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Billet de blog 18 décembre 2022

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La Coupe du monde, la France et moi

Ce mercredi soir, quand la France s'est qualifiée pour la finale de la Coupe du monde, j'étais content. Je n'ai pas fait la fête non plus : ça reste du football et j'aime le beau jeu avant tout. J'ai compris à ce moment là que cette équipe métissée, issue majoritairement des quartiers populaires, me représentait. Au coup de sifflet final, j'ai compris que j'étais avant tout comme tous ces joueurs, un Français. J'étais également triste pour mes frères marocains avec qui je me sens proche, avec qui je partage un faciès discriminant, donc un destin commun. 

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Ce mercredi soir, quand la France s'est qualifiée pour la finale de la Coupe du monde, j'étais content. Je n'ai pas fait la fête non plus : ça reste du football et j'aime le beau jeu avant tout. 

J'ai compris à ce moment là que cette équipe métissée, issue majoritairement des quartiers populaires, me représentait. 

Au coup de sifflet final, j'ai compris que j'étais avant tout comme tous ces joueurs, un Français.

J'étais également triste pour mes frères marocains avec qui je me sens proche, avec qui je partage un faciès discriminant, donc un destin commun. 

Je suis conscient que pour eux cette Coupe du monde était bien plus qu'une simple compétition sportive, une manière aussi de prendre une revanche, lassés du mépris qu'affichent depuis de trop nombreuses années certaines équipes occidentales vis à vis des Africains. Et comme eux, une partie de moi aurait aimé voir une équipe de ce continent malmené remporter pour la première fois un Mondial de foot. Le symbole aurait été fort. 

Ce mercredi soir, alors que l'arbitre a sifflé la fin de la rencontre, j'ai imaginé qu'à la place des Lions de l'Atlas, c'était Les Fennecs, l'équipe d'Algérie, le pays de mes parents, qui affrontait les Bleus. Je me suis alors demandé qui j'aurai supporté ? La France ? l'Algérie ? Les deux ? Personne ? Aurais-je dit comme beaucoup de Franco-Marocains « Que le meilleur gagne » ou « Quoi qu'il arrive, on est en finale ». Avec quelle équipe de foot, avec quel pays donc, je me sens le plus proche aujourd'hui ? 

Je suis né à Saint-Denis en 1972, dix ans après la fin de la guerre d'Algérie, dans une ville où sont enterrés les Rois de France et aussi les tas de rêves des gamins des alentours. J'ai grandi juste à côté, à la cité Maurice Thorez à L'Ile-Saint-Denis. Autour de moi, tous mes copains se voyaient footballeurs professionnels et comme dans tous les quartiers populaires de France, on tapait la balle jusque tard dans la nuit, même si parfois, on y voyait que dalle. Plus grand,, j'ai eu envie d'autre chose, casser les clichés du jeune de banlieue, alors j'ai pédalé autour du monde, puis j'ai gravi des montagnes, comme l'Everest en 2008, ma première ascension. 

Minot, j'ai été traité de sale Bicot par d'autres français, des nostalgiques de l'Algérie et parfois même par des policiers, donc par la République. Et comme j'avais beaucoup de mal à trouver un boulot ou un logement, j'ai préféré fuir la France au début des années 90 pour aller me réfugier à l'autre bout de la terre, en Australie. 

Dès mon arrivée, les gens ne faisaient aucune différence entre moi et Guillaume Canet à cause notamment de mon accent français à couper à l'opinel quand je m'exprimais dans la langue de Shakespeare. De L'Ile-Saint - Denis à Sydney, c'était l'histoire de Cendrillon du 93. Sur place, j'ai joui du statut exotique qu'on réservait encore à l'époque aux Français, encore peu nombreux en terre australe, ambassadeurs de l'amour, de la bonne bouffe et du picrate. Ici, les employeurs et les filles ne me snobaient pas et trouver un appartement était chose facile. Même les policiers étaient courtois avec moi. 

À Sydney, dans un pub, un soir, un gars m'a traité de « sale français » alors que je savourais ostensiblement la victoire de la France contre l'Australie en rugby. Cette insulte inédite de « sale français » aurait dû me faire sortir de mes gonds, provoquer chez moi une réaction épidermique. Rien de tout ça. Au contraire, cette insulte me fit sourire et réchauffa même mon cœur parce qu'elle était criante de vérité. J'ai toujours été un « sale français », arrogant et fier. 

En juin 2000, avec Gilles, un compatriote, originaire de Paris, devenu un frère, on a fêté, toujours à Sydney, à 4h du matin, en bagnole, la victoire des Bleus en finale du Championnat d'Europe de foot, réveillant une partie de la ville endormie, en klaxonnant, un drapeau tricolore à la main. Quelque chose que je n'ai jamais réussi à faire en France parce que j'aurais eu trop peur qu'on me prenne pour un gars du Front national. 

Grâce au regard juste des Australiens, j'ai changé le regard que j'avais sur moi : je suis devenu français. 

Après huit ans passé à Sydney, je suis revenu à L'île -Saint-Denis, chez moi, dans mon pays, apaisé, croyant que j'avais fait le plus dur.  Malheureusement, très vite, j'ai ressenti de nouveau les tensions identitaires. Et les choses ont empiré, et Marine Le Pen a atteint 42% aux Présidentielles de 2022. 

Pour aller mieux, j'ai raconté l'histoire de mes parents à travers des livres et des films. Le documentaire Des figues en avril que j'ai consacré à ma mère Messaouda, une algérienne de 86 ans, et qui est sorti dans les salles de cinéma en 2018, m'a permis de voyager à travers la France, jusque dans les petits patelins de Navarre, pendant plus de quatre ans. À chaque fois, j'ai été accueilli comme un frère. Mon histoire, une histoire universelle et française, a parlé à tout le monde, peu importe l'origine ou la classe sociale des spectateurs. Quand son grand âge lui permettait, ma mère m'a accompagné. Et elle a été acclamée à chaque fois comme si elle était la maman de tout le monde.

Cette tournée m'a rapproché de la paix. 

Et puis, dernièrement, j'ai vécu une injustice et la police, mais aussi la justice m'a traité comme un justiciable ordinaire, faisant fi de mes origines maghrébines. 

Bien entendu, cela ne veut pas dire qu'ils sont justes avec tout le monde. 

Quand l'arbitre a sifflé la fin du match France-Maroc, j'ai ressenti quelque chose d'étrange, que je n'avais jamais ressenti auparavant. Un sentiment apaisant. Comme une envie de lâcher prise. Définitivement. De regarder l'avenir sereinement. 

À la fin du match, j'ai compris que j'étais avant tout comme tous ces joueurs de l'équipe de France, un Français. Même si l'Algérie, la Kabylie auront toujours une place particulière dans mon cœur. Je suis tellement fier du parcours de mes parents, de ce qui m'ont apporté, de ce qui m'ont permis d'être. 

J'ai compris que j'étais un Français certes mais pas un Français contre les autres, replié sur lui même, comme le rêvent Zemmour, Le Pen ou Éric Ciotti. Un Français parce que j'ai décidé de vivre ici et pas ailleurs. Un Français parce que j'ai décidé de mourir ici. Et pas ailleurs. Un Français parce que j'ai vécu toute ma vie ici et parce que les gens que j'aime vivent ici. 

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