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Billet de blog 2 janv. 2022

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« Je m’engage pour l’école » ou la nouvelle diversion courtisane

« Je préfère me débarrasser des faux enchantements pour pouvoir m'émerveiller des vrais miracles. » Bourdieu

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mes élèves parlent le français et l’écrivent comme une langue étrangère, mal maîtrisée, une langue qui ne leur est pas familière, qui ne leur ressemble pas. Ils me disent souvent quand je les reprends que c’est la « langue des riches, des bourgeois ». Quand, pour me faire plaisir, ils sont attentifs à leur syntaxe, au vocabulaire qu’ils utilisent, ils sont fiers d’avoir joué leur rôle un bref instant ; pendant un temps, ils ont été « riches et bourgeois ». Et ils éclatent de rire. La blague de vouloir leur faire croire que cette langue est la leur, qu’ils peuvent s’en emparer, l’apprivoiser, l’aimer et qu’elle le leur rendra bien.

Dans ce collège rural isolé, il n’y a pas d’Arabes, une seule élève noire et pas de mixité.

Le chômage, l’alcoolisme, la misère semblent s’y être définitivement installés.

Quand je demande à tel ou tel élève pourquoi il n’est pas venu en classe la veille, il me répond « Papa, il a pas pu m’ramener », « maman elle pouvait pas ». C’est l’hiver et plusieurs viennent en short, en t-shirt.

Mes élèves disent être contents de porter le masque parce qu’ils sont « plus beaux » avec. Leurs dents abîmées sont cachées, leurs visages déjà marqués aussi. Ils se préfèrent masqués et ils le disent sans aucune provocation, ils le pensent vraiment.

Ici, les avenirs sont tout tracés. A un élève de 6è qui ne travaille pas, n’a jamais ses affaires, le père prédit « tu f’ras comme moi mon pote, bac – 12 » tandis que sa mère le menace d’un « ben t’iras en Segpa, de toute façon ta sœur et tes frères c’était pareil ».

Empêché d’apprendre, empêché de rêver. A un questionnaire que j’avais distribué le jour de la rentrée, cet élève avait répondu la même phrase à toutes les questions posées : « avoir mon bac ». Comme un mantra.

Les rêves et les désirs ont de toute façon foutu le camp depuis longtemps. De la tête des élèves qui sont intimement persuadés que c’est leur « destin » et de celle de leurs parents qui considèrent l’école comme « une ennemie » parce qu’elle est du côté du bourgeois et donc contre eux.

Pour eux, l’école c’est un autre monde, un monde auquel ils n’appartiennent pas, un monde que certains haïssent même. Parce qu’il y a longtemps déjà que l’école n’est plus à leurs yeux la possibilité d’une autre vie. Elle reproduit les inégalités, accentue les différences sociales. Elle ne fait plus rêver.

Malgré l’énergie et la volonté et l’acharnement de milliers de collègues enseignants. Qui eux savent ce qui existe vraiment derrière « le Grenelle de l’éducation », « les cités éducatives », « la continuité pédagogique », « les internats d’excellence », « les sections Mare Nostrum », « les ambassadeurs Harcèlement » etc etc

Alors quand je lis cette tribune du JJD signée entre autres par MC Solaar et Dominique Besnehard (à quel titre je ne sais pas) qui appelle à une « lucidité collective » tout en faisant l’apologie d’une politique éducative parmi les plus violentes qui soient en matière d’équité et de liberté, j’ai juste envie d’inviter ces signataires à venir passer quelques heures quelques jours auprès de ces élèves, rencontrer leurs parents et réaliser l’écart vertigineux qui existe entre leurs dispositifs brandis comme des trophées et la réalité, celle d’une jeunesse désespérée et d’une certaine manière condamnée. Ici en France en 2022.

La politique éducative de Macron a commencé le 18 juin 2018 quand, à un adolescent l’interpellant d’un « Salut Manu », il a répondu « « Le jour où tu veux faire la révolution, tu apprends d'abord à avoir un diplôme et à te nourrir toi-même, d’accord ? Et à ce moment-là tu iras donner des leçons aux autres ».

Ce jour-là, on a appris qu’il fallait des diplômes pour faire la révolution, que les révolutionnaires devaient d’abord avoir une situation et que faire la révolution, c’est « donner des leçons aux autres ». Cet adolescent a surtout vu le mépris du bourgeois, sa condescendance et sa médiocrité. Pas de pédagogie ici, déjà l’autoritarisme.

La politique éducative de Macron a continué le 6 décembre 2018 quand il a agenouillé 151 jeunes de 12 à 21 ans mains derrière la tête pendant de longues minutes.

Macron peut être fier : en 5 ans, la jeunesse agenouillée est désormais à terre.

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