Mercredi 25 Mars. Journée
Toujours 8 cas avérés.
« Chers compatriotes,
Le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères met en place en destination de Paris CDG un vol qui décollera de l’aéroport de Port-au-Prince Toussaint Louverture ce jeudi 26 Mars à 16h10. »
Les autorités dominicaines conduisent les sans-papiers haïtiens vers la frontière de Malpasse pourtant fermée. Ils les laissent là, les abandonnent. Pendant ce temps, les travailleurs journaliers haïtiens continuent à faire leurs allers-retours quotidiens d’un pays à l’autre. Il est toujours question de survivre. Non, la misère n’est pas moins dure au soleil.
“Ain’t got no home, ain’t got no shoes
Ain’t got no money, ain’t got no class
Ain’t got no skirts, ain’t got no sweater
Ain’t got no perfume, ain’t got no bed”
Dans les hôpitaux publics à Port-au-Prince certains médecins se font porter pâle. Sans protection, sans espaces médicaux adaptés, ils ont peur d’être infectés. Hippocrate se terre, Hippocrate a peur, Hippocrate est fragile aussi.
Dans un hôpital, une petite salle d’archives est transformée dans l’urgence en salle de quarantaine. « Ça vous gratouille ou ça vous chatouille » ?
“I got my arms, got my hands
Got my fingers, got my legs,
Got my feet, got my toes (…)
I’ve got life
And I’m going to keep it”
« Ou pas bezwen vini non. Ret lakay ou ! » dit une vieille dame à une amie au téléphone. « Kanpe lwen » !
Des initiatives citoyennes fleurissent.
Ici, une femme décide de traduire en créole les messages de prévention à l’attention de la population ; elle imprime, distribue largement autour d’elle.
Le nom de l’opérateur de téléphonie disparaît des écrans de nos smartphone et laisse place à cette injonction « Lave men nou ».
Un chanteur très connu part sur les routes des villages isolés dans la région de Jérémie armé de mégaphones et de bokit. Il alerte, crie les gestes barrière et invite les familles à répandre ces bonnes paroles autour d’elles à l’aide de ces mégaphones distribués.
Vendredi 27 Mars. Aéroport Toussaint Louverture, 6h30.
« L’Etat (…) Cette union de plusieurs personnes en un seul corps, produite par le concours des volontés et des forces de chaque particulier, distingue l’état d’une multitude : car une multitude n’est qu’un assemblage de plusieurs personnes, dont chacune a sa volonté particulière ; au lieu que l’état est une société animée par une seule âme qui en dirige tous les mouvements d’une manière constante, relativement à l’utilité commune. Voilà l’état heureux, l’état par excellence. » (Diderot).
Les mots ont un sens. Ce matin, ils ont un visage. Celui de femmes et d’hommes au service des citoyens français. Ce matin, le mépris, l’indifférence, l’inertie, avaient suspendu leur vol. Solennité de l’instant, dignité de l’action, beauté du geste. C’est réconfortant ces paroles mesurées, ces regards rassurants, ces sourires timides. Humains, d’abord humains. Cité Soleil.
Ce matin, à Port-au-Prince un médecin directeur d’hôpital a été enlevé. Ses collègues menacent de cesser le travail. Il est libéré en fin de journée. Il avait été enlevé pour soigner un chef de gang blessé lors d’un conflit armé. Il se porte bien et n’a pas été maltraité.
Samedi 28 Mars. Journée
Retour à Reims, Forbach ou ailleurs en France. Je loue une voiture pour parcourir les 450 kms qui me séparent de mon nouveau lieu de confinement. L’autoroute est vide. On entend chanter les oiseaux.
« La carte est plus intéressante que le territoire ».
Dans une des rares stations ouvertes ce message sur la machine à café : « si vous êtes là, c’est que votre activité est nécessaire. Nous voulons vous soutenir en vous offrant le café. »
Dimanche 29 Mars. Matin
15 cas avérés en Haïti. 9 malades ont entre 20 et 44 ans ; un seul patient a plus de 65 ans.
Un patient s’est échappé du lieu où il était soigné et est allé se réfugier à Carrefour. Les personnes testées positives sont considérées comme des pestiférés. La crainte de la vindicte populaire est plus forte que le covid-19.
“I’ve got life
And I’m going to keep it” coûte que coûte.