Bobby mc Ferrin, black bird
Le hibou et la baleine, je n'avais encore pas vu ce film magnifique de Patricia Plattner qui date de 1993 et trace le portrait subtil d'un de mes écrivains fétiches, Nicolas Bouvier. Historien, musicien amoureux des cartes, écrivain voyageur, philosophe, comment le qualifier?Il avait décidé dans les années cinquante de partir vers l'est pour respirer les hommes et le monde accompagné d'un ami peintre, Thierry Vernet qui illustra les récits de leur voyage rassemblés dans l'Usage du Monde, oeuvre initiatique: « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui_même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait.».J'ai découvert avant hier ce documentaire qui m'a donné à voir et à entendre l'homme que j »avais imaginé à travers l'écrivain que je connaissais.Homme simple, humble amoureux de littérature, de manuscrits, de cartes, de dessins et de tout ce qui touche à la relation triangulaire: papier, encre, main comme prolongement ultime du corps. Il était profondément attaché à la musique qui selon lui,permettait de dire et d'entendre le monde de façon plus parfaite que ne pouvaient le faire les mots qu'il adoraient pourtant, comme le mot « fourbu » ou détestaient comme « globule ».Autant amoureux du corps des femmes que des manuscrits anciens, il était aussi habité par la mort et avait semble-t-il établi avec elle un pacte raisonnable qui lui parvenait à sublimer la vie et lui donnait la grandeur des hommes humbles conscients de leur finitude. Un homme.
Aussi modeste et moins connu, ce petit pépé à la casquette que j'ai croisé ce 15 août sur les promenades, le long de la baie de St Nazaire. La main semée de fleurs des cimetières, bien ancrée sur sa canne en acier à pommeau de caoutchouc noir, les sandales bien arrimées aux chaussettes acryliques, le costume des jours de fête en tergal gris-bleu, bien repassé sur les plis, le dos un peu voûté par les années passées aux chantiers de l'Atlantique, l'oeil glauque assorti à son veston, il contemplait le large, l'air étonné de pouvoir encore profiter de la douceur du jour, indifférent à l'ange-soldat américain fiché dans la baie,terrassant un aigle pour rappeler le souvenir des premiers marins américains débarqués là, en 1917.
Au loin, l'ombre lourde d'un paquebot glissait silencieusement vers l'ouest, vers le nouveau monde...
Ses pensées partageaient peut-être l'horizon, dans la même dignité, avec Nicolas Bouvier trop tôt décédé, qui avait lui aussi projeté son regard vers l'ouest à la fin de sa vie.
« Sommes-nous vraiment venus au monde pour ce seul parcours qu'un proverbe des nomades Baloutch résume laconiquement:naître,errer, mourir, pourrir, être oublié?" Nicolas Bouvier, La baleine et le hibou.