Recueillir la parole des SDF, des migrants des sans-dedans et des sans-dehors, sans la travestir ni la normaliser. Laura Hurt et son équipe de NAGA ont investi entre mai et octobre 2024, les accueils de jour et de nuit de Nice avec la soutien du CCAS de la Ville de Nice.
Des centaines de personnes ont été questionnées, interviewées, non pas sous une forme stricte journalistique mais par l’intermédiaire de discussions, de rires, de coups de gueule… Ainsi est né un projet humain, sincère, touchant, parfois violent. Ce recueil de vies brisées nous plonge dans l'intime d’humains, de morceaux de vie partagés en toute confiance pour un témoignage des générations passées mais aussi futures.
Nous sommes très loin d'un modèle préfabriqué, empreint de fausse réalité, ici on ne ment pas, tout est vrai (sous couvert d’anonymat, et d’un mélange des vies afin de faire naître un unanimisme des parcours, pour plus de discrétion face à certaines situations complexes).
Ces personnes nous disent le monde d’aujourd’hui et d'hier, le regard tourné vers l’avenir, à travers leurs vies, leurs expériences, leurs aventures, leurs failles. Ce texte est créé à partir de matières orales, journalistique. De fait nous entendons et découvrons sous le couvrant, des discours bruts, des voix différentes et un vrai lâcher-prise. Ainsi en résulte un projet réellement expressif, spontané et terriblement vivant.
Sans travestir les propos, plusieurs monologues ont été construits avec plusieurs couches cohérentes et étrangement logiques, pour ne former qu'une seule trame, alternant passé, présent et futur. Plusieurs histoires humaines. Faire sens où il n'y a pas de cohérence. Une histoire commune, la vie. Ce sont des personnes se définissant en tant que citoyens du monde, d’origines sociales différentes, de différentes cultures, de différents âges, avec des parcours de vie truculents, parfois étranges et surprenants.
L'ensemble du recueil est à télécharger gratuitement via ce lien : https://www.nagapanik.fr/nagazine/
Un extrait :
« Je m'appelle Sandrine, j'ai 48 ans, et ça fait quatre ans que je vis dans la rue, ici, à Nice. Avant, j'avais une vie normale. J'avais un travail, un appartement, une petite routine tranquille. Et puis tout s'est écroulé. D'abord, j'ai perdu mon boulot. Ensuite, les dettes ont commencé à s’accumuler, les factures impayées, les relances… J’ai essayé de m’accrocher, mais c’était comme essayer de retenir du sable qui file entre les doigts.
Un jour, il ne me restait plus rien. Juste une valise et un banc où m’asseoir.
Aujourd'hui, je ne suis plus personne. Je passe mes journées à errer dans les rues de Nice, à chercher un endroit où je pourrais dormir sans crainte d’être chassée, à fouiller dans les poubelles pour trouver de quoi manger. Au début, j’espérais m’en sortir. Je me disais que ce n’était qu’une mauvaise passe, que j’allais rebondir. Mais avec le temps, j’ai compris que le monde continue de tourner sans vous, que vous devenez invisible. On est comme des ombres qui dérangent. Les gens détournent les yeux, changent de trottoir, ou parfois, pire, ils vous lancent des regards de pitié, comme si on n’était plus des êtres humains. Je n’y crois plus. Je ne me fais plus d’illusions. Qui voudrait donner une chance à une femme comme moi ? Je n’ai pas de papiers, pas d’adresse, pas de téléphone. J’ai juste mon sac avec quelques vêtements et un vieux sac de couchage qui m’a été donné par une association.
Chaque nuit, c’est la même angoisse : trouver un coin où il fait moins froid, prier pour que personne ne me vole ce peu qu’il me reste, espérer ne pas finir agressée. Quand on vit dehors, on ne vit pas vraiment, on survit. On attend, mais on ne sait même pas quoi. Des fois, je me demande comment j’ai pu tomber aussi bas, comment j’ai pu tout perdre. Je ne suis pas une mauvaise personne.
J’avais des rêves, des amis. Mais la rue vous détruit, elle vous épuise, elle vous efface. Aujourd'hui, mon seul rêve serait d’avoir juste un toit au-dessus de ma tête, une clé pour fermer la porte, et pouvoir m’endormir sans crainte. Mais je sais que ça n’arrivera pas. Je suis juste une femme de plus, une femme de trop, que personne ne voit vraiment. Alors je continue à errer, à me fondre dans cette ville où tout le monde semble si pressé. Je reste là, dans un coin d’ombre, comme une page déchirée qu’on a oubliée sur un trottoir. »

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