« Je suis Aboubakar » tweete une journaliste.
Non je ne suis pas Aboubakar parce que je ne suis pas morte, parce que moi je n’ai pas été assassinée par un raciste que ma seule présence au monde gênait. Je ne suis pas Aboubakar parce qu’Aboubakar est mort et que je suis encore vivante.
« Tous les musulmans ont peur Monsieur Mélenchon, une ligne rouge a été franchie ».
En réalité, la peur ne nous a jamais quittés depuis notre arrivée en France, depuis notre naissance en France, depuis que nous sommes aussi Français. Elle fait partie de nous, quelque part entre nos yeux nos oreilles et notre bouche, entre notre cerveau et notre coeur. Nous sommes cet animal aux aguets.
Elle nous est si familière notre peur qu’elle et nous, on ne se quitte en réalité jamais, on lui rit au nez, on essaie de la dompter. Parfois on y arrive. Pour un instant pour un instant seulement. Alors...
Alors on sort, on prend le métro le bus le train,
on va travailler,
on fait ses courses,
on s’assoit dans un jardin public,
on marche dans la rue,
on boit un verre à la terrasse d’un café,
on va danser, assister à un match,
on va prier dans une mosquée.
On sort et on sait qu’on peut être assassiné.
On le sait même de plus en plus ; en réalité, on l’a toujours su.
Ça ne veut pas dire que l’on vit en tremblant, non, nous ne tremblons pas, nous refusons de trembler, nous continuons avec entêtement avec détermination avec rage, avec l’insouciance des « même pas peur », à vivre dans un pays dans lequel on peut être tué simplement parce que l’on est musulman. Peut-être même certains parmi nous continuent-ils de le faire avec optimisme, en croyant encore en un certain humanisme.
Je lis qu’Aboubakar avait un peu plus de 20 ans, qu’il avait obtenu un CAP de maçonnerie, qu’il était pieux, poli, agréable, qu’il était respectueux, qu’il était aimé de tous. Mais cela n’aura pas suffi. A le laisser vivre. A la Grand-Combe, en France, aujourd’hui.
Parce qu’un bon musulman est un musulman mort. C’est ce qu’a pensé son meurtrier. C’est ce qu’il n’est pas le seul à penser.
Une combe en géologie, c’est une dépression longue et étroite due à l’érosion. Oui c’est bien de cela qu’il s’agit. Le meurtre d’Aboubakar à la Grand-Combe c’est bien cet enfoncement, cet affaiblissement des valeurs fondamentales, long si long dans l’histoire de la France, dû à l’érosion de tout humanisme par des phénomènes extérieurs, qu’ils s’appellent Darmanin, Sarkozy, Retailleau, Macron ou Le Pen, qu’ils s’appellent loi immigration ou islamophobie.
À la Grand-Combe, dans cette commune minière, la ligne rouge qui a été franchie, c’est celle formée par le sang d’Aboubakar qui a coulé à cause de qui il était.
Elle a été franchie par tous les élus, tous les politiques, tous les silencieux qui, ni à Grand-Combe ni à Paris, n’ont jugé nécessaire d’aller se recueillir sur le corps d’Aboubakar qui a eu le malheur d’être musulman un matin de printemps français.
Allah y rahmo.