Je souhaitais réagir à l’article de Caroline Fourest « A propos du burkini et du grotesque » et précisément au passage dans lequel elle met en cause Edwy Plenel pour avoir posté une photo de nageuses en costume de petits baigneurs datant de la Belle Epoque.
La phrase qui m’a fait tiquer précisément, c’est « il s’est passé un micro-détail depuis le début du vingtième siècle : la libération des femmes et des corps justement. » Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que c’était là l’expression d’un féminisme centré sur nos nombrils de blanches européennes. Je le sais bien puisque j’en suis une, mais j’ai un peu élargi mon horizon, contrairement sans doute à Caroline Fourest.
Je n’y suis presque pour rien, il se trouve juste que je vis à Dubai depuis 6 ans, après un passage aux Etats-Unis il y a quelques années. Mais autant vous le dire tout de suite, je ne suis pas une de ces femmes d’expat qui aime à observer, depuis sa tour d’ivoire, les manants s’affairer, tout en se prélassant au bord de la piscine.
Je suis arrivée à Dubai par accident, on m’avait prévenue que pour la bobo féministe tendance écolo que je suis, ce serait difficile, et ça l’a été, même si je ne suis pas si bobo finalement. Mais une des raisons qui m’ont poussée à y rester aussi longtemps, même si je souhaite aujourd’hui revenir en France, c’est la diversité des gens que j’ai croisés. Autant d’occasions d’apprendre et de comprendre.
Parce que pour peu qu’on prenne le temps d’écouter et de comprendre, pour peu qu’on ait l’humilité de poser des questions en avouant son ignorance, pour peu qu’on soit prêt à remettre en cause ses préjugés, on peut apprendre énormément dans un endroit comme Dubai.
La réalité sur ce sujet de la libération des corps, c’est qu’elle n’a pas eu lieu partout comme en France. Et même en France, ce n’est pas parce que globalement, elle a eu lieu, qu’elle a eu lieu dans la tête de toutes les Françaises qui vivent en France. Ce n’est pas comme ça que ça marche.
La libération du corps est avant tout une démarche individuelle, un processus intime, qui peut être accepté et soutenu par la société, ou au contraire, bridé.
Quand je pense à cette question du burkini, l’idéologie du féminisme universaliste ne m’intéresse pas. Elle est en réalité bien souvent contreproductive. Ça m’a valu récemment de me faire traiter de « raciste de la pire espèce » par une proche de Céline Pina. Peu importe, je continue à croire qu’on ferait mieux de réfléchir sur ces questions à hauteur d’homme, ou de femme en l’occurrence, et d’encourager chaque femme dans ce cheminement vers l’émancipation quel que soit son point de départ.
Je vais me permettre d’éclairer ce point par un peu de mon histoire familiale. Je viens d’une famille catholique bien que n’étant pas moi-même pratiquante, une famille qui n’était pas à la pointe du combat féministe, une famille normale je dirais, ni particulièrement conservatrice, ni particulièrement libérale.
Quand j’étais enfant, à la fin des années 70, il m’est arrivé d’aller à la plage avec mes grands-mères. Ma mère était en bikini, mais mes grands-mères étaient tout habillées. C’était des tenues moins couvrantes que les tenues de la photo d’Edwy Plenel, mais tout de même, ce n’était pas ce que moi j’appellerais des tenues de plage. Je pense qu’à l’époque, elles auraient trouve indécent de porter autre chose, et pourtant nous étions une dizaine d’années après mai 68.
Plus tard, ma grand-mère paternelle a évolué, sans doute poussée vers l’émancipation par un mari plus moderne, elle a acheté un maillot de bain mais elle a toujours refusé de passer le permis de conduire alors que mon grand-père l’y encourageait. Pendant ce temps, ma grand-mère maternelle a continué à porter des corsets, non pour faire plaisir à mon grand-père, qui était neutre sur la question, mais par choix personnel. Maintenant que j’y pense, je ne crois pas l’avoir jamais vue en pantalon, je ne pense pas qu’elle en possède un seul.
Heureusement pour mes grands-mères, elles ont pu faire ce cheminement paisiblement, à leur rythme, sans que leur évolution vestimentaire ne soit scrutée par les medias, ni surinterprétée comme des actes politiques liés à leurs croyances religieuses.
Pour moi, condamner ces femmes en burkini, c’est un peu comme si je me permettais de juger le cheminement féministe de mes grands-mères.
Il y a donc en France, parmi les Français dits « de souche » dont ma famille fait partie, une relative diversité sur ces questions. Les choix faits par mes deux grands-mères en témoignent. Chaque femme a digéré, ou pas, l’héritage de mai 68, et elle l’a fait à son rythme.
