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Billet de blog 5 juillet 2023

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Comme un appel après Nahel

Comment se retrouver au delà de nos autocensures et de nos blessures d’un racisme systémique qui nous broie l’âme et la trajectoire sociale ? Comme un appel après Nahel à nous unir, à nous émouvoir, nous excuser et nous parler vrai. Sur la toile et sur nos places de villes et villages, en regardant Nahel au fond des yeux.

NADIA MOKADDEM

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Appel depuis Nahël

J’ai besoin d’une tribune d’expression et de l’ouvrir à d’autres.
J’ai besoin de faire partie d’une tribu qui s’exprime et qui a un outil de rendez-vous pour se parler et se pAnser 

Je ne sais pas comment m’y prendre pour collecter la parole de ceux et celles qui sont au cœur des quartiers meurtris. Y aller simplement et tendre mon micro ?

Et dire, depuis où nous sommes, chacun et chacune d’entre nous, depuis où nous nous trouvons ce que la mort de Nahel a provoqué en nous et comment nous vivons depuis là où nous habitons  ce nouveau quotidien du racisme décomplexé .

Je voudrais qu’il existe un endroit sur le net et un endroit dans nos villes où nous retrouver pour pouvoir nous prendre la main et nous dire :
Et toi comment vas tu? Raconte moi ce que ça te fait?

Et doucement on en arriverait à se dire que pourrions nous faire pour que les choses changent. Je ne vais pas bien de n’avoir ni ce lieu sur internet ni cette maîtrise des réseau sociaux pour les utiliser comme un véhicule de courtoisie le temps d’un voyage vers le plus de monde, ni d’endroits dans la ville, ni tribu .

Alors je rumine seule mon émeute intérieure ma révolte intime ma révolution solitaire 

C’est comme un autre confinement où les gens se révèlent : beaucoup n’interrogent même plus l’amour qu’ils portent à une société qui a érigé les objets et les bâtiments tristes et inertes en culte. On peut shooter à bout portant un gosse de 17 ans mais c’est inadmissible de casser un objet. Une école. Explique-moi comment on rebâtira Nahel. Avec quel tissu humain ? Quels organes et quelles histoires de ses premiers pas au premier souvenir de sa mère le sentant bouger dans son gros ventre de maman?

C’est comme un autre confinement où les gens disent des horreurs sur les arabes les noirs les jaunes les riens les roms les racailles les parents de ça, les génitrices de ça et on se lâche en émeutes de mots gros qui pillent sans gêne le patrimoine de ce qui devrait être nos humanités sensibles. Un quartier sensible ça se surveille. Une humanité sensible aussi mais ils la pillent la brûlent et la bâillonnent en nous disant à l’envi : je te fracasse ton humanité sensible parce qu’on ne vit pas au pays des bisounours.
Ah bon? On nous cache tout dis donc.
Moi je croyais. Moi je croyais que ma gentillesse était ma seule issue de secours pour ne pas ressembler à un chef d’émeute de nos humanités sensibles qui viendrait défoncer nos institutions : le cœur qui bat en chacun d’entre nous surtout quand il a décidé de vivre en bisounours. 
Mais qui sont les émeutiers les plus dangereux Nahel? Ils portent des robes noires, des costumes des uniformes et des costards Hugo Boss, parce que je bosse moi madame !

Je suis frustrée impuissante avec ma rage et la tristesse je voudrais un endroit sur le net. Un endroit dans la ville. Un permis de conduire numérique et une tribu qui viendrait chaque jour animer une place de Toulouse pour se parler simplement et se dire et toi comment vis tu la mort de Nahël et toutes ces interpellations brutales d’une justice qui décidément aime bien se bâillonner les yeux et le cœur et a commencé avec application et comme dans un supermarché un jour de soldes et black friday son émeute des peines de « justice » qui pilleront pour longtemps l’avenir d’une jeunesse auprès de laquelle on ne s’est même pas excusé de l’avoir mis à genoux puis tué a bout portant.

Pour Georges Floyd, la police américaine avait posé un genou à terre pour se distinguer d’une police qui tue d’une police qui collecte en cagnotte la haine. Je n’ai pas vu ici de policier de France mettre un genou à terre et se recueillir ou s’excuser de rudoyer en permanence les petits de nos quartiers sensibles.

Sans doute parce que désormais il va de soi que nous habitons des quartiers insensibles où de magnifiques terrasses de café et des parcs proprets et une consommation proprette noie et interdit l’accès à cette humanité sensible car rappelez vous on n’est pas là pour s’aimer et vivre en hommes et en femmes et en êtres de chair et de désirs et de rêves.


On est là pour adorer le bleu : celui de nos cartes et de nos uniformes et des coups que nous infligeons avec grâce et empressement à nos humanités en acceptant de poser un genou à terre chaque jour en hommage au capitalisme triomphant. Un certain bleu qui fait outrage à ce bleu du ciel, à ce bleu des poètes, à ce bleu que j’aime tant. De la mer qui m’origine et m’apaise. Ce bleu de mon amie poétesse Domi, ce bleu de mon ami Saïd sociologue. Il y a outrage à notre bleu.

Alors vite il faut servir ce bleu qui nous vole notre bleu et faire une justice aussi rapide que la caisse numéro 8 où Christiane est en caisse rapide . Vous avez moins de dix articles allez zou huit mois fermes.

