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La fraîcheur de la zone humide. Le ciel étoilé loin de la pollution lumineuse. Les chênes centenaires. Les ronciers remplis de mûres. Un petit ruisseau traversant la forêt. Les cabanes dans les arbres. Les chanteurs/chanteuses et guitaristes autour d'un feu de camp nocturne. Les hurlements de loups qui résonnent dans toute la vallée. Sivens, zone humide précieuse, avec 94 espèces protégées, sanctuaire pour la biodiversité.
La Zad, ou zone à défendre, est puissante et belle.
Mais elle peut être si sombre, si trouble, lorsque la police inonde la forêt de lacrymo, certaines probablement illégales, car les camarades vomissent, ont des hallucinations. Enfin, vous me direz, il y a de ces armes légales qui tuent et mutilent.
La Zad, une zone de test de la répression d'état. Pas de journalistes. Les caméras sont malvenues, car elles mettent en danger les camarades. Personne pour prouver les violences terribles qui ont lieu sur un lieu qui était pourtant si tranquille avant que quelques politiques véreux décident de mettre en place des magouilles et d'imposer des projets inutiles, dont la majorité de la population ne veut généralement pas.
Mais la démocratie on la connait : ce sont toujours les même qui décident. Le pouvoir au peuple ce n'est pas vraiment à l'ordre du jour. Alors, sur la Zad, on essaie de mettre en place la démocratie participative : on fait des assemblée générales (AG). Une personne gère les prises de parole, on lève le doigt pour s'exprimer, on a des codes pour exprimer notre accord, désaccord et les urgences qui nécessitent une pause dans l'AG. Il faut s'organiser, trouver des solutions face aux nombreux problèmes de vie communautaire, face à la police.
Mais les AG durent des heures, les gens finissent par les déserter, ce sont souvent les mêmes qui parlent, des hommes blancs cisgenres, il y a des tensions, des personnes qui ne veulent pas céder la parole. Alors il faut trouver des solutions. Par exemple, faire des sous-groupes. Les personnes décident dans quel groupe elles souhaitent aller, dans quelles initiatives elles veulent s'organiser. Ça marche mieux. Mais ce n'est pas magique.
Chacun.e a son rôle à jouer : le ou la barricadier.e qui construit et garde les barricades, résistant frontalement face à la police. Le ou la médic qui soigne les blessé.e.s. Les constructeur.rice.s qui bâtissent les cabanes, les lieux communs, les toilettes sèches, etc. Les personnes qui s'occupent de la communication. Les personnes qui viennent en tant que soutien, extérieures à la Zad, mais qui amènent des ressources précieuses, comme de la nourriture, de l'eau, de la pharmacie, des couvertures, des vêtements, etc. Et d'autres. Certaines occupant plusieurs rôles à la fois.
Toutes ces personnes sont indispensables à la vie de la Zad. Elles se complètent. Même si sur le terrain c'est pas toujours simple, la vie en communauté n'étant pas une chose facile, des conflits et tensions sont présentes. La destruction de la forêt est impossible à supporter, voir ces centaines d'arbres se faire abattre sous nos yeux impuissants, parfois du haut des arbres qu'on essai de sauver, voir ce désert de copeaux de bois, c'est trop. Et il faut dire que la police n'arrange rien. Cette pression, cette violence terrible et quasi quotidienne, cela participe à faire monter la pression et à rendre nerveux.se.
La violence :
Leurs grenades contre les cailloux des barricadier/barricadières contre nos corps défendant la forêt, sur les arbres ou au sol. Une violence terrible et implacable, et surtout, une violence nous remplissant d'un sentiment d'injustice profond. Leurs projets sont destructeurs, ils nuisent à toute l'humanité, à tous les animaux, à toute la flore, à toute forme de vie sur terre. Mais ils ont le droit. Le droit de raser des forêts, de bétonner des champs agricoles, de mutiler et tuer celles et ceux qui protègent la vie et défendent un monde meilleur. Nous, on est considéré.e.s comme des éco-terroristes, des djihadistes verts. Comparé.e.s à des terroristes, alors qu'on sème la vie et qu'on défend la paix. Nous sommes les protectrices et les protecteurs. Nous sommes la Nature qui se défend. Mais notre résistance est illégale. Alors tout est fait pour nous discréditer. Leurs médias disent les pires horreurs sur nous, nous faisant passer pour des personnes respirant la violence. Alors que nous la combattons. Tirs tendus de grenades, parfois sur des personnes torses nues. Main mutilée. Passages à tabac. Gazage dans les tentes au réveil. Arrestations arbitraires.