Parmi les populations d’origine étrangère, la diversité est encore plus grande.
Dans les pays arabes en particulier, la diversité est énorme. Certaines femmes sont libérées parce qu’elles ont vécu ailleurs dans des pays où elles se sont émancipées, certaines ont grandi dans des familles plus libérales où le corps n’était pas un tabou, certaines ont fait ce cheminement toute seule, parfois douloureusement, contre leur entourage. Et certaines n’ont pas encore commencé ce cheminement.
Et puis, bien sûr, je ne suis pas naïve, on utilise aussi le corps des femmes et leurs choix vestimentaires, comme des symboles politiques. La société dominée par des hommes guide plus ou moins subtilement ces choix, mais les signes sont difficiles à décrypter pour nous occidentaux. Une femme qui porte l’abaya aux Emirats n’a sans doute pas les mêmes motivations que celle qui le fait en Egypte et en Tunisie, c’est sans doute encore diffèrent. Et selon ces motivations, elles vont, ou non, conserver cette tenue à l’étranger.
Comme on peut s‘y attendre, cette diversité se retrouve dans les populations d’origine étrangère vivant en France. Et ce sont parfois des femmes d’origine étrangère, très libres de leurs corps, qui condamnent le plus durement ces femmes en burkini et qui vous traitent de raciste parce que vous acceptez l’idée que tout le monde ne part pas du même point, même si l’idée c’est que la ligne d’arrivée, elle, est la même pour toutes les femmes, quelles que soient leur origine. C’est un peu le monde à l’envers. Comme m’a dit un jour une amie, l’un des gros problèmes du féminisme c’est que les femmes ne sont pas solidaires entre elles.
A Dubai, comme en France, je vois des femmes qui font leur petite révolution. Des femmes qui un jour, sans tambour, ni trompette, enlèvent leur voile, des femmes qui plutôt que de ne pas se baigner achètent un burkini.
A Dubai, on les encourage, on privatise des parcs d’attraction, toutes les femmes sont acceptées quelle que soit leur tenue, mais aucun homme même parmi les employés. Et elles viennent quand même en burkini, preuve que tout ça n’est pas lié uniquement au regard des hommes.
Je suis une féministe et je voudrais qu’en France aussi, on les encourage. Est-ce trop demander à mon pays que de laisser tomber l’idéologie et de se mettre à hauteur de ces femmes ?
Bien sûr, on ne peut pas exclure que certaines fassent de la provocation. Dans ce cas, pourquoi veulent-elles provoquer la société française ? Que veulent-elles nous dire ? Pourquoi ne les écoute-t-on pas pour se faire une idée au moins ? On ne peut pas exclure que certaines soient instrumentalisées par des mouvements radicaux, mais dans ce cas, n’y a-t-il pas moyen de s’en prendre directement aux responsables de ces mouvements radicaux, sans toujours stigmatiser ces femmes ? Le débat me semble avoir quitté le champ du rationnel depuis qu’une partie de la population en France s’est persuadée que chacune de ces femmes est le cheval de Troie d’un wahhabisme qui voudrait nous envahir.
Et puis, dernier point, contrairement à ce que dit Caroline Fourest, à Dubai, je ne me suis jamais sentie jugée parce que je portais un maillot de bain à la plage au milieu de femmes qui avaient fait un autre choix vestimentaire. La tolérance fait partie du modèle économique des Emirats, c’est une des clés de la réussite du pays. N’est-ce pas un procès d’intention que de penser que ces femmes nous jugent nécessairement, et que nécessairement elles nous trouvent indécentes ? J’ai la faiblesse de considérer que l’indécence, comme d’ailleurs la modestie que prône l’Islam au départ pour protéger les femmes d’agressions, sont en réalité, non pas tellement une question vestimentaire, mais une question d’attitude. Certaines de mes amies musulmanes partagent ce point de vue, tout en étant bien sûr tolérantes vis-à-vis de celles qui font un autre choix.
En me promenant en maillot de bain, je n’ai jamais pensé être jugée. En revanche, il m’est déjà arrivé de penser que je me devais d’être exemplaire, incarner à la fois la modestie et la liberté du corps, comme une invitation à la libre réflexion. Ma grand-mère paternelle était une femme exceptionnelle, mais en même temps, si elle a fait ce cheminement pour profiter plus librement de la plage, d’autres femmes en sont également capables. Il faut faire confiance, tendre la main, il faut être tolérant du cheminement de chacun et de chacune, parce que tous ensemble, tous différents, nous irons plus loin.