Le capitalisme est notre nouveau papa notre nouvelle maman et il nous dresse à aimer ses préceptes. Le capitalisme n’oublie aucun de ses enfants et il adore notre adoration.
Et le racisme est son compagnon de route 

Nahel pardon. Nahel on n’est pas sérieux quand on a 17 ans …
Nahel pardon. L’enfant n’avait pas crié vive la république . 
Nahel pardon j’ai mal car le coup à bout portant j’ai l’impression qu’il déchire mes oreilles et qu’à chaque policier croisé il réveille mon trouble traumatique hérité de toute ma carrière de discriminée.
Nahel, tu me crois quand je te dis que je sens la déflagration dès que je croise un policier ou que j’entends une sirène bleue. C’est comme si je vivais en pays occupé et que je devais cacher ce que je suis pour ne pas m’exposer. Nahel ta voiture était jaune vif.
Pourquoi on se cacherait d’être heureux et plein de vie et pourquoi on n’aurait pas le droit d’être insolent à 17 ans et toute la vie ? 
Pourquoi veulent ils nous apprendre à obtempérer oblitérer valider consigner déclarer scanner soussigner?

Pourquoi à coup de matraque vient on nous apprendre à devenir des zombies amputés du cœur et du cerveau ?


Nahel pardon, je n’ai que les mots.


Je n’ai jamais rien raconté de ma rage à vivre dans ce pays qui est le mien. Je n’ai jamais dit ouvertement ce qu’ils ont pillé et saccagé en moi avec leurs grands principes capitalistes et racistes déguisés en propreté bourgeoise et républicaine où je ferai toujours tache dans ce monde là.
Où on attend la rentrée de septembre pour manifester et où on nous laisse crever à ciel ouvert car nous sommes les racailles les parias ou les ratés quand on a dépassé l’âge d’être une racaille ou qu’on a ingéré tout leur capital culturel qui va bien et qu’on n’a pas su être un supplétif ou un carriériste ou un passage entre les gouttes ou un stratège ou qu’on ne sait pas tout simplement se taire et ruser ou composer .

Certains d’entre nous Nahel succombent sous d’autres balles. Des coups de boutoir répétés à nos âmes sensibles qui nous font faire des sorties de route . 
Mais Nahel la vie est belle.
Je voudrais qu’on continue de te parler longtemps et tu grandiras avec nous. Je voudrais te promettre qu’on va changer le scénario répétitif de cette mauvaise série qui n’a que trop duré. 

Nahel pardon, je voudrais un endroit sur le net, une place à Toulouse où retrouver des gens sensibles qui comprennent le pillage et le saccage de nos vies et de nos humanités de racisés meurtris par ce cirque 
Il y aurait des policiers qui viendraient mettre enfin le Genou à terre il y aurait des blancs bienveillants qui diraient enfin tout fort de quelle société ils rêvent 
Mais plus loin sous l’arbre tu serais là Nahel et on se dirait enfin tous et toutes des choses sensibles et sensées sur nos vies au rabais et sur cette tristesse orchestrée par des gens riches mais terriblement emmerdants et qui nous polluent l’existence avec leurs petites combines et leur dispositif mental. Quand on pense qu’acheter placer investir arnaquer et s’habiller en propre et cher c’est ça vivre heureux il est évident que nos vies vont au rabais. Un jour un policier m’a dit alors que m’arrêtais lors d’une grande braderie devant le contrôle musclé d’un jeune homme noir : « circulez consommez y’a rien à voir! »

Ce pays, mon pays, c’est comme lorsque je suis invitée à une soirée où le Dj passe une musique qui n’a aucune âme et où les filles et les gars font semblant de s’amuser, blasés d’avoir déjà tout dans leur frigo leur penderie leur compte en banque, et déjà dressés à dire qu’ils ne vivent pas dans le monde des bisounours. Dressés à mépriser ce qui ne leur ressemble pas, et dressés à l’odeur et sous emprise du parfum du fric absolu.

Pardon Nahel, ils t’ont tué pour continuer à danser comme avant sur leur dance floor républicain. Où on s’emmerde grave sauf si on a pris des trucs pour sortir de ce mortel ennui de ne pas savoir quoi faire de son humanité.

Je fais un appel public.
Où pourrions nous nous retrouver pour rendre hommage à la vie de Nahel et nous parler nous réconforter et nous dire enfin des choses qui ne sont pas des slogans mais des bouts de chair vraie de ce qui fait nos vies dans ce système triste, où on aimerait changer de DJ mais pas nécessairement pour mettre la DJette ou ses fans fascistes à la place.

Où ?
Qui pourrait m’aider à créer un beau lieu de rencontres sur la toile et m’apprendrait à utiliser la voiture numérique? 

Je voudrais qu’il existe un endroit sur le net et un endroit dans nos villes où nous retrouver pour pouvoir nous prendre la main et nous dire :
Et toi comment vas-tu? Raconte-moi ce que ça te fait?

Et doucement, on en arriverait à se dire que pourrions nous faire pour que les choses changent.

Chiche ?

On se le fait ? Cet été, le plus tôt possible, car nos cœurs saignent et la rentrée des cartables c’est loin, et il y a tout l’été à tenir et à retenir 

Nadia M

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