Ah ça, je peux en parler ! Alors qu'avec un ami nous voulions faire barrage avec nos corps (utilité qui peut être discutable), face à des gendarmes mobiles (GM) casqués, boucliers sortis et matraques brandies courant dans notre direction, que les autres camarades se sont réfugié.e.s derrière une barricade, nous nous retrouvons au milieu d'une cinquantaine de GM nous insultant des pires horreurs, comme s'ils s'adressaient à DAESH ou autres terroristes infâmes, nous sommes roué.e.s de coups de rangers, sur toutes les parties du corps, lorsque mon ami dit qu'il a un problème au genoux un GM le lui retourne, pour ma part je ne dis rien, sidérée par ce qu'il se passe.
J'étais là pour défendre une forêt, sans faire de mal à personne, et me voilà tabassée, couchée au sol, inoffensive, et haïe d'une façon inouïe. L'un d'entre eux me tire par ma tresse sur plusieurs longs mètres. Je suis sur le dos et je me fais rouer de coups sans interruption depuis plus de cinq minutes. On me hurle de me mettre sur le ventre, mais impossible, on me roue tellement de coups que je ne peux pas bouger. Alors, on me retourne violemment. Je me retrouve sur le ventre, sur le béton. Un GM place son ranger sur ma tête et me dit "on en a rien à foutre que tu crève pauvre connasse". Il écrase ma tête. Je me dis que tout est fini. Que je vais fermer les yeux et ne pas me réveiller. Je regarde une dernière fois les camarades au loin, masqué.e.s par les nombreux GM, et je ferme les yeux. Mais il s'arrête en route. Leur chef leur dit "arrêtez, ce n'est qu'une enfant !". On me relève et me menotte. Je me rend compte que mon sac et ma sacoche ont été coupées au couteau, car je ne parvenais pas à les enlever lorsque l'on me l'a demandé, puisque je subissais des coups de pieds sans interruption. Nous sommes emmené.e.s en garde à vue.
Nous connaissons nos droits, nous demandons donc à voir un médecin. Il constate mes nombreuses contusions et mon état de choc. Ce ne sont pas tant les coups qui m'ont traumatisé, mais les insultes, gratuites et injustes. Pendant des heures nous sommes interrogé.e.s. L'officier de police judiciaire voit bien que je ne comprends rien à ce qu'il se passe et que je n'ai rien fait de mal. Je suis accusée d'avoir jeté un cocktail molotov. Je ne savais même pas vraiment ce que c'était. Pour précision, ces violences ont eu lieu les premiers jours de la répression de septembre 2014. Je ne connaissais pas encore le milieu des Zads. Lorsque l'officier me demande de décrire ce qu'est un cocktail molotov j'en suis incapable. Mais nous avons été arrêtés parce que nous étions possibles à attraper, parce qu'ils avaient besoin de défouler leur haine et leur violence, parce qu'ils avait besoin de désigner un coupable, même s'il s'agit d'un.e innocent.e. Jamais je n'aurais pu viser un être humain avec une bouteille enflammée, ayant une immense empathie, même si je soutenais les camarades qui le faisait, car il fallait bien qu'iels nous défendent toustes, zadistes et forêt.
Nous sommes sorti.e.s de GAV, couvert.e.s de coups, blessé.e.s. Mais nous étions déters, et notre premier réflexe en sortant de la gendarmerie de Gaillac : retourner sur la Zad. J'ai alors pu témoigner des premières grosses violences de la période septembre 2014 (il y en a eu bien d'autres avant) notamment à Reporterre. La veille j'avais déjà été jetée dans une pente et matraquée sur le sein. Durant deux mois, les zadistes sont tabassé.e.s, gazé.e.s, leurs affaires sont régulièrement détruites, y compris pharmacie, tentes, objets personnels, etc. Cette violence est si terrible, forcément il devait y avoir un mort. Ce n'est pas un accident. Il s'agit des conséquences logique de la répression sans limites, ou presque, de la main armée de l'état. Des mort.e.s il aurait pu y en avoir beaucoup plus. Ce jour là se voulait festif. Mais la nuit a été bien sombre.
Alors, le lendemain au soir, à Gaillac, une manif a eu lieu, réprimée également. Puis le lundi une marche blanche à Albi, pour rendre hommage à Rémi. Mais la police nous empêche de suivre le parcours prévu. C'en est trop, ils ont tué et maintenant ils nous empêchent de nous recueillir. Alors des camarades jettent des pavés énormes sur la police et la ville finit dans un voile blanc de lacrymo. J'étais impressionnée par la taille de ces pavés, presque aussi grands que notre rage, notre colère, notre indignation. Puis s'en est suivi des manifestations sur Toulouse, entre autre, contre les violences policières. Toujours réprimées dans la violence, entre CRS et BAC.
