ou à quel point on la déteste), trop tard pour l’embrasser, l’engueuler ou rire avec. 

Mais le coté définitif existe aussi pour tous les autres types de deuil. Même si techniquement c’est possible de parler à un ex encore vivant.e ou de retourner dans son pays d’origine, dans les faits c’est souvent impossible à réaliser pour des milliers de raisons. Pour les gens en deuil, là-aussi, il y a dans le cœur un sentiment de « trop tard ».

Quelque soit ce que l’on a perdu (ou que l’on n’a pas « eu »), faire son deuil c’est plein d’étapes « qui disent les psys »…. Les travaux en psychologie abondent sur ce sujet, sur le deuil, le trauma, la résilience aussi.

Kübler-Ross (1969) a été une pionnière dans le travail sur le processus de deuil. Elle propose notamment les phases de déni, colère, négociation, dépression. [On peut discuter la pertinence de « phases » quand il s’agit d’un chemin, comme s’il y avait des tickets à poinçonner. Néanmoins, ça permet de penser le truc]. Dans le chemin du deuil, on trouve aussi, une fois ces premières phases digérées (ou plutôt en parallèle souvent), l’acceptation, la quête de sens.

Et un jour, j’ai entendu cette phrase : « Nos morts ne meurent jamais ». Je ne sais plus où je l’ai entendu. Peu importe, c’est le genre de phrases qui a vocation à appartenir au monde. J’aime profondément cette phrase « Nos morts ne meurent jamais ». Elle m’est à la fois douloureuse et douce. 

J’ai souvent entendu des gens (une fois quelques « phases » poinçonnées) dire que, parce qu’ils avaient vécu un deuil, ils accordaient aujourd’hui une importance particulière à des petites choses : un au revoir le matin, un arc-en-ciel, un sourire d’enfant, un regard dans la rue. Pour eux, les baisers prennent une saveur différente et la vie une coloration pleine et entière. Tout ce qui paraît anodin ne l’est plus lorsqu’on a ressenti un deuil au plus profond de son être. Lorsqu’on a vraiment pris le temps de « deuiller »[1] aussi (et Dieu sait que c’est compliqué dans notre société où l’on [se] doit [de] se remettre vite & bien puis retourner au boulot qui va nous changer les idées… mais je n’en parlerai pas ici)

Le fait d’avoir touché du cœur le caractère éphémère de la vie (d’une relation, d’un lieu) peut mettre face à quelque chose d’exceptionnel : La vie qui continue.

En cela, un deuil est précieux. Un deuil nourrit. Il fait de ceux « qui deuillent » des êtres nouveaux.  En cela, « Nos morts ne meurent jamais ». En cela, il n'est pas trop tard.

Alors oui, c’est vrai, je ne pourrai jamais renouer en paix et en amour avec ma patrie d’origine ou avec mon ancien partenaire. Je ne pourrai plus jamais dire « je t’aime » à mon frère, ma mère. Mais je peux choisir de dire ces mots à mon enfant, mon ami.e, ou tout autre. Je peux choisir d’aimer et savourer chaque moment dans cette nouvelle patrie, ou avec ce nouveau partenaire.  

Rien ni personne ne sera jamais remplacé, rien ni personne ne peut l’être. Mais « Nos morts ne meurent jamais ».

[1] Néologisme de « to mourn » en anglais. Je préfère (et merci à l'inspiration d'I. Padovani). Dans « faire son deuil », j’ai l’impression qu’il y a un truc « à faire »… or il n’y a rien « à faire » quand on deuille, hormis le vivre, c’est ce qui rend la chose si douloureuse.

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