Les matins de France Cultureà 8h30 dans ma célèbre Fiat punto: André Comte- Sponville en est l'invité et manifeste sa lassitude pour l'actualité. Mais pourquoi donc, lui demande Marc Kravetz , fils putatif de Michel Rocard tant leurs voix se ressemblent et leur façon de rogner les mots.On ne se souviendra plus de Nicolas Sarkozy dans quelques années, alors qu'il sera toujours question d 'amour, d'amitiés et d'éternité lui explique le philosophe qui suggère de cesser la rhétorique politique et d'y préférer l'engagement.Comme je le comprends. Diarrhées verbales, kyrielles d'anathèmes qui pleuvent sur les grévistes, les voyous, les chômeurs, les banquiers les syndicalistes du rail, les enseignants fainéants, les chercheurs qui cherchent mal, les infirmières qui font mourir, les juges laxistes, les journalistes malhonnêtes...Des poignées de main sur les marchés ou dans les maisons de retraite à vous démettre l'épaule à force de démagogie, genre « je vous ai compris »alors que le tire-bouchon de ma grand-mère appelé De Gaulle ferait aussi bien l'affaire.Des kms de discours pour faire bonne mine devant les prolos que l'UMP a décidé de reconquérir.Et puis,tout ce petit monde de députés ou de missionnaires qui rentre ensuite au Palais Bourbon ou au Luxembourg et qui vote les lois les plus décisives pour notre avenir, et là, l'éternité est plombée. Car expliquez-moi comment rêver d'amour, d'amitié, d'éternité,d'art, de musique ou de danse quand vous arpentez le Champion du quartier, vos deux enfants en bas-âge cabrés dans la poussette, le nez morveux, la tête hirsute, les mains transies par le froid, la chaussette qui pendouille, et qu'après avoir tourné et viré, vous n'arrivez à poser sur le tapis de caisse qu'une tranche de pâté Herta parce que c'est ce qu'il y a de moins cher et qu'avec un peu de pain ça leur fera le repas du soir aux gamins!Et puis, il faut garder l'air digne avec tout ça, malgré sa polaire tachée et ses cheveux qui n'en finissent pas de ressembler à du crin sous l'assaut de la pauvreté, alors que vos mômes se lattent à coups de ninnins et que tout ce qui vous reste à leur offrir c'est une torgnole alors que vous vouliez leur faire des bisous, mais que vous n'en avez même plus la force! Pour elle chaque jour est une éternité et ses enfants sont déjà condamnés à la damnation.Inutile de lui demander pourquoi elle est pauvre comme l'a fait William T Vollmann dans son tour du monde de la marginalité, car la mémoire des pauvres s'arrête à hier.
Alors, on peut l'exclure aussi de nos dîners et de nos conversations, on peut éviter ces considérations sur la politique et l'actualité qui seraient moins nobles que la philosophie. Mais mon éternité se construit à chaque instant: ce que je suis, ce que nous sommes, c'est cette autre qui me le renvoie dans cet instant qui est la seule chose que je partage avec elle. Je ne peux « rêver l'homme » sans voir cette autre au supermarché.Mon éternité, c'est aussi mes enfants.Or, la politique de santé publique, les choix éducatifs, économiques, environnementaux grèvent violemment leur devenir et chacun de leurs instants.L'éternité je la conçois dans le partage ici et maintenant et non dans un futur hypothétique, apanage de bourgeois érudits et humanistes parfois engagés. Alors, engageons-nous, oui, plutôt que de faire de grands discours autour d'une table?Oui. Mais pour bien agir, il faut bien penser et bien dire car « mal nommer les choses c'est faire le malheur du monde » ( A. Camus). Bien sûr, je préfèrerais parler du quatuor Talich et de leur divine interprétation du quatuor n° 10 opus 51de Dvorak que j'ai pu entendre hier et qui m'a élevé l'âme au moins jusque Neptune, mais là je préfère écouter et comme je ne l'ai pas trouvée sur Youtube, je vous laisse la suite pour violoncelle seul .
NB: l'éternité et un jour, c'est demain dans la rue !
J'ai emprunté ce titre au très beau film de T.Angélopoulos.