Joe pense que le malheur est le fruit d'une collaboration. Pour échapper à sa propre souffrance, il avait choisi avec Ruth, sa femme, le repli. “ Nous simplifiions les affects tout comme nous avions déjà anesthésié notre mémoire”. Ils s'étaient réfugiés loin du tumulte des villes sur une colline verdoyante et boisée à demi-sauvage non loin de San Francisco. “Les jours filaient comme le miel d'une cuiller”. Mais ce vieux briscard qui « n' agrée pas l'univers » et tente inexorablement de traquer sumac et mauvaises herbes, thomomys et autres nuisibles, sans jamais perdre de vue l'omniprésence du mal, sera finalement terrassé par un amour inattendu tellement dramatique, tellement inespéré....Il découvrira que rien ne sert d'esquiver la souffrance dans une forme de repli, mais que « mieux vaut s'exposer, se promener en écorché », éprouver de la sympathie c'est à dire « soufrir avec »au risque de “ s'enrichir d'un chagrin” à venir.Car personne ne mesure assez l'impuissance de l'homme face aux forces de la nature. Rien ne sert de jouer les pontifex maximus ou les imperators, autant accompagner, épouser, enlacer la vie et la nature, plutôt que de lutter, affronter, guerroyer désespérément car “ la vie est obstinée” comme le rappelle le titre de ce roman. Et c'est une jeune femme pétillante de vie sous une peau diaphane d'héroine dramatique qui sera le révélateur de cette vérité. Ce roman est une grande fresque mélancolique et lucide sur la vieillesse,la vie et la mort, la maladie et nos errements d'adultes mélés à l'odeur sure de nos désillusions, sur un enduit d'argile, celui des ces collines où poussaient des herbes folles et les Power Flowers, celles des rêves des générations Kérouac, Miller, Ginsberg, Burroughs, Dylan....Wallace Stegner fait de Joe, son héros, un personnage drôle, désespéré et déchirant, digne du dernier Woody Allen, Whatever works. C'est une oeuvre touchante que l'on quitte à regrets, un peu plus serein, mais pas trop tout de même car la conscience de notre inflorescence de mortel s'en trouve un peu renforcée.Il faut s'y faire. Merci à mon ami Roger de m'avoir fait découvrir ce roman.
La vie obstinée, Wallace Stegner chez Phébus libretto .