Et vous, qu’y-a-t-il à la fin de votre futur ? Je roule tranquillement sur une petite route ombragée dans le bocage breton, l’œil tendu vers le virage qui s’amorce entre deux fossés, l’oreille en éveil, mais que veut-il dire ? Je fais mine de ne pas comprendre, je détourne le regard vers le pâturage où personne ne broute en dépit des premiers rayons du printemps. Mais il insiste la « vache » : « Vous voudriez pas crever avant…. ??? » !
Je voudrais pas crever avant d’avoir Tout vu, boulimie de la vie.
Je voudrais pas crever avant ……………………………………………
Rien. A bien considérer que tout est futile.
« J’ai fait souvent des rêves. Je me suis dit que c’était une bonne chose de les avoir faits ». C’est à peu près ce que Clint Eastwood dit à Méryl Streep dans Sur la route de Madisson. Pas mal.
Laisser une trace comme le suggère ce témoin touchant, croque-mort déjà bronzé sur la plage de l’au-delà, d’après Mermet, qui voudrait écrire un livre ou devenir peintre ? J’aurais peur d’être suivie.
Je voudrais pas crever avant d’avoir pu dire.
Dire à mes enfants.
Dire que la vie est plus forte que la mort comme l’a soufflé un jour R.Badinter dans Comme un juif en France d’Yves Jeuland .
Dire qu’elle vaut la peine d’être transmise.
Dire qu’elle n’est pas fatalité, qu’il faut la convoquer régulièrement, lui tanner le cuir pour pouvoir endosser une veste en peau dans laquelle on finit par se sentir bien. Se la mettre dans la poche à coups d’amadou. Lui laisser croire qu’elle est éternelle. Ne pas la laisser nous malmener, toujours résister.
Leur insuffler le devoir d’espérance comme une forme de reconnaissance envers ceux qui nous ont initiés à ce miracle.
Leur dire qu’on peut berner la mort en l’assommant à coups de mots et de poésie, en déclinant à l’infini les choses et le monde. Lorsque les mots s’enfuient, la mort approche. Ils fuguent progressivement et finissent par se carapater dans le noir Tartare.
Leur dire ces vers de Orhan Veli , le Prévert turc :
Ne vois-tu pas la liberté de tous côtés ?
Sois voile, sois rame, sois gouvernail, sois poisson, sois eau,
Va jusqu’où tu pourras.
Orhan Veli, Va jusqu’où tu pourras, Collection « Poètes, vos papiers », Bleu Autour, 233p.
Alors qu’y aura-t-il à la fin de mon futur ?
C’est sûr, les noms de ceux que j’ai aimés, ceux que j’ai choisis, qui se seront cachés entre mes lèvres au creux de ma bouche comme des pièces d’or pour mériter le passage vers l’au-delà.
« J’aimerais mourir comme Tsubaki, tsubaki, c’est le nom de camélia en japonais »
« Les fleurs tombent à la fin de la saison, une à une sans perdre leur forme : corolle, étamines et pistils restent toujours ensemble »
Aki Shimaszaki, Tsubaki, Les poids des secrets/1, Babel, 115 p.
Pourtant je préfère les nigelles de Damas ou les coquelicots.