Puis les travaux sont stoppés. La police cède alors sa place aux pro barrage, milice fasciste d'une extrême violence. Ils menacent les personnes qui soutiennent la Zad, parfois avec des enfants ou des chien.ne.s, ils suivent des voitures, vont en bas de chez des personnes, dégradent des voitures, balancent des adresses personnelles sur leur groupe secret ou leur haine se déchaîne. Appel à des agressions, voire des meurtres. Lorsque les zadistes bloquent une route iels sont dégagé.e.s par la force, mais lorsque ce sont des pro barrage, des fascistes haineux et dangereux, alors c'est permis.
C'est ainsi qu'à deux reprises et durant plusieurs jours, voire une semaine, ils organisent un blocus de la Zad. Ils bloquent la circulation, empêchant les voitures et camions de passer. Les gens doivent faire de grands détours. Et surtout, les zadistes manquent de ressources : impossible de leur amener de la nourriture, de l'eau, de la pharmacie, etc. Des personnes sont en danger, alors nous négocions pour pouvoir amener des ressources aux camarades avec un véhicule de la mairie. Le camion part, mais les camarades sur place ne verrons jamais les provisions. Lorsque des camarades tombent sur une barricade de pro barrage, iels sont menacé.e.s, avec leurs poings, des barres de fer. Un jour, une dame neutre, qui ne soutenait pas spécialement la Zad, voit un zadiste poursuivi par des pro barrage. Elle ne peut pas rien faire, sinon c'est "non assistance à personne en danger". Mais trop tard, les pro barrage sont là et retournent la voiture avec les personnes à l'intérieur.
L'hiver de Sivens est rude. Je n'y étais pas souvent, mais la boue et le froid rendait la vie difficile, surtout avec les pro barrage qui tiraient des coups de feu la nuit pour terroriser les camarades. Il y a eu des choses terribles, comme une chasse à l'homme. Et surement d'autres. Il y a tellement d'histoire terribles, mais ce serait trop long et délicat à raconter. Des choses bien sombres.
Sivens a traumatisé beaucoup de personnes. Certaines sont tombées dans une dépression profonde, d'autres ont été terrassées par le stress post traumatique. D'autres se sont suicidées, d'une façon ou d'une autre. Personnellement j'ai ignoré le traumatisme et me suis rendu sur d'autres Zads, sur d'autres luttes. Mais il nous rattrape toujours un jour ou l'autre.
Sivens, lieu paisible qui est devenu une zone de guerre. Le capitalisme contre la Nature, la destruction face à la construction d'un monde nouveau, d'une nouvelle façon de vivre ensemble.
Ceci est seulement le récit d'une ancienne zadiste, qui a vécu beaucoup d'aventures, belles et sordides, sur ce lieu, qui est toujours en danger. D'autres auraient d'autres choses à raconter, car il s'est passé tellement de choses que personne ne peut donner un récit qui résume tout. J'en aurais d'autres des choses à dire, mais je vais m'arrêter là pour le moment.
Ce qu'il faut retenir, c'est que les zadistes ne sont pas parfait.e.s, mais iels sont courageux.ses et leur lutte est profondément altruiste et bienveillante. Et surtout, elle est vitale pour l'humanité toute entière. Sans zone humide la biodiversité est en danger. Sans écologie la vie sur terre est en péril. La Zad est une des lutte pour l'écologie la plus concrète. On s'oppose physiquement aux travaux, on prend des risques, on monte aux arbres, des machines sont sabotées par des camarades, des barricades sont confectionnées, des routes sont creusées pour éviter la venue des véhicules, tout est fait pour retarder les travaux, car pendant que les travaux prennent du retard, les actions juridiques en cours ont des chances d'aboutir.
Merci aux zadistes du monde entier, la Zad est partout, la planète toute entière est une zone à défendre. Des pensées aux camarades qui luttent actuellement contre l'A69
Pensées et soutien aux proches de Rémi Fraisse
La Zad vaincra.
Nad
Sources :
=> Mon témoignage de l'époque dans Reporterre : https://reporterre.net/Au-Testet-Ils-m-ont-ecrase-la-tete
=> 94 espèces protégées, zone humide : https://fne.asso.fr/dossiers/barrage-de-sivens-les-raisons-de-la-contestation#:~:text=Ce%20site%20abrite%20plus%20de%2094%20esp%C3%A8ces%20prot%C3%A9g%C3%A9es.,class%C3%A9%20zone%20naturelle%20d%E2%80%99int%C3%A9r%C3%AAt%20%C3%A9cologique%2C%20faunistique%20et%20floristique.
=> Voiture renversée : https://www.ladepeche.fr/article/2015/02/10/2046919-une-voiture-renversee-en-represailles.html

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