Octobre annonce la fin d'une guerre. Le 11 novembre va déployer sa cohorte de commémorations.
Le fin d'une guerre qui fascine toujours, qui interroge sans cesse, sans doute parce qu'elle fut la première guerre totale. Sans doute aussi, parce qu'elle a marqué nos paysages de la Somme à Verdun, en passant par le Chemin des Dames. Pas un sillon qui n'ait respiré l'odeur de la poudre, pas une récolte qui n'ait bu le sang des hommes, pas un soldat qui n'ait goûté l'âpreté de la terre . Peut-être enfin, car on a tenté d' oublier les hommes dans des tracés militaires sur des cartes d'Etat major, de les rendre invisibles aux yeux de l'arrière, de les confondre dans une masse ou l'individu n'existait plus. C'est ce qu'exprime G.Apollinaire dans Calligrammes, celui qui avait tant « aimé les Arts qu »'il était « devenu artilleur »
( Les soupirs du servant de Dakar):
« Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales
Ils pensent avec mélancolie à ceux dont il se demande s'ils les reverront
Car on a poussé très loin durant cette guerre l'art de l'invisiblité. »
Peut-être aussi, comme l'exprime Annette Becker dans Apollinaire, Une biographie de guerre chez Tallandier, parce que cette guerre a vu se rejoindre deux couples de forces opposées: « archaisme/modernité, fascination/répulsion .En 1913,en 1914, passant d'un pays à l'autre en des échanges nombreux et féconds, un certain nombre d'artistes des avant-gardes appelaient de leurs voeux une guerre fort imagianaire, dont ils espéraient qu'elle serait à même d'entraîner l'humanité vers un monde plus pur et plus moderne, non sans redouter l'apocalypse qu'eux-mêmes représentaient dans des oeuvres qui leur sembleront horriblement prémonitoires. ».
Des poètes l'ont sublimée et l'ont immortalisée dans des vers parfois choquants comme ce
« Ah Dieu! Que la guerre est jolie » dans L'Adieu du cavalier, poème envoyé à Madeleine par G.Apollinaire. Il y fait selon Annette Becker, « l'apologie de la vie dans la mort. Il a fait l'apologie de la paix dans la guerre ».Apologie de l'instant de bonheur noyé dans l'horreur? Apologie du coquelicot aperçu à l'instant de la mort comme on le devine dans cet Haïku de Bashô ( Haïku, Les immémoriaux, Fata Morgana)
Herbes d'été
Tout ce qui reste
Du rêve du guerrier!
Oui, car beaucoup ne sauront pas le devenir de l'après-guerre, en dépit de leur violente envie de vivre. « Sauvez-moi, Docteur, je veux vivre, j 'ai tant de choses à dire »aurait dit Apollinaire avant de s'éteindre de la grippe espagnole. Guillaume mourut deux jours avant la signature de l'armistice, comme tant d'autres. Il fut enterré au Père-Lachaise.
Il fait noir
On mêle le soleil avec la terre
Et là
Si nous étions autre chose que des hommes
Nous n'aurions plus qu'à refermer
nos ailes pour prier.
Eloge funèbre du lieutenant de Kostrowitzky.
Lorsque j'interroge mes élèves sur le sens de l'histoire, immanquablement il se trouve l'un d'entre eux pour clamer « Madame, pour ne plus recommencer! » . Alors, je ferme mes ailes...
Toutes les citations sont extraites de ce remarquable travail: Apollinaire, une biographie de guerre, Annette Becker, Tallandier, 2009, 263p