C'est l'été et la Seine coule ses lianes et ses canards entre chien et loup, sous les nénuphars jaunes à la lumière des lampions. Le long des frondaisons, le jazz franchit le pont depuis l'île du Berceau et glisse le long de nos nuques en éveil, puis s'éloigne dans la nuit de Samois comme un hommage à Django Reinhardt. La route fut longue pour des petites jambes comme celles d'Adèle. Regarde, c'est du bam??? Bou!!! Il faut bien la distraire pour gagner quelques mètres, ça se mérite la musique. Et ça, c'est des fou???gères!!! Ca ? des ?? Orties. Magnifique petite route qui chemine le long de ces Affolantes, villas bourgeoises désuètes de styles gothique ou normand. Des kyrielles de passants qui convergent tous vers le festival. Des bobos, des hippies, des sportifs venus ramer sur la Seine et le Loing, des manouches, des inclassables, des sanguins échauffés par la sangria, la tartiflette et les saucisses de Toulouse-frites, des plus sereins qui savourent la virtuosité des guitaristes et admirent la beauté des instruments, des plus loufoques qui jouent d'une contrebasse bricolée avec un seau et un balai, des rockers égarés, des grisonnantes, des très pimpantes aux tenues affriolantes car il fait très chaud, des toutes douces et très sages à la jupe bien droite, aux cheveu bien lissé, des pépés qui s'ignorent au béret bien ancré sur les oreilles et aux chaussettes bien arrimées au mollet, des fois que ça décoiffe, le noeud papillon bien serré sur la glotte, qui vous glisse entre les oreilles quelques compliments dans un anglais alourdi par la bière... C'est l'été, tout est permis. On se faufile doucement entre les aisselles, le long des ceinturons de cuir à la ZZtop, entre les moustaches et les dos dénudés et dans une trouée de cheveux, on découvre enfin l' Oud d'Amos Hoffman qui enlace la contrebasse et la voix d'Avishai Cohen sur lesquels s'égrenent les accords au piano de Shai Maestro. Instants exquis en anglais, en hébreu. On s'oublie. Le temps suspend son vol. La foule éclectique communie dans la grâce et le dénuement des instruments. Seule la virtuosité et l'âme des musiciens suffisent. Chacun se pose, c'est la trêve divine. L'égalité parfaite, l'égalité vécue le temps d'un concert.
Pourtant, même cet instant-là, ce moment de partage intense, certains voudraient nous en priver, nous ôter ce droit-là, cette liberté de se rassembler, de s'unir autour de la musique une nuit d'été. Car figurez-vous que tout le long de ce chemin au charme champêtre qui longe si bien la Seine, ces riches propriétaires soucieux de préserver plus que jamais leur air, leur domaine, leurs perspective, se sont enhardis jusqu'à jouer les tagueurs, les frondeurs de bitume, et qu'ils ont peint sur le goudron, non pas, ZUT , ce qui eut été sacrilège, mais : NON AU FESTIVAL VANDALE!
Des vandales, je n'en ai point rencontrés. J'ai tout juste pensé que décidément les mieux nantis poussaient l'indécence et l'inconscience jusqu'à oser refuser de partager l'espace et le temps avec les autres catégories sociales comme le démontrent si bien les sociologues Pinçon- Charlot dans leur ouvrage, les Ghettos du Gotha, et je me suis fait la réflexion qu'ils ne se rendaient même plus compte de ce que leur pensée avait de choquant puisqu'ils osaient l'inscrire sur le sol, à quel point elle était révélatrice de leur mépris et leur méconnaissance des autres et de la culture en général, à quel point elle reflétait leur étroitesse d'esprit de grands bourgeois confits dans leurs certitudes. Je me suis dit que les privilèges seigneuriaux n'étaient pas vraiment éteints dans le coeur de certains et qu'il fallait faire vivre plus que jamais nos libertés en jouissant de la musique et de la culture en général.
Jouissons sans entraves, un slogan encore d'actualité?