Vendredi 20 Mars. Fin de journée.
Le Premier Ministre haïtien annonce que 3 centres sont ouverts pour accueillir les malades. Aux Cayes, aux Gonaïves et au Cap-Haïtien. A 197 kms, 151 kms, 199 kms de Port au Prince où vivent au moins 2, 5 millions d’habitants. Impossible de s’y rendre par la route.
« Les déplacements dans ces zones sont TOTALEMENT déconseillés.
Liste zones rouges :
Port-au-Prince : Bas de la Ville, Bicentenaire, La Saline, Bolosse, Croix de Bossales, Sans Fil, Bel Air, Delmas 2 à Delmas 18, ainsi que tous les bidonvilles de la zone. Si vous devez emprunter le reste de l’avenue de Delmas, merci de bien vérifier les conditions de sécurité avant de le faire.
Autour de Port-au-Prince : la zone Martissant / Carrefour / Leogane , Croix des Bouquets, Ganthier , RN 1 au-delà de Saint Marc ainsi que toute la zone de l’Artibonite » (message reçu de l’ambassade le 13/02 et toujours d’actualité).
Comme je suis disciplinée, j’obéis et je suis ces recommandations.
Sur les 2 cas avérés, l’un se trouve à Port au Prince, l’autre dans le département de l’Artibonite.
Maintenant on fait comment ? Maintenant qu’il ne s’agit plus simplement de vouloir prendre l’air hors de Potoprèns ? Maintenant que nous avons rejoint le reste du monde confiné, malade, souffrant.
On attend.
Et surtout on ne s’en plaint pas. On ne pose pas de questions qui fâchent, on ne cherche pas à anticiper justement parce que l’on connaît ces dangers. Non, on attend stoïquement, silencieusement…bêtement.
Pour l’Etat Français, la priorité est de s’occuper des 130 000 touristes dans le monde. Nous ne sommes pas prioritaires. Pourquoi le serait-on ? En choisissant de venir travailler en Haïti, nous avons accepté de disparaître. Un tout petit point dans la Caraïbe, si petit. Chut, ne faites pas de bruit. Apprenez la patience, enfin !
Samedi 21 Mars. Journée.
Ce matin, je suis sortie pour faire des courses. Nous en avions l’autorisation. Sortir vite, rentrer vite et attendre.
Dans la rue, bien sûr, le risque est visible, le discours présidentiel est dans beaucoup d’esprits. Visible sur le visage des gardiens qui aujourd’hui portent masques et gants, dans le regard de ce chauffeur de tap-tap croisé sur ma route, visible aussi par le peu de gens dans la rue pour un samedi matin. Tiens, à ce carrefour seul un policier sur les deux porte un masque. Et on se surprend à sourire…
« Les réunions et rassemblements de 10 personnes sont interdits. »
Pourtant, le supermarché est bondé. Un petit monsieur au sourire timide désinfecte la barre du dernier caddie et me le tend. A l’intérieur, la foule me pique les yeux. Difficile de se frayer un chemin dans les rayons. Les caissières ont des masques et des gants mais aucun des manutentionnaires, peu de clients. Une attente interminable à la caisse, dans une promiscuité évidemment dangereuse.
Plus de gel hydro-alcoolique disponible, le rayon savons est anorexique.
Sur le chemin du retour, je souris devant la créativité de certains pour se protéger. Dans un tap-tap, un passager s’est couvert le visage d’un collant représentant le drapeau haïtien. Un Marvel local. Un autre monsieur rencontré porte lui un masque à gaz militaire. Le sien est rose, d’un beau rose fluo.
Un médecin me dit tout à l’heure : « ce sera une hécatombe. » Parce qu’il connaît le système de santé et les autorités. Parce qu’il lutte déjà au quotidien, bien avant l’arrivée de ce virus.
« Hécatombe : sacrifice de cent animaux, généralement des boeufs »
Hécate rôde et tombera.
2 cas avérés au moment où j’écris. Toujours les mêmes. Et les personnes qu’ils ont fréquentées, croisées, embrassées, contaminées ?
L’Etat Français sait tout ça. Il est et il sera responsable de ce qui nous arrivera.
« La pire des attitudes est l’indifférence, dire « je n’y peux rien, je me débrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l’une des composantes essentielles qui fait l’humain. Une des composantes indispensables : la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence. » (Stéphane Hessel)
Jusqu’ici tout va bien.