Vendredi 21 Mars. Soirée.
« Dans l’immédiat, cette Ambassade a appris que plusieurs compagnies américaines (notamment Jet Blue mais aussi, sans doute, American Airlines et Spirit) pourraient opérer des vols tous les jours de la semaine prochaine à destination de plusieurs villes des Etats-Unis, notamment Fort Lauderdale et Orlando. Ces vols seraient ouverts à tous et réservables, notamment, sur le site internet des compagnies concernées. A cet égard, il doit être rappelé qu’il existe encore des vols opérant entre les Etats-Unis et l’Europe. Si cette possibilité se confirmait et si vous décidiez de saisir cette opportunité, il vous reviendrait de réaliser les réservations. »
C’est une plaisanterie, n’est-ce-pas ? On ne peut pas croire que nos représentations diplomatiques nous proposent un scénario aussi pathétique. Nous informer que nous pouvons fuir vers Fort Lauderdale ou Orlando, nous débrouiller sur place pour vérifier si éventuellement peut-être un vol vers la France existe ?
A vos claviers tout le monde, Opodo my friend.
Imaginer que les Américains vont nous accueillir les bras ouverts avec nos passeports français ? En sachant qu’aux Etats-Unis, il n’y a pas de zone de transit ? En courant le risque d’être coincés là-bas et connaissant leurs coûts pour se soigner ?
Le rêve américain quoi.
“Book flights
Something went wrong.
We didn’t find a match. Please choose different search options”
Fin du rêve, on se réveille là-dedans !
Oui mais bon, vous ne pouvez pas dire que l’on n’a rien proposé !
J’en déduis donc que ce dont sont capables les Américains pour évacuer leurs ressortissants (et ils sont nombreux en Haïti), la France n’en est pas capable et nous sommes environ 1300 dans le pays. Sur Wikipédia, je lis que la France est la 6ème puissance économique mondiale…
Est-ce cela que l’on appelle la délocalisation ? Non, cela s’appelle simplement « déplacer le problème », l’éloigner, qu’on l’entende moins, qu’on ne l’entende plus, qu’il crie aux oreilles d’autres, qu’il se taise enfin.
Samedi 22 Mars. Matin.
A partir de demain soir, toutes les liaisons aériennes entre les Antilles et la France seront suspendues jusqu’au 15 avril.
Qui peut croire que le 15 avril, tout rentrera dans l’ordre ?
« De toutes façons, vous êtes mieux où vous êtes pour l’instant (…) et puis en France, les services sont saturés »
Oui mais entre être sûre de ne pas être soignée et mourir ici et avoir une chance, même petite, même minuscule, même ridicule, de l’être en France, je n’hésite pas. Je vous l’ai dit, je suis lâche moi, furieusement lâche, je suis la sœur de Bardamu, le compagnon de bar de Jean-Baptiste Clamence !
« Oui, tout à fait lâche, je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans… Je ne la déplore pas moi… Je ne me résigne pas moi… Je ne pleurniche pas dessus moi… Je la refuse tout net. »
Je fais partie de la catégorie de gens aisés en Haïti, je le sais, j’en suis consciente. Je sais que si je suis malade, j’occuperai un des 50 lits disponibles dans le pays. Je sais que je prendrai la place d’un Haïtien. C’est le pouvoir de l’argent.
La grande majorité des Haïtiens ne consulte pas de médecins s’ils sont malades, tout simplement parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Ce qui va se passer donc, c’est que seront accueillies – accueillies et non soignées – les personnes les plus aisées économiquement et parmi elles, nous ressortissants français.
Est-ce acceptable ?
13h30.
J’apprends que toute la coopération espagnole (y compris les ONG) sera évacuée mardi via Saint-Domingue avec ouverture d’un passage humanitaire et avec…Air France.
L’Espagne est la 12è puissance économique mondiale.
L’Espagne, très fortement touchée par le coronavirus, n’abandonne pas ses ressortissants en leur disant « vous êtes mieux où vous êtes ».
Ayiti chérie, à la vie à la mort ?