"Il y a des victimes qui le cherchent plus que d'autres"
J'ai pu lire ces mots aujourd'hui, accompagnés d'un " racontez pas votre vie".
Pourquoi ne pourrais-je pas raconter ma vie?
En quoi mon expérience aurait moins d’intérêt que celles des autres?
J'ai donc, une fois de plus, ressenti le besoin de vous raconter ma vie.
Pour justifier la phrase, qui fait office de titre à cet article, une personne me disait
- Si je me balade en agitant des billets de banque et si je me fais agressé, je suis quand même victime. Mais les gens auront moins d'empathie pour moi que si je n'ai rien fait.
C'est malheureusement vrai. Nous avons souvent tendance à moins soutenir des comportements que nous ne comprenons pas.
Reprenons l'exemple en changeant deux ou trois détails.
- Si je me balade en mini-jupe, talons haut et décolleté et que je me fais agressée, je suis une victime. Mais les gens diront que je l'ai bien cherché.
C'est malheureusement, encore une fois, vrai. En tout cas pour un certain nombre de personnes.
La vague Metoo n'aura pas suffit.
Après la libération de la parole des femmes (et d'hommes, même si on en parle moins), nous en sommes toujours à l'ère des "C'est de la drague", "Mais elle cherche! Vous avez vu comment elle s'habille", "C'est maintenant qu'elle le dit".
En fait, nous savons très bien faire la différence entre de la drague ( même maladroite ) et des comportements déplacés.
Dénoncer ces comportements ne nuit en rien à la virilité masculine et à la séduction.
Je n'ai que très peu participé au mouvement Metoo quand il a commencé.
Et pourtant aujourd'hui, j'ai envie de vous raconter mon histoire.
J'ai bientôt 35 ans, et encore maintenant la majorité de ma famille ( y compris mon père ) ignore que j'ai été agressée quand j'avais 19 ans.
J'étais partie faire mes études loin de chez mes parents.
D'ado complexée, je suis passée à jeune femme bien dans son corps. J'osais enfin m'habiller comme j'en avais envie et non pour me camoufler. Enfin bref, je profitais. Il m'est arrivé de rentrer chez moi, après une soirée, à 2h du matin, en mini-jupe et haut sexy. Si il m'était arrivé quelque chose à ces moments là, certains auraient surement trouvé que je l'avais bien cherché. Je me serais sans doute sentie responsable. Et pourtant je ne "cherchais" rien. J'étais juste bien dans ma peau. Mais il ne s'est rien passé, je suis toujours rentrée sans problème chez moi.
En réalité, j'ai été agressée en sortant du tram un soir à 20h. J'étais habillée de manière totalement banale.
J'avais 19 ans, je n'avais jamais eu de petit ami. Et pourtant instinctivement, je savais que quelque chose n'allait pas. Un homme me suit, je le laisse passer. Il me dépasse puis ralenti pour se mettre à ma hauteur. Il passe alors un bras autour de mes épaules. Je ne le connais pas. Je ne lui ai pas parlé. Je ne l'ai même pas regardé et il se permet de me toucher. Je m'écarte de lui et poursuis mon chemin. Je le sens derrière moi, même si je n'ose pas me retourner.
A l'angle de rue suivant, alors que je suis à 100m de chez moi, il m'attrape et me plaque contre un mur. Je suis figée, en panique. Puis je sens sa main qui essaye de passer entre mes jambes. Une brusque montée de rage s'empare de moi et me rend mon instinct de survie. Je me plie en deux, et je me retrouve à mordre sa main de toutes mes forces.
Je finis par lâcher prise et lui me lâche aussi par la même occasion. Je pars en marchant, je ne cours pas, je sais que je ne suis pas douée pour ça, que je serais une proie trop facile si je cédais à la peur. Je sors mon portable. Je ne sais même plus quel numéro composer. Peu m'importe, je veux juste qu'il croit que j'appelle les flics. J'ai peur de me retourner et de l'apercevoir juste derrière moi. Je finis quand même par le faire, il n'est plus dans la rue. Je retrouve un peu de calme, au moins il ne saura pas où j'habite.
Je rentre chez moi, et retrouve mes colocs. Je suis visiblement sous le choc puisque tout le monde me demande ce qu'il m'arrive. J'ai conscience d'être plus blanche que blanche. Je ne sais même plus dans quelle mesure je leur explique ce qu'il vient de se produire. Ils savent les grandes lignes, ils font ce qu'ils peuvent pour me calmer.
J'ai passé 6 mois à me couper du monde, à rejeter les gestes d'affections des hommes. Je ne leur en voulais pas. Ce n'était pas leur faute, mais je ne supportais plus qu'on me touche. Le geste qui pour moi était synonyme de protection, de bienveillance, était devenu un geste d'agression.
Et puis, comme j'ai toujours été plus douée pour gérer les catastrophes que les broutilles, j'ai fini par me rendre compte qu'au final je me rendais encore plus malheureuse en refusant l'affection des gens.
J'ai donc repris ma vie, presque comme avant. J'ai continué à m'habiller comme j'en avais envie. Encore plus consciente qu'avant que peu importe comment on est habillé si on tombe sur un cinglé.
6 mois de parenthèses dans une vie, au final c'est peu. Oui, mais j'ai eu de la chance. La chance qu'il ait été seul, qu'il ne soit pas armé et d'avoir assez de rage en moi pour ne pas me retrouver dans l'incapacité d'agir.
Je sais aussi ce que c'est la panique qui vous envahit, qui vous ôte toute pensée, qui fait de vous une statue. Rien ne vous prépare à ça.
Alors, non, il n'y a aucune circonstance atténuante lors d'une agression. Peu importe le temps que mettra une victime à parler. Vous pensez que c'est facile de parler quand on sait qu'on risque d'être montré du doigt? Vous pensez que c'est facile de revivre ces moments?
Nous avons beau continuer nos vies, nous n'oublions pas. Et nous ne serons plus jamais tout à fait les mêmes.
Quelque soit l'agression, qu'on soit homme ou femme cela crée des dommages irréversibles.
Personne, jamais, ne devrait avoir son intégrité mentale et physique remise en cause en raison de son sexe, de ses vêtements, de ses origines, de ses orientations sexuelles, ou juste parce qu'il passe par là.