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Billet de blog 24 avr. 2020

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Enseignants responsables, unissons-nous !

En réponse au billet de M. Brighelli dans Marianne

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Cher Monsieur Brighelli,

Pardonnez-moi je n’ai pas le réflexe de dire « cher collègue » tant j’ai effectivement le sentiment que vos intérêts sont mus par autre chose que l’éducation des élèves.

Non je ne suis pas et ne veux pas être un prêtre des Lumières. A chacun son métier et je n’ai pas choisi la prêtrise.

Sous vos faux airs bienveillants, votre parole incarne tout ce contre quoi je lutte, nous luttons (car oui heureusement nous sommes nombreux). Vous distribuez des bons points : les héros « ceux qui enseignent aux enfants de soignants » et…les lâches voire les fainéants sous leurs couettes (le terme est encore à la mode, non ?), et semblez incarner un enseignement datant d’une époque lointaine où l’on ne perdait pas son temps à s’imprégner des textes, dialoguer avec des œuvres, s’approprier des savoirs, une époque où il fallait se faire récipiendaire d’un savoir ruisselant. Non merci.

Ce n’est pas la peur qui me pousse à m’opposer à ce plan de déconfinement d’un gouvernement amateur mais le bon sens et la colère.

Le bon sens parce que je ne comprends pas cette décision de rouvrir en priorité les écoles alors qu’il y a quelques semaines ces mêmes écoles étaient considérées comme des lieux de propagation dangereux. Pourquoi de nombreux pays européens font - ils eux le choix de reporter la rentrée à septembre ? Pourquoi laisser aux parents le choix d’envoyer leurs enfants en classe si ce n ‘est pour se décharger de toute responsabilité ? Croyez-vous vraiment que les parents démissionnaires trouveront la force d’envoyer leurs enfants, ceux en échec scolaire ?

En colère devant la cacophonie des discours politiques : « les écoles ouvriront dès le 11 mai », « mais pas toutes », « mais pas en même temps », « mais pas pour tout le monde », « sur la base du volontariat ».

Comme ce gouvernement auquel vous semblez trouver des qualités, vous avancez l’argument infaillible « des millions d’élèves en rade », et vous vous souvenez avec Blanquer que les inégalités sociales existent et qu’elles pourraient être utilisées à vos fins. Etes-vous naïfs au point d’imaginer qu’en classe, tous les élèves progressent également sans aucun décrochage ?

Non Monsieur Brighelli des millions d’élèves ne sont pas en rade parce que nous sommes des milliers à avoir accepté de renouveler nos pratiques pédagogiques, à avoir accepté de travailler différemment pour continuer à éduquer nos élèves, oui les éduquer au sens étymologique du terme, leur apprendre l’autonomie, le discernement, apprendre autrement. Lorsque l’on apprend autrement, l’on apprend encore et l’essentiel n’est pas d’avoir atteint l’objectif de 24 textes mais d’avoir fréquenté des auteurs, des textes, des personnages et surtout surtout d’avoir un jugement personnel à leur sujet.

Vous parlez de « facture » dans votre lettre or je ne me situe pas dans une démarche commerciale. Mes élèves ne sont pas des produits, je ne commerce pas, j’enseigne. Des millions d’élèves ne sont pas en rade parce que nous, enseignants, nous dialoguons avec eux, leur expliquant que l’enseignement à distance ne remplacera certes jamais le cours en présentiel mais qu’il est important, riche et contribue lui aussi à leur formation, parce que ce qu’ils vivent actuellement participe évidemment à leur formation de citoyens.

Non, nous n’attendrons pas la découverte d’un vaccin pour retourner en classe, nous attendons des discours et des actes responsables, motivés par des considérations citoyennes et non dictées par le Medef. Nous attendons de la transparence dans les prises de décision, dans les choix opérés, dans les échecs aussi. Nous attendons des gouvernants qu’ils soient à la hauteur du moment.

Votre rhétorique guerrière et catholique faisant de nous des fainéants lâches me semble bien anachronique. Je ne suis pas en mal de médaille ou de récompense, et encore moins d’applaudissements et contrairement à Dalida je ne veux pas « mourir sur scène ». Comme beaucoup de mes collègues, ce pour quoi nous nous battons courageusement c’est un nouveau modèle social, plus juste, et partant, un nouveau modèle scolaire qui privilégie l’intérêt de tous, qui forme les futurs citoyens. Non pas « hussards noirs » mais citoyens éclairés.

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