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Billet de blog 1 août 2015

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Première partie : Izmir. Destination : Grèce. 1/2

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Basmane, Izmir.

Nos sacs sont prêts. Nous avons pris le minimum : nos passeports (pour ce qu'ils valent...), nos téléphones et leurs batteries, nos sacs de couchage, un kit de premiers secours, deux appareils photo pour documenter le "voyage" et quelques vêtements. Ces derniers mois, nous avons étudié les cartes et les routes. Nous avons contacté des passeurs qui pourraient nous amener sur une des îles grecques pour 1000 dollars.

Nous avons quitté Istanbul en bus et sommes d'abord arrivé-e-s à Basmane, le quartier de la gare d'Izmir. Nous espérions pouvoir partir le jour même ou le lendemain. Finalement, nous avons dû attendre 6 jours sur place. Décrire l'atmosphère de Basmane n'est pas chose facile. Il y a des hôtels partout, tous bondés de migrant-e-s attendant leur tour pour rallier l'Europe. Celles et ceux qui n'ont pas pu se permettre de payer une chambre d'hôtel passent leurs journées à se déplacer en même temps que l'ombre en cet été caniculaire. Le premier magasin que nous avons vu avait une inscription en arabe sur la vitrine : "Ici nous vendons des gilets de sauvetage". Nous savions dès lors que nous étions bien arrivé-e-s. Sur les places, dans les rues, sur les ronds-points et dans les parcs nous pouvions voir de nombreux groupes de nafarats. Ils sont reconnaissables à leurs petits sacs à dos, à leurs gros sacs en plastique noir dans lesquels ils transportent leurs gilets de sauvetage (que l'on peut acheter partout, tout comme les bouées gonflables) et à leurs smartphones. C'est sans aucun doute que le smartphone facilite considérablement le voyage des migrants. C'est l'outil indispensable pour contacter les passeurs, consulter les cartes et rassurer la famille. La langue prédominante de Basmane est l'arabe. Difficile de croire qu'il s'agit encore du centre d'Izmir, deuxième plus grande ville de Turquie. La plupart des migrants sont syriens mais beaucoup d'autres nationalités passent par Basmane. A chaque communauté son système avec ses propres passeurs, ses hôtels, ses rues... Les gens se rencontrent et se racontent leurs histoires. Certain-e-s ont réussi à embarquer en 1 jour, d'autres ont déjà essayé une, deux ou cinq fois mais ils ont été rattrapés par la police et attendent pour tenter à nouveau leur chance. A l'autre bout du parc où nous passons la majeure partie du temps (et que nous en sommes venu à appeler "maison"), l'ambiance est radicalement différente : hôtels 5 étoiles, boutiques de luxe, chaussées dégagées. C'est une autre réalité.

Les 6 jours que nous avons dû passer à Basmane sont heureusement du passé. Nous avons été chassé-e-s de la plupart des endroits où nous essayions de nous reposer. Le gardien du parc où nous sommes entré-e-s un matin avec nos sacs sur le dos nous a demandé d'où nous étions. Nous avons répondu que nous étions italien-ne-s et il nous a laissé-e-s tranquilles. Il nous a dit que les syrien-ne-s n'étaient pas autorisé-e-s à entrer mais que pour les italien-ne-s, c'était bon. Il a finalement réalisé un peu plus tard qui nous étions et nous a jeté-e-s dehors. Un matin nous avons été réveillé-e-s par la police qui nous a demandé de dégager de sous le pont où nous dormions. Un autre matin, ce sont de jeunes hommes qui nous ont jeté des œufs en hurlant "Les Syriens, retournez dans votre pays!". Bonne journée à vous aussi... La façon dont les gens nous regardaient et nous parlaient est devenue si pénible que nous avons finalement pris deux chambres dans l'un de ces hôtels pour nafarats où nous avons passé la plupart du temps à regarder les ventilateurs tourner à attendre le moment de partir.

D'une certaine manière, Basmane ressemble à ces villages au pied des sentiers de randonnées. Ils sont pleins d'agences de trekking où tous les touristes se préparent, achètent le même équipement et comparent les différentes offres de parcours, les différents prix... Mais cette fois-ci il ne s'agit pas de touristes et il n'y a pas d'agences officielles, il y a des gens qui ont fui la guerre et qui s'apprêtent à commencer un dangereux voyage qui va changer leur vie.

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