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Billet de blog 21 juillet 2015

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De l'autre à soi !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pierre Desproges clamait que : "On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui." L'interprétation de cette phrase est souvent erronée. En effet, s'il est vrai que l'on peut rire de tout, Desproges ne voulait pas dire qu'il fallait faire attention à ne pas heurter la susceptibilité de son interlocuteur. Non. Desproges voulait expliquer qu'il pouvait rire de tout mais qu'il existait des personnes avec qui il n'avait pas envie de plaisanter.

Heurter volontairement une susceptibilité pour s'amuser n'a rien de bienveillant. Cela l'est d'autant moins que si la personne aux dépends de laquelle on rit manifeste le moindre signe montrant qu'elle est blessée, elle devient non seulement "sans humour" mais en plus est qualifiée de "susceptible" et prend le risque d'être exclue du groupe. En proie aux critiques et remarques, la victime se retrouve souvent à encaisser sans rien dire, avec un sourire de façade, les railleries. C'est une perversion de la société qui se montre ainsi sous son jour le plus cruel, perversion d'autant plus grande qu'elle sous-entend comme normale cette violence morale qui est faite. Elle proclame que seuls quelques uns, les "plus grandes gueules", auraient le monopole de décider de ce qui devraient blesser ou non. Le système nie totalement les individualités et la palette des émotions qui existe. La souffrance ressentie n'est plus légitime mais devient "déplacée" ou "disproportionnée". Du coup, elle installe une culpabilisation encore plus grande de la victime dont la sensibilité au lieu d'être respectée, est niée et dite "anormale".

Les autres attendent que les réactions se fassent selon leurs codes mais, ne pas accepter sa différence et réagir selon leurs codes, est se contraindre, nier ce que l’on est pour rentrer dans un moule qui n'est peut-être pas pour soi. Il est possible que chacun du fait de sa personnalité ou des expériences traumatiques qu'il a pu vivre puisse avoir une sensibilité dite différente de celle de la majorité des autres. Pourquoi n'aurait-il pas le droit de l'exprimer sereinement ?

"Notes d'un souterrain" de Dostoïevski est un de mes livres préférés. Il y est fait référence à l'importance du regard de l'autre et de ce que l'on peut faire pour juste avoir le sentiment d'exister. C'est également le thème repris dans "Huis clos" de Sartre ou encore de "Carnage" le dernier Polanski et de bien d'autres livres ou films. L'idée défendue, qui se retrouve dans tout, peut se résumer très rapidement. Le regard des autres donne une consistance, une existence. L'image qu'il renvoie, son jugement, est une part importante de soi.

Lorsque Sartre a écrit "l'enfer c'est les autres", il ne voulait pas sous entendre que la relation à l'autre est forcément pervertie. Il exprimait simplement l'idée que leur mauvais jugement ou leur indifférence, projette directement en enfer du fait de l'image biaisée qui est renvoyée.  Les hommes ont si peur de ce regard qu'il leur est possible de s'installer dans des habitudes paresseuses, de supporter beaucoup de vexations ou de jugements sans rien dire ni chercher à changer les choses. Une sorte de lâcheté institutionnalisée s'installe alors et entraîne avec elle, le renoncement. C'est terrible ça le renoncement ! C'est une sorte de suicide de sa personnalité. Il faut beaucoup de volonté pour se faire mal ainsi. Les gens ne le savent-ils pas ? Il faut également beaucoup de volonté et de courage pour se révolter contre le système, dire "non" et prendre le risque d'être socialement exclu. Beaucoup se trompent ainsi de combat et finissent, enfermés dans leur peur la solitude, par devenir des morts vivants soumis à l'opinion des autres, contraints par elle plus sûrement que par des entraves physiques. Ils oublient le fait qu'ils sont libres, totalement libres et furieusement responsables de ce qu'ils sont. Ils oublient que personne n'est tenu de rester dans ce genre de situation s'il n'en a pas le souhait. Ils ne pensent pas que si le regard des autres pose problème, la solution n'est pas de faire des efforts pour parvenir à le subir en souffrant le moins possible. La solution est peut-être plutôt de concentrer ces mêmes efforts sur le fait de le transformer (le regard qui fait mal) ou de trouver des regards différents, plus doux (changer de fréquentations).

Se délecter à provoquer la peine des autres, au motif qu'elle ne serait pas légitime, n'a rien d'amusant. Ce n'est pas la preuve d'un humour irrésistible mais d’un comportement violent qui montre à quel point autrui est indifférent. C'est aussi une manifestation de paresse puisqu'il est en effet beaucoup plus difficile de parvenir à rire d'une personne, avec elle, sans la blesser que d'en rire en la blessant. Accepter de subir également pour ne pas être rejeté est également stupide et paresseux.

Profondément existentialiste, je pense que je me définis par la somme de mes actes et  engagements. Les décisions que je prends me façonne et je souhaiterais toutes pouvoir les assumer. Chacun comme moi peut décider. Soutenir le contraire serait une pure mauvaise foi. Ne vaut-il pas mieux rester seul que de devenir une victime consentante ou jouer les bourreaux compatissants ?

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